9 mois et 22 jours
TW : cette chronique parle de la mort d’un enfant. Nous te recommandons de la lire dans les meilleures conditions pour toi, en étant vigilante sur ce qu’elle peut déclencher chez toi en fonction de ton histoire personnelle. Prends soin de toi.
Ça fait des années que je lis Bribes de Vies, y compris sous ses formes précédentes. Et puis j’écris, de temps en temps. Alors quand j’ai vu un appel à chroniqueuses je me suis dit, feu.
Je voulais parler de désir d’enfant. De maternité. De prématurité. D’allaitement. De chaos du quotidien. De carrière, aussi, pour moi c’est important.
De comment j’ai vécu à l’autre bout du monde et ce que ça a changé pour moi (et mes chaussettes). De levain. De sport, même, peut-être aussi.
Et puis vendredi soir, je récupère ma fille à la crèche. On monte en voiture pour aller chercher son frère, il est chez Nounou. Le téléphone sonne, c’est le papa. « la gendarmerie m’a appelé, il y’a un problème médical avec le bébé, on doit y aller mais on ne pourra pas le voir, les pompiers travaillent dessus ».
Beaucoup de pompiers. Le Samu. Le SMUR. Des gendarmes. On ne peut pas rentrer. Je demande si il est vivant. On ne peut rien nous dire. La rue est bouclée. La Poupette joue avec des fourmis et des cochenilles. Un défibrillateur passe, puis un deuxième. Puis ils ressortent.
L’équipe médicale vient nous voir et nous dit : c’est fini. Votre enfant est décédé, on n’a pas pu le réanimer. On explique à la grande Poupette que le bébé s’est arrêté.
Elle rejoint ses grands-parents. On nous dit qu’il va y avoir une enquête. On fait manger Poupette. On la couche. On mange. On se couche. Nausée.
Samedi la famille arrive. Je tire mon lait. Il y a un beau soleil. Chacun gère comme il peut. On parle, ma mère range, mon père répare des trucs. On sent l’énergie du groupe qui porte et qui apaise.
18h Poupette demande à se promener « avec la poussette de Bébé mais sans Bébé dedans ».
Nausée.
Dimanche, 5h, j’ai vraiment trop mal. Je tire mon lait. Je réalise que mon premier allaitement a commencé sans bébé, le 2ème va finir sans bébé. C’est le déclencheur. Ça y est, je commence à réaliser. Il n’y a pas de sens. Nausée.
Dimanche, 6h, j’écris. Je ne sais pas où on va mais au moins y aura une trace. C’est la fête des mères. Sans chercher, je tombe sur cette image de l’illustratrice Agathe Sorlet. Je la trouve vraiment forte. Elle me bouleverse. Elle va me porter, par moments, et me porte encore.
Dimanche, 10h. J’étais inscrite depuis longtemps, ça devait être la course de la fin du post partum, la fin de la période nourisson si douce et intense à la fois, le début de la vie avec deux tornades. 10km. C’est tellement absurde que ça prend tout son sens, alors je prends le départ. Il y a une famille qui court, la maman pousse un chariot avec un tout petit bébé et un bambin. Ils sont tellement beaux. Ils nous ont vu, je crois qu’ils ont compris. Ma maman court avec moi.
Cette journée du dimanche est belle et en même temps je veux juste qu’elle s’arrête, aller me coucher.
Et puis les jours passent. Comme dans un monde parallèle. Un monde où il ne serait pas encore né. Un monde étrangement confortable. Je fais une brioche, elle est superbe. Je tire mon lait, de moins en moins. On trie les habits. La haie est taillée. Le chat est tout perdu d’avoir perdu son Pépère. On ne sait rien de ce qu’il s’est passé.
Et les nouvelles arrivent, enfin. C’est « juste » pas de chance. Il n’a reçu que de l’amour et de la bienveillance toute sa vie. Jusqu’à ce qu’il s’endorme pour une sieste infinie. C’est ce qu’on appelle la mort subite du nourrisson. C’est ce qui fait qu’un grand pépère qui se met debout, qui fait BAH, qui dit maman et qui dissout des fraises au kilo peut un jour, tout simplement, s’arrêter.
C’est du coup le début de la suite. Penser obsèques. La concession, pour 15 ou 30 ans ? Combien de places dedans ? Quelle couleur de cercueil ? Qu’est-ce qu’on va manger ? Comment on l’habille ? Est-ce qu’il faut prévoir des chaises ? Ironie mordante, on ne peut pas faire les formalités en mairie : tout est fermé, on enterre Mr le Maire.
Samedi, 14h. Ça fait 8 jours. On peut enfin le voir. Je lui ai mis ses chaussettes. Il est froid.
On choisit la date de l’enterrement. Et son emplacement au cimetière, ça sera le 10A. Il aura une chouette vue. On a été voir pour les fleurs, le pain lève. On imprime des photos aussi. Que des sourires, du chaos, de la complicité, de la vie pleine de légèreté dessus. C’est dur. Je sais bien que les photos ne montrent pas la fatigue de 9 mois sans sommeil, les cris et les pleurs, les séances de paillasson émotionnel éreintantes, le besoin de retrouver un corps qui fonctionne et une routine du quotidien, etc. Mais ces moments figés, ils sont beaux, ils sont chouettes. Je suis triste.
On a été montrer l’emplacement à la Poupette. Le trou était creusé. On lui a expliqué que quand on est mort, on range le corps dans une boîte et on met la boîte dans un trou. Et on fait une grande fête triste. Elle a vu le chat en porcelaine sur la tombe d’à côté et des escargots et des cailloux. Elle est incroyable, ma fille. Un vrai soleil.
Et le jour arrive. Mise en bière. C’est triste et doux, on est très entourés, il est posé et paisible. Le cercueil est si petit. Et puis il y a des fleurs. On ne savait pas si on en voulait, on a choisi un bouquet fou plein de couleurs d’un fleuriste qui fait des bouquets rose-menthe sur le pouce. Et finalement il y a des fleurs, partout. Des dizaines de bouquets. Des roses, du blanc, des couronnes, des lys, c’est très beau.
Il y a beaucoup de monde. Tout notre quotidien qui s’entrechoque, des gens qui n’auraient jamais dû se rencontrer. C’est très étrange. Et ça fonctionne. On est portés. On parle, quelques autres personnes aussi. Deux poèmes, une comptine, un air d’accordéon. C’est beau. On parle de notre quotidien, du chaos des 9 derniers mois. Et puis voilà. C’est fini.
Enfin pas tout à fait. On voulait que cette journée soit un départ, pas une arrivée. Alors on a sorti le pain, le tzatziki, les brioches et les grillades. Des bières sont apparues, et on a parlé, profité du jardin, du soleil et de nos proches de tous horizons. C’était chouette. C’est de ça que j’espère me rappeler. Parce que je sens que déjà, j’oublie, et ça me rend immensément triste. Alors je l’écris.
Quelques jours plus tard, la Poupette nous dit « quand Bébé il aura fini avec la boite, il va revenir ». Alors on lui a expliqué. Elle comprend. Elle comprend tout. Et elle nous dit « maman elle est triste. Va faire calin papa ». A 3 ans, on ne devrait pas avoir à comprendre l’incompréhensible.
Le Bébé, il s’appelle Nino. Il a 9 mois et 22 jours. Et il est parti dans nos têtes et dans nos cœurs un vendredi de Mai, comme ça, tout simplement.

Toutes mes condoléances.
J’aimeAimé par 1 personne
Plein de douces pensées
J’aimeAimé par 1 personne
Merci d’avoir partagé un peu de votre douleur et de votre peine avec nous.
J’aimeAimé par 1 personne
Je pense à vous et votre famille en cette épreuve qu aucun parent ne devrait vivre.
J’aimeAimé par 1 personne
On pense à vous, à Nino, avec douleur et compassion. Merci pour tes mots, d’avoir partagé ta peine avec nous.
J’aimeAimé par 1 personne
❤️
J’aimeAimé par 1 personne
Quelle tristesse… Douces pensées pour Nino et sa famille…
J’aimeAimé par 1 personne
Plein d’amour pour vous et votre famille dans cette épreuve si douloureuse. Que Nino repose en paix et qu’il puisse veiller sur vous à chaque instant
J’aimeAimé par 1 personne