Être mère, ou ne pas l’être

Être mère ou ne pas l’être

J’ai 38 ans, bientôt 39 ans. Je suis nullipare et ça sonne comme un gros mot. Je ne sais pas si cette situation est définitive. Il y a encore quelques décennies, la question ne se poserait pas. Je serais déjà maman, ou bien cette possibilité serait déjà un lointain souvenir.

Dans mon entourage, dans les magazines, sur internet, je ne lis que des témoignages assurés. De femmes qui ont tout fait pour être mère. Ou au contraire qui l’ont toujours refusé catégoriquement. Certaines n’ont malheureusement pas réussi et ont dû faire le deuil de leur maternité. Je ne me suis jamais reconnue dans ces témoignages. Car moi, aujourd’hui, je ne sais pas.

image grossesse

Crédit photo : StockSnap

De nos jours, on a le choix de devenir mère ou pas. On peut avoir un, plusieurs enfants. Le(s) faire seule. Mais dans ma génération, on n’a pas été élevées comme ça. On jouait encore aux poupées et les garçons aux voitures. On nous disait « quand tu auras des enfants ». Peu d’adultes autour de nous n’en avaient pas, et ne pas être mariée c’était « la honte » et signe que quelque chose clochait.

Quand j’étais petite, j’étais fascinée par la maternité. Je lisais des histoires de parents de famille nombreuse (coucou les livres de Claudette Combes dans la bibliothèque de mes parents – des histoires qui ne semblent pas avoir été si merveilleuses finalement). Je feuilletais les livres de grossesse de ma maman avec toutes les images et explications du développement du bébé. Je m’imaginais devenir mère à 18 ans (!) et avoir six enfants (!!!).

J’étais une adolescente et une jeune adulte très fragile, décalée, avec peu de confiance en moi, et j’ai démarré une vie amoureuse très tardivement par rapport à la moyenne des gens. Pendant des années, je n’ai pas su bien choisir les personnes avec qui je partageais un bout de chemin. Que l’autre veuille de moi était le critère principal et à chaque relation naissante, je me demandais si avec cet homme là j’allais pouvoir me marier et avoir un enfant. J’oubliais de me demander si cette personne me convenait vraiment, j’avais peur de l’abandon et surtout peur de rester seule jusqu’à la fin de mes jours. Je voyais mes amies se mettre en couple, se marier et avoir des bébés les unes après les autres et je me demandais ce qui pouvait bien clocher chez moi pour que je n’y arrive pas.

Quand j’ai eu 30 ans (un âge qui me semblait alors canonique), j’ai rencontré un garçon intéressant, un peu plus gentil que les autres et surtout qui voulait vraiment être avec moi. J’ai fermé les yeux (longtemps) sur nos divergences, on s’est installés ensemble et j’ai espéré et attendu longtemps que mon rêve se réalise enfin. Nous étions sûrs que nous allions finir notre vie ensemble. Je voulais un enfant, lui trois. Mais nous avions des contraintes matérielles, elles me semblaient dérisoires mais de son côté elles étaient insurmontables, ou plutôt elles lui servaient d’excuse pour ne pas avancer. C’était toujours « plus tard », je voyais les années passer, j’avais peur d’être déjà trop vieille, je sentais au fond que ce « plus tard » voulait dire « jamais » sans réussir à l’accepter. Je me rassurais en cherchant des certitudes qu’on pouvait être mère, surtout de son premier enfant, bien plus tard que l’âge que j’avais. J’ai essayé de forcer la situation, en arrêtant la pilule « pour voir ». Cela a mené à un terrible épisode où mon conjoint m’a hurlé que si j’étais enceinte ce serait une catastrophe alors qu’il était possible que je le sois… Nos divergences, et les rancœurs que ces choix non assumés ont générées ont fini par avoir raison de notre couple. A 35 ans, j’étais dévastée. Tout était à refaire, mais je pensais que cet homme était le seul à pouvoir vouloir de moi étant donné mon historique amoureux.

Aussi, quand j’ai rencontré assez rapidement un autre homme qui semblait correspondre à ce que j’attendais, j’ai foncé dans cette nouvelle histoire sans trop réfléchir. Je l’ai déjà raconté, je l’ai payé cher. Mais dans cette relation, quand je pensais que tout était « bien » et « vrai », mon désir d’enfant s’est considérablement amoindri. Je me suis rendu compte que plus qu’un réel désir, il s’agissait surtout de combler un manque affectif, de rentrer dans le moule et de ne plus être vue comme anormale. Je m’imaginais enceinte, mais jamais maman. Avec mon ancien conjoint, je n’étais pas pleinement heureuse et je me sentais en insécurité. Je pensais inconsciemment qu’avoir un enfant corrigerait ces problèmes et bien sûr, avec le recul, je me félicite que cet enfant ne soit pas né car ensemble, nous aurions fait des parents déplorables.

Après la fin de cette relation abusive et les mois de harcèlement qui ont suivi, il a fallu que je me reconstruise. Ça a pris du temps, j’ai eu des relations naissantes qui n’ont pas abouti, toujours avec des hommes qui voulaient des enfants. Je caressais vaguement cet espoir que ça soit encore possible, en parallèle je réfléchissais à en avoir un toute seule par procréation médicalement assistée. Je me suis renseignée, et je n’ai jamais pris rendez-vous. J’ai compris que ça n’était peut-être pas mon chemin, et que je pouvais peut-être être heureuse sans enfant. Mais que surtout, ce que je voulais, c’était construire une famille. Et que cette famille pouvait prendre de nombreuses formes sans suivre forcément le schéma traditionnel, mais que réussir une vie de couple était plus important pour moi qu’avoir un enfant.

Finalement, il y a quelques mois, j’ai rencontré quelqu’un qui me semble être la bonne personne pour moi. Avec qui tout est simple, même si la situation ne l’est pas. Qui a une fille à laquelle je me suis très vite attachée. Qui m’a vite demandé si je voulais un autre enfant, en me disant que lui n’en voulait plus forcément mais que si j’en voulais il ne m’en priverait pas. J’ai retenu ce petit espoir, sans certitude d’en vouloir encore un moi-même, mais sans aimer non plus cette impression de « sacrifice » que cette réponse laissait entendre. Depuis, nous en avons reparlé et de son côté il semble aller vers le « non ». Quand je l’ai compris, j’en ai été peinée sans savoir vraiment exprimer pourquoi. Depuis, j’y ai réfléchi et je pense que c’est le fait de fermer cette porte qui me fait de la peine. Parce que je crois que je n’en veux plus, mais que dans un coin de ma tête reste la peur de regretter. Parce que je ne vois plus que les contraintes mais que j’ai peur de passer à côté de quelque chose. Que j’envie celles qui sont sûres, dans un sens ou l’autre, parce que moi je ne veux pas avoir à faire le choix. Dans un sens, je crois que je préfèrerais essayer et que ça ne fonctionne pas plutôt que de rester toute ma vie avec un « et si ? ». Et je me demande si le fait de ne plus en vouloir est simplement un mécanisme de protection parce que j’ai trop longtemps espéré quelque chose qui n’est jamais venu. J’ai peur d’en vouloir un jour à mon conjoint parce que lui est déjà papa, mais si je dois être honnête avec moi-même, je ne projette pas du tout notre vie, ni ma vie, avec un enfant. Et j’ai plus peur d’en avoir un, que de ne pas en avoir.

Alors j’ai 38 ans, bientôt 39. Je crois qu’il y a plus de chances que je ne sois pas maman plutôt que l’inverse. Mais je n’ai plus de pincement au cœur quand on m’annonce une grossesse ou qu’on me met un bébé dans les bras. Je ne suis pas maman, mais je suis plusieurs fois tata. Je ne suis pas maman, mais je suis belle-maman. Peut-être que le destin a bien fait les choses pour moi finalement et que c’était exactement ça mon chemin. Peut-être que dans un an, ou deux, ou trois, je serai sûre de moi, dans un sens ou l’autre. Mais ce que je sais, c’est que dans tous les cas, j’aurai une belle vie, parce que je ferai ce qu’il faut pour.

14 commentaires sur “Être mère, ou ne pas l’être

  1. Il est très touchant ton article, et ton long cheminement n’a pas dû être simple. Comme toi, je n’ai jamais eu d’envie viscérale d’avoir un enfant, ou à l’inverse de certitude que ça n’était pas pour moi. Et j’envie ausi celles qui sont sûres. Mais la vie a fait que c’était le bon moment et mon mari en voulait. Et comme tu l’as écrit, à défaut de me projeter avec un bébé, j’ai eu envie d’une famille.
    Je trouve ta conclusion belle et douce. Il n’y a pas qu’une seule façon de construire une famille, et les liens que tu crées avec ta belle-fille ou tes neveux et nièces peuvent être aussi beaux et forts qu’avec un enfant naturel. Le sang ne fait pas tout. Je te souhaite en tout cas d’être heureuse et épanouie dans la famille que tu te choisis, quelle qu’elle soit ❤

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    1. Je te remercie pour ton commentaire. En effet, je pense que c’est aussi à deux que le choix, ou plutôt l’évolution se fait, si j’étais en couple avec quelqu’un qui veut un enfant j’en aurais probablement un. Mais en tout cas les choses ne sont pas blanc ou noir et tous les chemins peuvent mener au bonheur en fonction de ce qu’on en fait.

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  2. Merci pour ce témoignage. Je me retrouve dans beaucoup de choses que tu évoques. Je n’ai pas non plus d’enfant (à 38 ans) et je trouve que la société n’est pas toujours, comment dire, tendre à l’égard des femmes qui n’ont pas d’enfant(s). Comme tu le dis, on peut faire famille autrement et puis surtout, je suis intiment convaincue que l’on peut avoir une vie remplie, riche, joyeuse, heureuse même sans enfant! Et ça, cela me semble parfois tabou d’oser le dire!

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    1. Je te remercie pour ton commentaire, c’est réconfortant de savoir que l’on n’est pas seule. Et pour rebondir sur ta dernière phrase, j’ai pris le parti depuis un bon moment déjà de ne jamais m’empêcher de dire ce que je pense ou ressens et ça fait du bien ! On a souvent peur des réactions des autres mais ça veut souvent dire quelque chose sur eux plus que sur nous.

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  3. Ici pas de désir d’enfant spécialement mais c’était un moment idéal pour en avoir et avec mon mari on ne se projetait pas sans enfant. Réultat un merveilleux bébé et une certitude que nous aurions été bien plus heureux sans enfant. Mais c’est trop tard…

    On ne peut pas savoir quel est le bon choix ni même si il y en a un.

    Mais ce qui est sûr c’est qu’avec ou sans enfant, on peut chercher des moyens d’être heureux. Avoir des enfants ou ne pas en avoir, ca ne fait pas tout.

    Je te souhaite d’être épanoui dans ta vie quelque soit ta famille.

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  4. sujet difficile , je pense que j’aurai eu énormément de mal à vivre ma vie d’adulte sans avoir d’enfants, mais c’est facile à dire vu que j’en ai… Cependant je pense que tu as une chouette place aussi : tu as les enfants pour les bons moments (je parle du rôle de tata, ta belle fille c’est une autre histoire…) et moins de pressions pour le bien être de petits humains dont tu aurait la responsabilité jusqu’à la fin de tes jours que tu le veuilles ou non… Je suis très curieuse et un peu envieuse aussi, des personnes qui peuvent continuer leur vie en s’occupant d’elles et de leur couple, jusqu’au « bout ».

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  5. Je me reconnais beaucoup dans ton texte. A 37 ans, je suis mois aussi passée par toutes ces étapes. Et comme toi, le recul me confirme que les quelques fois où j’envisageais avoir un enfant c’était quand j’étais dans une mauvaise passe. Comme la seule chose qui manque à ma vie c’est un enfant, j’imaginais que c’est ce manque qui me rendait malheureuse. Mais on y réfléchissant réellement, je sais au fond de moi que ce n’est pas la vie qui me convient. Et je me fais bien plus souvent la réflexion dans de nombreuses circonstances, que je suis heureuse de n’avoir pas d’enfants que l’inverse 🙂

    Il y a mille façons d’être heureux et épanouie dans la vie, et cela ne passe pas forcément par la maternité.

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  6. Merci Coralie pour ce témoignage. C’est tellement rare ces témoignages qu’on se sent perdue quand on est dans la même situation que toi. Alors merci de t’être confiée, d’avoir pris le temps de partager ces mots. Je lis et le relis et me dit que ce sentiment d’ « anormalité » et partager et que grâce à ce témoignage on a l’impression d’être moins « anormale ». Les « et si », la peur du regret, le ras le bol de ne pas savoir sont pesants. La lecture de ton article me fait prendre du recul et me dire qu’on n’est pas seules avec ces milles questions existentielles.

    Alors merci à toi !

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    1. Merci Natacha pour ce commentaire qui me touche énormément. C’est effectivement apaisant de savoir qu’on n’est pas seule à vivre cette situation. Je te souhaite plein de bonheur quelle que soit la forme qu’il prend.

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  7. Bonjour Coralie,
    Merci pour ton article et ta franchise. Je suis aussi dans l’ambivalence, pas franchement agréable, depuis quelques années, j’ai 39 ans. Où en es-tu de ta réflexion aujourd’hui?
    Pleins de bonnes ondes

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    1. Merci pour ce commentaire. Je dirais que j’en suis au même point tout en avançant 😀 J’arrive à mieux comprendre certains aspects de ma volonté ou non d’avoir un enfant, je pensais il y a quelques semaines que j’étais totalement décidée à ne pas en avoir, mais des évènements minimes m’ont fait penser le contraire alors que pendant ce temps mon conjoint est un peu moins fermé… Aucune certitude encore mais j’essaie d’avoir confiance en l’avenir. Veux-tu m’en dire plus sur l’ambivalence que tu rencontres de ton côté ?

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      1. Merci Coralie de prendre le temps de répondre à nos commentaires. Je me permets de réécrire sous celui-ci car je suis en plein dans cette ambivalence.

        Mon conjoint est déjà papa, d’une petite fille d’une précédente relation. Il m’avait dit lors de notre rencontre qu’il ne souhaitait pas de deuxième enfant. Pour moi notre relation était prioritaire et on va dire que je me suis formatée a ce choix. Aujourd’hui je suis perdue, je vois tous les inconvénients et notre relation de couple plus fragile quand sa fille est là, mais LA question est toujours enfoui au fond de moi.

        Et le sujet de la maternité est omniprésent en ce moment de mon côté. J’ai écouté pas mal de podcast, pour essayer d’avoir LA réponse… Mais c’est vrmt difficile. Je pense que je différencie le désir d’enfant, de projet d’avoir un enfant.. et je ne pense pas que c’est un désir chez moi (mais c’est dur de savoir si on se leurre soi même…). Toutes mes amies maintenant sont mères, ce n’est pas simple d’aborder ce sujet avec elles.

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