Le jour où j’ai fêté Noël avec des sans-abris

Le jour où j’ai fêté Noël avec des sans-abris

(Et autres histoires de famille)

En ces temps de préparatifs de Noël, j’ai envie de te raconter un Noël que j’ai passé hors des sentiers battus. Je te place le contexte. Nous vivons assez loin de nos familles. Imagine un grand triangle tracé sur une carte de France, dont les sommets correspondent aux villes de résidence de ma famille, ma belle famille, et nous. Impossible donc de passer un Noël avec les « deux côtés », du style le 24 chez les uns, le 25 chez les autres. Depuis que nous sommes mariés, nous passons donc Noël alternativement, une année avec ma famille, la suivante avec celle de mon mari. Ce qui nous fait à chaque fois pas mal de km pour y aller, faire plein de visites sur place aux amis d’enfance, aux grands-parents,… Et puis une semaine pour voir tout le monde, c’est vite passé. L’avantage de cette organisation, c’est qu’elle est très équilibrée et permet de bien profiter du temps en famille à chaque fois.

Mais voilà, les relations familiales n’étant pas toujours un long fleuve tranquille, j’ai toujours vécu les Noëls avec ma belle-famille comme un renoncement. Ne pas voir les miens, en particulier la famille élargie qui ne se réunit qu’à cette occasion, c’est un réel effort que je fournis pour mon mari. Une année, les tensions se sont multipliées. Une accumulation de petites choses. Tu sais, les accrochages et les déceptions qu’on peut pardonner facilement chez ses proches mais qui sont plus difficiles à encaisser quand on est la « pièce rapportée ». En tout cas, des petites choses assez nombreuses pour que je me demande si cet effort en valait réellement la peine. L’idée a commencé à germer tout doucement. Et si pour une fois, je faisais un Noël qui aurait du sens pour moi ? Le déclencheur a été l’envie de passer Noël avec mes grands-parents. A cette époque ils étaient tous deux très âgés, dépendants et vivant en EHPAD. Le simple fait de sortir passer Noël avec leurs enfants était désormais trop compliqué.

Crédit photo : Ben White

C’est décidé. Pour une fois, je fêterai Noël autrement. C’est-à-dire sans mes enfants et sans mon mari (et en informant poliment ma belle-famille qui l’a très bien pris). Je réserve ma place pour le repas du 25 décembre à la maison de retraite et… Mais alors, je fais quoi le 24 décembre ? Non, je ne vais pas rester toute seule, no way ! Pas un jour comme celui là, pas le soir de ma fête préférée ! Et si je trouvais quelque chose à faire auprès des démunis ? C’est quelque chose que j’avais déjà fait avec mon lycée, il y a (très) longtemps, et j’en avais gardé un bon souvenir. A l’époque, ça m’avait aussi permis de voir que beaucoup d’actions sont menées pendant les fêtes. Tu vois, rien de glorieux dans ma décision, je cherchais surtout « quelque chose à faire », n’ayant rien de prévu pour occuper mon soir de Noël. Hop, me voilà lancée à éplucher les sites internet des association et organismes caritatifs.

Comment ça se passe concrètement ?

Pour commencer, j’ai cherché sur la zone géographique qui me concernait. Comme je le supposais, les propositions sont nombreuses pendant quasiment tout le mois de décembre (en temps normal ; hélas, cette année, le covid a certainement empêché la mise en œuvre de beaucoup de ces actions). Emballage de cadeaux, distributions de jouets ou colis alimentaires aux familles, préparation et services de repas de fête le 24 décembre, le 25, et pour le réveillon du nouvel an… Si on est motivé, on peut en enchaîner plusieurs : les besoins en bénévoles sont réels. Mon choix s’est porté sur le réveillon de Noël organisé par l’Armée du Salut. Très pragmatiquement, c’était le plus pratique en terme d’horaires et de transports.

Le jour J

J’arrive à l’heure dite. Immédiatement, le courant passe avec la petite équipe de bénévoles et avec les salariés du centre. On nous explique l’organisation, on se répartit les tâches, et c’est parti ! Mettre le couvert et la déco, préparer le buffet d’apéritif durant lequel le père Noël viendra distribuer les cadeaux aux enfants, puis faire le service du repas, et en fin de soirée, débarrasser et servir le café. Parmi les convives accueillis, il y a toutes sortes de gens : des hommes seuls entre deux âges, des jeunes hommes, des familles entières, des femmes avec leurs enfants, de toutes nationalités. Certains mangeaient très vite et repartaient, d’autres se retrouvaient entre amis, les enfants jouaient partout, des familles prenaient leur temps… L’ambiance était celle d’un restaurant. Des tables décorées, un menu de fête et un service à table à l’assiette. On devine beaucoup de souffrances personnelles dans les parcours de vie. Et pour autant, les convives étaient en majorité joyeux. La joie, je pense, de ne plus être l’exclu qu’on aide, mais simplement une personne normale qui profite d’un bon repas. Beaucoup de remerciements, des sourires. La majorité des dames présentes avaient sorti des habits de fête et étaient maquillées. Je crois que ce qui m’a le plus marquée, c’est la dignité de chacun.

A refaire ?

Je vais t’épargner les poncifs habituels du genre « on a plus de joie à donner qu’à recevoir ». Je n’aime pas ce genre de phrase parce qu’elle peut faire glisser vers un léger sentiment de supériorité et de pitié. Mais il est évident qu’être utile aux autres est tellement gratifiant ! Sans aucune hésitation, ce Noël fut un des plus beaux de ma vie. Pour une fois, ne pas être en représentation, ne pas se prendre la tête pour des broutilles entre gens qui ont tout ce qu’il faut ! Là, il y avait une vraie joie. Pour autant, je n’ai pas le projet de refaire ce service à chaque Noël : ma place est d’abord avec mes proches. Je ne voudrais pas que plus tard, mes enfants gardent comme souvenir que leur maman n’était jamais là à Noël. Ou que ce soit perçu comme une attitude de fuite. Mais dans d’autres circonstances, peut-être ! Je crois que certaines associations organisent des Noëls solidaires et familiaux, où les bénévoles eux-mêmes participent en famille. Et puis, je t’avais raconté que le 25, je déjeunais avec mes grands-parents. Ils nous ont quittés depuis. La question ne se posera plus. Mais qu’est-ce que j’ai bien fait, cette année-là, de suivre mon cœur !

Souvent, Noël est une joie. Parfois, hélas, c’est une corvée. Il arrive que la question se pose concrètement : « on y va ? Tout le monde va encore s’engueuler… » Ou pire, de profondes déchirures ont définitivement coupé les liens au sein des familles. Ou encore, des familles où tout le monde s’entend bien mais où la fête perd de son sens. Disputes au sujet du repas, orgie de cadeaux… Combien de fois j’ai entendu « je déteste Noël » ! Parfois, pour envisager les choses sous un autre angle, il ne faut pas avoir peur de se poser des questions : pourquoi je le fais ? Est-ce que ça a du sens pour moi ? Est-ce que j’apporte de la joie en faisant ceci ou cela ? Mon petit récit est hautement personnel. Je ne cherche pas à te convaincre de quoi que ce soit. Simplement, je terminerais sur un conseil : n’hésite pas à écouter ton cœur !

Et toi, as-tu déjà fêté Noël autrement ? C’est quelque chose que tu aimerais faire ?

6 commentaires sur “Le jour où j’ai fêté Noël avec des sans-abris

  1. Hello, ton message résonne très fort chez moi. Je suis dans la case « tout le monde s’entend bien mais je supporte de moins en moins l’orgie des cadeaux ». Il y a quelques années, j’avais aussi été bénévole pour un déjeuner du 25 avec des réfugiés. Bizarrement je n’en gardais pas un super souvenir car je me rappelle surtout des jeunes qui n’étaient pas contents de leur cadeaux ! ça m’avait pas mal choqué. Maintenant en y repensant, je me dis que c’était bête de moi. Des ados ça se plaint tout le temps de tout, et ni la guerre ni la précarité n’ont l’air d’y changer quoi que ce soit XD.
    Tu as raison sur le petit syndrome du sauveur qui a plus de plaisir à donner qu’à recevoir ! Surtout que du coup quand la réaction en face n’est pas la reconnaissance escomptée, on se rend compte que ce n’était pas aussi altruiste qu’on le pensait…

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