N’insiste pas

N’insiste pas

Je suis assistante sociale depuis 11 ans maintenant, et j’ai dès le début de ma formation, été confrontée aux violences conjugales. D’ailleurs, aujourd’hui, on parle plus largement de violences intrafamiliales, car on sait que les violences entre conjoints impactent toute la famille, et que c’est un mécanisme bien plus complexe que ce que l’on imagine.

violence conjugale femme
Credit Photo : Diana Cibotari de Pixabay

En plus de dix ans, j’ai pu voir l’évolution de la prise en charge des violences intrafamiliales, et plus spécifiquement des violences faites aux femmes. J’ai d’ailleurs la chance d’exercer dans un département où un des procureurs de la République a fait de sa priorité la lutte contre les violences intrafamiliales en mettant en place divers dispositifs en réaction immédiate à la connaissance d’un cas de violence mais aussi en matière de prévention. Quant à moi, afin de me sentir plus à l’aise avec cette problématique, je me suis formée tout au long de mes années d’exercice, et je continuerai d’ailleurs à le faire tant que je serai assistante sociale, quel que soit le milieu dans lequel j’exercerai.

En effet, les cas de violences intrafamiliales sont partout. Dès la naissance, quand je travaillais en service de néonatalité. Je me souviens de trois situations particulièrement marquantes qui m’ont énormément impactée en tant que professionnelle. Je pense que je garderai toujours en tête ces trois femmes et ces trois bébés, confrontés à de la violence physique et psychique dans un moment d’extrême vulnérabilité (grossesse, naissance prématurée… causée par la violence d’ailleurs…). Mais j’ai aussi rencontré cette violence dans d’autres endroits… Dans des services d’hospitalisation, à l’école, en entreprise. La violence est partout mais elle est surtout tabou.

Grâce à mes formations, j’ai appris qu’il fallait justement briser ce tabou. Il fallait même rendre visible et concrète cette violence subie, en l’abordant de façon totalement « naturelle », ou plutôt factuelle. Au début, j’avais peur de cela, je dois l’avouer. En entretien, il pouvait m’arriver de tourner autour du pot, de ne pas nommer correctement les choses… Sauf qu’en face, la réponse était tout aussi floue. J’ai donc très vite compris que je devais changer ma pratique et être à l’aise avec le sujet.

Aujourd’hui, j’ose. Je verbalise, je rends concret le sujet. Aujourd’hui, quand une femme (mais un homme également) vient me voir notamment dans le cadre d’une séparation, je pose tout simplement la question. « Subissez-vous/avez-vous subi des violences de la part de votre partenaire ? » « Êtes-vous victime de violences conjugales ?  » « Votre conjoint est/était-il violent vis à vis de vous ? de vos enfants ? ». Voilà, je pose des mots sur une situation que les personnes vivent ou ont vécu dans la honte et le tabou. En l’exprimant, de façon claire et sans prendre mille précautions – ce qui enverrait comme signal que c’est un sujet tabou/délicat à aborder – en face, la parole se libère.

Au début, j’étais sceptique, je pensais que jamais les femmes ne me répondraient honnêtement à cette question. Mais dès le départ, j’ai compris que je me trompais. À chaque fois que j’ai posé cette question, j’ai eu une réponse franche et sincère en face. Les tabous sont tombés, la parole se libère. Et aujourd’hui, les personnes parlent, elles parlent et pas uniquement des coups reçus, elles parlent aussi des mots, des privations, de la pression, des menaces, de la peur. Aujourd’hui, les violences intrafamiliales ont un autre visage. Et grâce à cette simple phrase, en début d’entretien, la suite est plus simple. Si on peut parler de simplicité. Car il faut savoir que c’est un parcours du combattant pour toutes les victimes. Mais si au moins on arrive à créer ce lien de confiance, dès le départ, on gagne tellement de temps… Face à la peur, face à l’incertitude, face aux allers-retours, face aux renoncements, face aux menaces, face aux embûches. En posant les choses dès le départ, en nommant ce que ces victimes vivent, subissent, depuis des semaines/mois/années, on établit les bases. En parlant de ce qu’elles vivent comme on parlerait de n’importe quel autre sujet de leur vie, en disant les choses sans les enrober, en posant un cadre, cela les rassure et elles se sentent en sécurité. Alors maintenant, je parle. Notamment, quand il y a des enfants, je rappelle qu’ils sont eux aussi victimes, même s’ils ne reçoivent aucun coup physique. Un enfant témoin est un enfant victime. Je partage aussi cette phrase que le fameux procureur de la République nous avait dit en formation : « un bon parent n’est pas un parent violent envers l’autre parent ». C’est important je trouve de le dire, de le poser. Car souvent, on les protège de ça. « Oui, il m’a frappé, mais jamais son fils… c’est un bon père. » Non. Ce n’est pas acceptable. Il a besoin d’aide, oui. Mais ce n’est pas un bon parent s’il est violent. D’ailleurs, la loi évolue enfin dans ce sens, il était temps. La loi n° 2024-233 du 18 mars 2024, visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes des violences intrafamiliales, prévoit désormais la suspension automatique de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement pour un crime commis sur la personne de l’autre parent (et aussi sur l’enfant en question).

En dix ans donc, les politiques publiques ont évolué, on a également revu la façon dont on accompagne désormais les victimes de violences intrafamiliales. Mais ce qui a changé également, c’est que désormais, le tabou tombe aussi au sein des personnes médiatisées. Aujourd’hui, des personnalités osent confier au public qu’elles ont été victimes de violences conjugales/intrafamiliales. C’est important à mes yeux, car on sait l’impact que certaines personnalités publiques peuvent avoir sur les gens. Et les paroles d’une chanson peuvent souvent retentir avec plus de pertinence auprès d’une victime, que si c’étaient des paroles venant de leurs proches. Alors merci à ces « stars » qui sortent de l’ombre pour briser le tabou, et pour rappeler que la violence, sous quelle forme qu’elle soit, c’est NON. Et surtout, n’insiste pas…

Si tu es victime de violences intrafamiliales ou que tu connais une personne dans cette situation, tu peux aller voir une assistante sociale (scolaire, d’entreprise, de secteur… n’importe… une assistante sociale), une association d’aide aux victimes ou encore appeler le 3919.
Et pour rappel, si tu es témoin de violences faites envers un enfant, il est de ton devoir de citoyen de le signaler… Un réflexe : le 119. Pour que ces enfants ne deviennent pas un fait divers parmi tant d’autres…

Un commentaire sur “N’insiste pas

  1. Merci pour ton travail et pour ton texte. C’est un travail tellement utile.

    As tu des conseils pour soutenir une amie victime de violence (au minimum psychologique)? Je trouve ca difficile de lui ouvrir les yeux (il ne changera pas) sans l’effrayer pour qu’elle continue à se confier à moi. Je lui ai donné les clefs de chez moi pour qu’elle ait un refuge d’urgence si besoin mais je ne sais pas quoi faire de plus… Et elle vaut tellement mieux !

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