Je suis grosse
D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours eu des kilos en trop. Hormis les 2 premières années de ma vie où j’étais un mini gabarit, j’ai constamment eu une étiquette de grosse sur le dos.
Grandir avec un mal-être
Durant l’enfance, je n’ai pas vraiment prêté attention à cela, à cette différence. J’ai été affublée du joyeux surnom de « bouboule », affectueux au premier abord, mais qui me mettait tellement mal à l’aise. J’étais consciente que j’avais un peu plus de ventre, un peu plus de joues que mes camarades de classe, mais ce n’était pas la différence qui me marquait le plus. J’étais plus focalisée sur des petits détails comme le fait de ne jamais pouvoir fêter mon anniversaire, ou de ne jamais aller aux invitations pour raison médicale. J’avais une maladie qui faisait du surpoids un facteur de risque non négligeable, et à chaque contrôle médical on ne manquait pas de me le rappeler. J’ai donc grandi remplie de frustration car là où mes frères et sœurs pouvaient manger ce qu’ils voulaient, j’étais littéralement restreinte à l’eau et aux biscottes sans sel avec une noisette de beurre. Les aliments « plaisir » ne faisaient pas parti de mon menu car tout était interdit pour éviter que je ne prenne du poids, dans l’espoir qu’avec la puberté, je grandisse assez pour que mon surpoids se dissipe de lui-même.
A l’adolescence, les choses se sont corsées. Là où mes amies portaient des vêtements cintrés et moulants, je portais déjà du large, et je ne suivais jamais la mode car je devais déjà m’habiller chez les adultes. Rapidement, j’ai dû affronter les moqueries en rapport à ma poitrine bien développée. Un temps, mes parents ont envisagé de m’envoyer dans un camp pour gros durant l’été, pour que je perde une vingtaine de kilos en peu de temps. Mais l’équipe médicale les en a dissuadés, rapport à la présence d’activité physique dangereuse pour moi à ce stade. Avec l’installation du mal-être et de la culpabilité de ne pas être assez jolie et présentable aux yeux de mes parents, j’ai sombré d’abord dans la boulimie, puis dans l’anorexie mentale. J’ai finalement pris de plus en plus de poids, pour me retrouver avec 45 kilos de trop au total.
A l’âge adulte, j’ai voulu résoudre le problème seule comme une grande, alors j’ai enchaîné les régimes. J’ai testé énormément de choses qui m’ont fait perdre rapidement, mais la boulimie revenait toujours, et avec elle, les kilos. Le fameux cercle vicieux du yo-yo. Un temps, j’ai songé à la solution radicale de la chirurgie bariatrique, mais mon mari s’y est toujours farouchement opposé. J’ai donc appris à vivre avec mes kilos, les contraintes que cela entraînait et le regard de la société.

Apprendre à s’accepter et s’aimer
Aujourd’hui, je suis toujours grosse, mais avec la naissance de ma fille, j’ai perdu une vingtaine de kilos, sans aucun régime, sans m’être spécialement mise au sport. Il m’en reste encore une vingtaine à perdre pour rentrer dans la « normalité » selon le sacro-saint Indice de Masse Corporel. Alors que j’ai toujours cru qu’allégée de plusieurs dizaines de kilos je me sentirais mieux, j’ai eu énormément de mal à me faire à ma nouvelle apparence, même sans avoir tout perdu d’un coup. Impossible pour moi d’aller dans les tailles classiques pour m’habiller, ou de manger une part de pizza sans culpabiliser automatiquement derrière. J’ai eu un électrochoc. Cette perte m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses, et j’ai commencé à comprendre beaucoup de memes et de phrases que je lisais sur le net. J’ai commencé à m’aimer, aimer ce corps avec ses bourrelets tombants, ses vergetures, sa poitrine opulente, et ses hanches développées.
Maintenant, Je me sens bien dans ma peau et mes formes, mais il a fallu pour cela qu’en plus de ma prise de conscience, je soigne d’abord mon trouble alimentaire. Car tout le souci vient de là. Plus jeune, mes parents ont eu beau s’acharner, tant que ce trouble était présent, il n’y avait aucune chance que j’arrive à perdre du poids en réalité. Ils étaient guidés par la peur de voir leur enfant malade, et je ne peux leur en vouloir pour cela.
Ironie du sort, en perdant du poids, j’ai développé une maladie qui normalement disparaît quand les personnes en surpoids maigrissent justement. Comme quoi ! Et pourtant, je vis avec cette étiquette sur moi, collée par des individus qui sans connaitre mon histoire me jugent du regard. C’est dur quand tu manges peu, équilibré, sans graisse, de t’entendre dire sans cesse que tu ne fais pas assez d’efforts pour perdre du poids, sinon tu y serais arrivé depuis longtemps. C’est dur de toujours entendre que tu te cherches des excuses, ou lorsque tu as le moindre trouble de santé que c’est la faute de ton poids sans même chercher plus loin.
Je suis convaincue que le secret ne réside pas dans l’obstination de voir le chiffre sur la balance diminuer, mais plus dans la compréhension de soi-même. Il était essentiel pour moi de me débarrasser d’abord de toute la culpabilité que j’avais cumulé au fil des années, et de réapprendre à manger. Ensuite, il a fallu que je comprenne que je n’avais pas la maîtrise sur tout, qu’il n’y avait pas de bons ou de mauvais aliments.

L’important était de réussir à structurer l’alimentation et effacer mes propres a priori. Il a fallu aussi que je trouve le bon nutritionniste pour me suivre, quelqu’un qui soit dans la bienveillance et non uniquement focalisé sur le résultat à tout prix, et que je trouve un bon psychologue pour travailler sur mon trouble obsessionnel. C’est un accompagnement qui est essentiel pour moi pour m’approprier ma nouvelle silhouette, et atteindre l’équilibre qui me convient, même s’il ne correspond pas aux normes de notre société.
Dans notre société, il est difficile d’être gros. Si avant les rondeurs étaient synonymes de réussite, aujourd’hui, oser afficher des bourrelets et des vergetures est difficilement acceptable. Les choses s’améliorent avec le temps, mais de la même façon que pour tout ce qui touche l’égalité, il y a encore beaucoup de travail. Effacer de la conscience collective qu’une personne grosse est forcément une personne qui ne fait pas attention à ce qu’elle mange, ne fait pas de sport, et se goinfre devant la télé, n’est pas si aisé. De même que balayer cette idée reçue qu’être en surpoids signifie obligatoirement qu’on finira par être malade ensuite. Un corps gros est tout aussi beau, tout aussi respectable qu’un corps mince ou un corps maigre. La vie a tant de choses à nous montrer qu’il est bien dommage de s’embêter de ce genre de détails. Et je suis convaincue une fois de plus que ce changement de regard passera énormément par nos enfants. Je suis souvent rattrapée par mes propres craintes lorsque je regarde ma fille. Elle a un ventre rond, de bonnes joues. Elle n’est pas grosse mais dans le haut de la courbe de poids et naturellement, je n’aimerais pas qu’elle en sorte car je ne veux pas qu’elle vive les mêmes choses que moi. Mais ce n’est pas en étant drastique, à faire le gendarme sur ce qu’elle mange, que je la protégerai de ça. L’essentiel pour l’instant, c’est que j’arrive à lui faire manger de tout, lui expliquer justement qu’il n’y a pas de tabou, que tous les corps, toutes les formes existent, qu’on ne maîtrise pas forcément, et que ce n’est pas grave d’être différent.
Je ne dis pas qu’il est facile d’assumer, mais que lorsqu’on commence à se regarder dans la glace avec indulgence, c’est plus simple. Quand on commence à lever les yeux et à ne plus avoir peur de croiser le regard des autres, c’est plus simple. On se rend compte que la majorité des personnes qui nous entoure remarqueront notre sourire avant notre double menton, notre joie de vivre avant nos cuisses qui se frottent. Si tu es une amatrice d’instagram, je te conseille vivement de suivre le compte de Saraaemiliee, qui décomplexe énormément le corps féminin et les kilos, en toute honnêteté (et en anglais). Je t’invite également à suivre gaelleprudencio et by_same qui portent elles-aussi un message positif (en français cette fois). Être gros n’est pas une tare si tant est qu’on ne se focalise pas dessus.
Bravo pour cet article et ce cheminement ! On s’en fiche pas mal de la « normalité » et entre nous, l’IMC n’a jamais mesuré le bonheur …. 😉
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Merci Aurelie.
C’est bien vrai ce que tu dis, surtout que l’IMC est de plus en plus remis en cause car trop théorique. Une fois qu’on arrive à s’en éloigné un peu, on se sent mieux.
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Moi aussi je suis grosse! Je le suis depuis mon enfance, avec plus ou moins de kilos en trop… pas de boulimie ni d’anorexie chez moi mais de l’hyperphagie déclenchée surtout par le stress qui a atteint son paroxysme à la fin de mes études, au début de ma vie professionnelle et au début de la maternité… Je me retrouve beaucoup dans la fin de votre témoignage, sur l’importance de l’acceptation de soi et de son corps. A la soutenance de ma thèse en 2013 je pesais 118 kg pour 1m60, j’ai perdu une dizaine de kilos seule avec le sport, je suis tombée enceinte, j’en ai reperdu 10 mais au 2 ans de mon fils, j’étais de nouveau à 116 kg. J’ai accepté ce poids, j’ai jeté toutes les fringues trop petite de mon dressing, j’ai acheté de nouveaux vêtements saillant, j’ai avancé tout simplement et 6 mois plus tard j’ai eu un déclic! Je ne suis pas suivie par une nutritionniste mais je suis le programme WW qui globalement réapprend à bien manger. Mon fils aura 4 ans dans 1 mois et je pèse 74kg. Je ne suis plus obèse, je suis encore en surpoids mais je me sens bien. Ce poids je le faisais au collège à 13 ans. Je m’habille en 40/42 maintenant donc je rentre partout ^^ je suis bien tout simplement! Je suis dans la phase de stabilisation, je ne souhaite pas perdre plus. Je suis persuadée que je n’aurais jamais eu ce déclic sans cette étape d’acceptation!
Et pour avoir discuter longuement de poids avec une amie qui est mince et qui mange de tout sans restriction, pendant son enfance sa mère ne l’a jamais privée ni restreinte, elle mangeait équilibrée avec des féculents à chaque repas. La devise de WW c’est « bien manger pour bien maigrir ». Les régimes restrictifs détraquent complètement nos organismes… Je pense qu’une alimentation équilibrée avec des écarts autorisés et une activité sportive sont la clé pour atteindre notre poids de forme qui sera différent d’une personne à l’autre. J’applique cela pour moi et mon fils qui finalement est plutôt dans les courbes basses niveau poids. Une chose est sûr, je ne diaboliserai pas la nourriture chez moi! Merci beaucoup pour votre témoignage et désolé pour le commentaire fleuve
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Bonjour Sandrine et merci pour ton témoignage, ça me fait toujours plaisir de lire des récit comme le tiens.
Quand j’en trouve, il y a toujours la récurrence d’un déclic qui est arrivée à un moment où on a finalement décidé d’accepter les choses. Il y a vraiment un gros aspect psychologique à mon sens dans la gestion du poids.
Je ne peux qu’etre d’accord avec toi pour la gestion de l’alimentation des petits. Chez nous il n’y a pas d’interdit, mais on explique bien le concept de « de temps en temps ».
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Merci pour ce beau témoignage qui a le mérite de remettre les choses en perspective. La société pose volontiers un regard stygmatisant sur les personnes en surpoids, sans chercher à comprendre les situations particulières…
Je suis contente de lire que tu as aujourd’hui un rapport plus apaisé à ton corps.
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Bonjour Lumi, et merci à toi pour ton commentaire.
D’une manière générale je trouve que la société n’aime vraiment pas la différence. Il faut absolument rentrer dans le moule pour etre transparent. Heureusement ça commence a etre moins compliqué si on cherche à s’accepter différemment, mais je trouve ça dommage que nous devions autant souffrir intérieurement pour des choses que finalement nous n’avons pas choisi et ne maitrisons pas.
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Je te remercie pour ton sujet dans lequel je me reconnait a 100%, étant moi-même en obésité.
Contrairement à tous les pronostics, je n’ai aucun problème médical lié à l’obésité, même enceinte, ce que je suis actuellement, 4ème grossesse.
Je suis comme je suis , mon mari m’aime comme ça, et je sais pourquoi je suis comme ça. Excès de sport étant enfant (24h par semaine, en plus de l’école normale), arrêt brutal cause gros problèmes familiaux, bref, si j’apprends seule à mieux et moins manger, et ennreussissant, je sais qu’il me faudra de l’aide extérieure pour mettre à plat ces problèmes.
Ma question est donc de savoir comment tu as trouver les professionnels qui t’ont aider?
D’avance merci et bravo
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Bonjour Mme Tracteur,
Merci pour ton commentaire et félicitation pour ta 4ème grossesse.
Pour répondre à ta question, la psychologue qui me suis est celle qui m’a prise en charge au moment de ma depression post-partum. Elle est également spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire, ce qui nous a permis de travailler sur ce versant là également.
Elle travaille avec plusieurs praticiens nutritionniste et/ou diététicien à qui elle réfère ses patients qui en ont besoin une fois qu’ils sont prêts. Ca a eu le mérite de me facilité la tache car je n’ai pas eu a chercher moi même et que j’avais ainsi déjà une demi-garanti de la bienveillance que j’allais y trouvé.
Le plus dur est toujours de faire le premier pas vers le psychologue, ensuite, c’est beaucoup plus facile :). Quand tu seras prête, tu le sentiras.
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