Ces enfants dont on ne veut plus
On ne les supporte plus, les enfants. Trop bruyants, trop énergiques, trop sensibles, trop présents. Ils rient trop fort, bougent trop vite, posent trop de questions. Ils dérangent les conversations, cassent le rythme des adultes pressés, s’invitent dans des espaces où on ne veut plus d’eux. Les regards se font lourds dans les trains, les soupirs s’entendent dans les salles d’attente. Comme si la simple existence d’un enfant était devenue un acte d’incivilité. On veut bien d’eux quand ils sont sages, bien habillés, silencieux, performants. Mais dès qu’ils débordent, dès qu’ils vivent vraiment, ils deviennent gênants.

Sommés de rentrer dans le moule
Nous vivons dans une société qui célèbre l’enfance sur les publicités et les slogans, mais qui, dans la réalité, ne sait plus quoi faire des enfants — surtout quand ils sortent du cadre. On les veut autonomes dès la maternelle, concentrés à six ans, capables de raisonner comme de petits adultes. On leur répète qu’il faut bien travailler, bien se tenir, bien s’adapter. On transforme leurs journées en emplois du temps, leurs jeux en apprentissages, leurs erreurs en échecs. Ils n’ont plus le droit d’être juste… des enfants. Le silence devient une exigence, la spontanéité, une faute, et petit à petit on fabrique des enfants fatigués, inquiets, qui apprennent à cacher leurs émotions pour ne pas déranger. Ils ont le regard sérieux des grands avant même d’avoir eu le temps d’être insouciants.
Quant aux enfants handicapés, porteurs de troubles ou de différences, qu’on ne comprend pas, on parle d’inclusion à longueur de discours, mais dans les faits, combien d’écoles refusent encore de les accueillir ? Combien de parents se battent pour qu’ils aient le droit d’apprendre, de jouer, d’exister parmi les autres ? On leur parle de tolérance, mais on leur ferme la porte d’une activité, d’une sortie, d’un anniversaire. On les regarde avec malaise, on ne sait pas comment les accueillir. “Il n’est pas prêt”, “il ne s’adapte pas”, “il met les autres en difficulté”.
Mais en réalité c’est nous, les adultes, qui ne savons plus nous adapter à la différence. On trie les enfants comme on trie les adultes : selon leur rendement, leur capacité à se fondre dans le décor, à ne pas faire de vagues. Et dans ce tri silencieux, certains finissent par disparaître du paysage. Invisibles. Inconfortables. Inclassables.
Il y a quelque chose de profondément inquiétant dans cette époque où l’on veut des enfants discrets, bien calibrés, rentables émotionnellement, des enfants qui ne prennent pas trop de place, qui ne dérangent pas le confort des grands.
Des adultes qui veulent fuir les enfants
Il est légitime d’avoir des espaces réservés aux adultes. C’est humain, c’est nécessaire de pouvoir se retrouver sans minis humains autour pour respirer, se retrouver, souffler. C’est même vital d’avoir des moments sans cris, sans sollicitations, sans l’énergie parfois envahissante des plus jeunes.
Le problème, c’est quand cette idée s’étend partout, quand elle devient la norme, quand les enfants ne sont plus les bienvenus nulle part. En tant que parents on se retrouve à avoir peur d’un long trajet en avion parce qu’on craint de se faire lyncher par les autres juste parce qu’on a des enfants (alors que nous sommes les premiers embêtés quand ça se passe mal). Les adultes, épuisés par leur propre course à la performance, ne supportent plus le reflet de la vie brute que les enfants renvoient. Parce qu’un enfant, c’est ça : du bruit, du mouvement, de la joie qui déborde et de la peine qui crie. C’est le contraire du contrôle et du paraître. Et peut-être que c’est justement ce qui dérange le plus dans une société qui veut tout lisser, tout planifier, tout maîtriser. Mais les enfants, ce n’est pas une option décorative dans le monde des adultes. Ce sont eux, le monde à venir. Ils portent la part vivante, maladroite, curieuse, encore émerveillée de l’humanité. Ils sont des êtres entiers, ici et maintenant, avec leurs émotions vives, leurs maladresses, leurs questions sans filtre, leurs éclats de rire et leurs tempêtes de larmes. Ils ne sont pas “trop”, ils sont le juste rappel de ce que nous avons oublié : la lenteur, la découverte, la liberté d’être.

On devrait cesser de vouloir formater les enfants, de les accélérer, de les faire taire. On devrait les regarder comme on regarde une promesse, pas comme un dérangement. Parce qu’en refusant l’enfance, c’est notre propre humanité qu’on rejette. Et le jour où il n’y aura plus d’enfants pour déranger nos silences, le monde sera peut-être plus calme, mais il aura perdu son cœur qui bat.

Je ne suis pas sûre d’être totalement de ton avis.
J’ai l’impression qu’il y a toujours eu des endroits sans enfants et que du temps de notre enfance et avant, on était encore plus stricte sur les comportements acceptable pour les jeunes dans les resto, musées, trains…
De nos jours, je trouve que de plus en plus d’endroits proposent des activités pour les enfants (théatres, ateliers aux musées, set de dessins dans certains resto…). Ce n’est pas partout mais je trouve que ca se répend de plus en plus et c’est très chouette.
Par contre, je trouve aussi qu’il y a de plus en plus de parents qui utilisent l’excuse ce sont des enfants pour ne pas s’occuper de leurs enfants et les laisser faire n’importe quoi.
Le dernier exemple en date, ce fut justement l’avion. Je voyage (souvent seule) avec 2 jeunes enfants. Bébés, ils ont souvent pleurés, enfants ils parlent beaucoup avec des voies très aigues. Pourtant on ne m’a jamais fait de remarques et pas mal de fois, les personnes assises à côté ou derrière nous ont gentiment divertis ou fait la conversation avec mes enfants (et ramassés les jouets).
Mais j’ai aussi vu dans ces mêmes avions des enfants regarder des dessins animés sur la tablette sans casque ou taper sans s’arrêter dans mon siège ou celui de mon fils. Les parents ne sont pas intervenus (ils avaient leur telephone et écouteurs) et quand j’ai demandé au papa de ne pas laisser sa fille taper dans le siége de mon fils car ca le dérangeait, il n’a répondu: « elle a 3 ans, c’est de son âge, je ne peux rien faire ».
J’ai malheureusement l’impression que certains parents (pas la majorité) refusant de s’occuper de leurs enfants ont poussés certains établissements (pas la majorité non plus) à refuser les enfants.
Mais perso, je ne me suis jamais sentie mal recue ou jugée. Oui j’ai parfois vu que le comportement enfantin de mes enfants dérangeait le cadre mais personne n’a rien dit et on les a laissé vivre. (Je me suis un jour férié dans une ville inconnue dans un resto chic car c’est le seul resto ouvert que l’on a retrouvé à distance de marche de l’hötel après avoir oublié notre pique nique dans le train. Tout le monde fut adorable mais je me suis sentie super mal car c’était très chic et j’avais peur pour la vaisselle. Je ne dirais pas que les tables aux alentours étaient ravies mais elles nous ont juste ignorées. )
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merci pour ton retour Laura :). Je partage ton avis sur les efforts qui sont faits par-ci par-là, heureusement tout n’est pas noir ou blanc.
Mais j’observe aussi que de plus en plus de mesures sont prises ou installées pour restreindre l’accès ou l’activité des enfants. Cette récente décision judiciaire interdisant à des enfants à Paris d’utiliser leur cours de récréation en est l’exemple silencieux. Je trouve qu’on arrive de plus en plus à des extrêmes et comme partout j’ai peur que ça prenne trop d’empleur.
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Je suis totalement d’accord que cette décision de justice paraît incompréhensible ! Je n’ai pas suivi l’affaire donc j’ai peut-être raté de bons arguments des riverains mais j’en doute.
Après je n’ai pas remarqué plus de lieu interdit pour mes enfants mais c’est peut être de la chance pour moi.
Je suis aussi d’accord pour dire que je laisse souvent le bénéfice du doute aux parents dont les enfants me paraissent un peu trop excessifs. Car je ne sais pas si les enfants n’ont pas de caractéristiques particulières (invisibles) ou si les parents ne sont pas juste à bout ce jour là (ca nous arrivent à tous). J’essaye de faire mes demandes gentiment quand j’en ai. Ca fonctionne ou pas.
J’ai pensé à toi hier car j’étais en avion, 2h de vol et un papa solo avait un bébé qui a pleuré 2h sans interruption. Les pauvres ! C’était hyper dérangeant pour moi, les pleurs de bébé me mettent encore en alerte constante. Plusieurs personnes (dont moi) ont essayé de distraire le petit bout, de proposer au papa des jouets, des pom potes (il avait l air trop jeune à min avis mais c’était gentil). Et l’hôtesse lui a proposé de prendre le bb pour qu’il aille sux toilettes. Bon il a tout refusé mais il n’était pas aussi seul. Certains adultes ont effectivement lancé des regards noirs mais ce sont contentés de mettre leurs écouteurs. Par contre non fils, nous a sorti une perle : « on pourrait pas le forcer à dormir pour qu’il se taise ou lui mettre un truc dans la bouche pour qu’il fasse moins de bruit ? » J’ai donc peur pour la génération suivante ! 🙂
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Je pense que cet article ouvre un grand débat sur le comportement des enfants et surtout sur le rôle des parents.
De mon côté je partage l’avis de Laura. Les enfants sont de plus en plus (et de mieux en mieux) acceptés partout, avec de nombreux équipements installés pour eux partout (centre commerciaux, gare, aéroport, même certains restaurants ont une salle de jeux) histoire qu’ils puissent se « défouler » et se comporter comme des enfants dans des endroits spécialement conçus pour eux. Et à côté de ça il y a des endroits ou des moments qui imposent, si ce n’est le calme, au moins un minimum de tenu et de savoir vivre.
Et à titre personnel, pour gérer un établissement recevant nombre d’enfants toute l’année, c’est là où le bas blesse. Je constate que les enfants savent de moins en moins se tenir dans ces lieux. Non pas parce que ces enfants sont plus turbulents ou hyperactifs qu’autrefois, non. Mais parce que nous sommes témoins tous les jours de parents qui incitent délibérément les enfants à ne pas respecter les règles et qui ne montrent pas le bon exemple (c’est assez affligeant !).
Alors, oui, demander à un bébé de 3 mois d’arrêter de pleurer dans un avion, on est d’accord que c’est n’importe quoi. Par contre, un enfant de 3 ans qui tape partout dans les sièges sans que les parents ne disent rien, ce n’est pas acceptable.
Oui les enfants sont des enfants, des petits êtres humains en apprentissage de la vie et de la vie en communauté, et tous n’apprennent pas au même rythme, et c’est aussi le rôle des adultes autour de faire preuve de patience et de compréhension car nous avons tous été un enfant un jour.
Mais on ne peut pas tout cacher derrière ce principe. Les enfants doivent apprendre les règles de vie en communauté, et un enfant de 3 ans en âge d’aller à l’école est tout à fait à même de comprendre des choses aussi basiques que la politesse, le respect et le calme, encore faut-il que cet apprentissage soit (bien) fait par les parents. Ce qui malheureusement laisse à désirer. Et ces comportements qui étaient anecdotiques il y a quelques années, génèrent désormais un raz le bol au sein de le société. Non pas à cause d’enfants, qui ont des comportements d’enfants, mais à cause du laisser faire des parents.
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Merci Elise pour ton commentaire et je pense aussi qu’il y a matière à faire un long débat. Je déplore aussi les mauvais comportements où les parents ne réagissent pas, mais je me demande si à prendre des mesures extrêmes, on va pas arriver à un muselage de l’enfance.
je dois aussi avouer que depuis les diagnostics de mes enfants, j’ai un regard beaucoup plus tolérant sur les enfants qui font n’importe quoi en public, mais notre seuil de tolérance individuel est effectivement très différent.
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il y a surtout de plus en plus de parents qui ont des enfants alors qu’ils ne s’en occupent pas. ils veulent « leur temps libre », leur break, les enfants sont récupérés le plus tard possible a la garderie, a la crèche, au centre de loisirs ect par « confort ». Il n’y a plus d’éducation, plus de limites car « ce sont des enfants, ils ne peuvent pas comprendre ». Ils les laissent taper les autres, cracher, hurler, devant les écrans meme dans une poussette… Le moule dont tu parles pour moi ce sont les règles basique de savoir vivre. Un enfant qui fait des crises parce qu’on ne veut pas lui acheter un paquet de bonbon ? on ne l’emmène plus faire les courses, on ne le laisse pas à hurler dans le magasin parce qu’il faut qu’il apprenne la frustration. Il tape les autres ? on reste a coté au parc…ect
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merci pour ton retour mirable.
je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi sur ce point. Il ne faut pas oublier aussi qu’on a des contraintes propres. Par exemple, ne pas aller faire les courses avec un enfant qui est capricieux, tout le monde ne peut pas se le permettre. Et quand il pleure peut importe la décision qu’on prend, on est catalogué comme parent cassos.
on en revient à cette pression sans cesse pour que les enfants arrêtent d’être des enfants en présence d’adultes. Et ce n’est pas une question de bonnes manières uniquement.
j’avoue totalement comprendre certains parents qui ne réagissent plus, parce qu’ils sont usés aussi d’être sans cesse critiquer et juger.
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c’est clairement un thème qui fait débat on dirait!.. si je suis d’accord avec les commentaires du style tape sur le siège de l’autre, vidéo sans casque etc.. je pense tout de même que notre génération a tendance à juger tous les enfants comme “mal élevés” dès qu’ils ont l’audace d’exprimer leurs émotions (qu’à 3/4 ans par exemple, ils ne savent pas encore réguler). J’ai une théorie la dessus : est ce que ne serait pas intoléré parce qu’on est la première génération de parents à ne pas tapper nos enfants..? Il devait pas y avoir beaucoup de crises au supermarché à l’époque où on risquait de se prendre une baffe…
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merci pour ton avis Raphaëlle. Tu marques un point là, et j’avais pas du tout penser à ce côté nouvelle génération de parents. C’est vrai qu’on est un peu plus à l’écoute des émotions de nos enfants et qu’on les laisse plus facilement les exprimer, ce qui fait ce décalage. La question serait donc de trouver un bon compromis en évitant les extrêmes (ou plutôt que l’extrême ne devienne pas la norme).
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