Et maintenant ?

Et maintenant ?

Jusque-là, j’étais un parfait produit de la société, bien intégrée et parfaitement à l’aise avec ses codes. C’est comme ça que j’aimais me définir.

Femme d’accord, mais blanche, issue d’une famille fonctionnelle et aimante, ayant fait des études, cadre dans l’administration, payée confortablement. Puis mariée à un homme et mère. 

Je m’estimais heureuse de mes droits et devoirs en société. Je payais des impôts, c’était normal. Je votais pour des personnalités politiques en adhérant à leur programme pour relancer la France.

Je travaillais, je progressais, j’avais des amis, des loisirs. Je voyageais, j’avais des envies d’achats de vêtements, de chaussures, d’équipements. Des envies d’accession à la propriété, d’une jolie maison construite d’après les plans d’un architecte.

J’avais envie de prendre soin de moi, bien manger et faire du sport. Pour regagner mon poids de forme et m’y maintenir. Pour me sentir belle et valorisée aux yeux des autres.

femme, aveugle, sourd
Crédit photo : geralt

Et puis, petit à petit, sont entrées dans ma vie de nouvelles notions. Je les connaissais de nom, mais sans savoir ce qu’il y avait dedans et en les jugeant un peu sévèrement. L’écologie, le féminisme, la sphère du social et du soin aux autres, la protection animale…

Et mes certitudes volent en éclat.

Comment avoir encore envie de consommer autant ? D’accepter les rouages consuméristes et capitalistes de notre société ?

Comment accepter que, même après l’apparition de la crise du COVID, le soin aux autres soit si dévalorisé ? Comment accepter un monde du travail qui n’attend de nous que de la performance, et qui soit destructeur si tu ne rentres pas dans le moule ?

Comment accepter les discours d’exclusion des migrants ? Comment accepter cette façon de vivre tellement centrée sur nous ?

Comment trouver normal le rejet de la différence ? Comment ne pas se révolter contre les attitudes racistes ? J’entends au quotidien des remarques basées sur les origines ethniques supposées expliquer certains comportements. Un racisme sous-jacent qui s’ignore.

Comment accepter les mécanismes implicites de genre ? Les discours ouvertement sexistes mais sans le savoir ?

Comment intégrer l’idée qu’il y ait des tabous profonds et douloureux, des choses terribles qu’on cache volontairement sous le tapis ? Je finis un podcast sur l’inceste (Ou peut être une nuit), qui me brise le cœur tellement c’est insoutenable. 1 enfant sur 10 serait victime. Cela signifie surtout une proportion équivalente d’incesteurs dans notre entourage. Je dois en côtoyer. Je dois travailler avec certains d’entre eux. Pourquoi je fais tellement attention à mon attitude vis-à-vis d’eux si certains cachent de si sombres travers ?

Comment accepter la culture du viol et la suprématie de la vision de l’agresseur qui transparaît au quotidien ? 

Comment continuer à manger de la viande sans penser aux conditions d’élevage profondément maltraitantes ? Comment concevoir que des hommes aient imaginé des systèmes aussi affreux ?

Comment vivre l’injonction au bonheur et à la réussite ?

La liste est longue…

femme, tricot, col monté
Crédits photo : StockSnap

Je vois maintenant. J’en découvre davantage tous les jours.

Que dois-je faire ? J’ai envie de dire aux autres d’enlever leurs œillères, j’ai envie de me battre sur tous les fronts. Mais en même temps, cette prise de conscience est très, très douloureuse. Qui suis-je pour vouloir sortir les gens de leur zone de confort ? J’ai été aveugle à l’envers du décor pendant si longtemps, et le suis certainement dans encore pleins de domaines.

Je me sens perdue. J’ai envie d’être utile, de faire bien, et en même temps je ne sais pas comment m’y prendre, par quel bout commencer. 

Alors, j’ai commencé à faire des efforts, à revoir ma façon de consommer, à faire attention à mes choix de vie, à ma façon de parler… Je fais ma petite part, mais en même temps, la montagne de choses qui me reste à faire me donne le tournis. Oui, je fais un peu mieux, mais pour l’instant je me contente essentiellement de savoir et de ne plus être d’accord. Le changement ne sera jamais total, en tout cas je n’ai pas cette prétention. Il faudra bien apprendre à vivre avec une sourde culpabilité.

Et pour mes enfants ? Que faire, qu’espérer pour eux ? De quoi faire le deuil dès à présent ?

J’espèrais que cette crise sanitaire serait suivie de conséquences, que des conclusions seraient tirées quant à la nécessité éthique de changer de trajectoire. Et cependant, notre système est tellement complexe, que je crains que nous soyons englués dans notre modèle, sans espoir d’en changer les bases. Je redoute l’inertie, l’habituation, l’effacement des mémoires.

Pour l’instant, le début de solution que j’entrevois est à mon échelle. Je crois que mon principal défi est là maintenant. Remettre de l’éthique dans ma vie. Renforcer le respect de l’autre. J’ai commencé à soutenir quelques associations, quelques tireurs d’alarme. J’ai énormément d’admiration pour ces personnes qui s’engagent pour une cause, car je m’en sens incapable à ce jour.

Cet article décidément pessimiste se terminera sur ce fatras d’interrogations. Le chemin est long, la marge de progression infinie.

4 commentaires sur “Et maintenant ?

  1. Merci pour cet article.

    La prise de conscience est une première étape, douloureuse, certes, mais nécessaire. Ensuite chacun trouvera le moyen d’agir à sa mesure, sur un ou quelques aspects de ces injustices.

    Il m’a fallu 2 ans pour me remettre du coup de massue initial. Maintenant, je sors du tunnel et je commence à comprendre comment je peux agir.

    Des enfants en souffrance, j’en ai tous les ans dans ma classe et je sais maintenant que c’est là que je suis vraiment utile : quand je leur apporte écoute et bienveillance.

    C’est à chacun d’écouter son coeur, d’analyser son parcours de vie et de choisir son domaine d’action.
    Vouloir agir sur tous les plans serait illusoire.

    Même si, comme tu le dis, on peut tous modifier de petites choses dans notre quotidien, pour faire évoluer peu à peu les mentalités et les modes de consommation.

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  2. La prise de conscience est difficile mais mon travers a été pendant un temps de passer du gris au tout noir. Je traquais la faute, chez moi, chez les autres. L inquisition mode 21ème siècle.
    C était juste déprimant et clivant, et je passais ma vie à pleurer en me disant que tout était foutu.
    Finalement, il faut retrouver du gris, chercher le beau, le bon, qui est inspirant, et qui fait aller de l avant.
    Les femmes sont depuis deux ans plus éduquées que les hommes à l échelle mondiale. C est un vrai changement. Historiquement (donc au xxeme siècle) , à chaque fois que cela a eu lieu, la natalité a été maîtrisé et des vrais progrès ont eu lieu dans ces sociétés.
    Moi, j y crois, que c est par un regard plus féminin, plus tendre, plus global ( et non clivant), plus attentif, que les choses vont bouger.

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  3. En effet la prise de conscience est complexe. Comme toi j’aurais envie de faire bouger les choses, mais je ne sais pas où commencer. Et surtout, j’ai peur de commencer et de m’embourber dans un tas de m*** pire que ce que j’entraperçois. J’avais commencé à lire sur l’effondrement, la colapsologie, mais c’est très dur d’imaginer des bribes de ce à quoi pourra ressembler notre futur. C’est effrayant, démoralisant et franchement déprimant. Alors comme toi j’essaye de faire de mon mieux sur cette planète pour continuer à vivre en paix avec moi même, mais c’est compliqué avec les proches qui sont à milles lieux de cette réalité. Bon courage dans ton cheminement.

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  4. Je me retrouve pas mal dans ce cheminement lent pour sortir de son cocon de naïveté… J’ai adopté la position du colibri, en écologie bien sûr mais aussi sur le reste. Je ne suis pas une militante active mais je ne laisse pas passer les « blagues » sexistes ou autres de mon chef (qui les dit principalement parce qu’il sait que ça me fait réagir), j éveil autour de moi tout petit a tout petit. Mais j’agis en ligne avec mes valeurs et ça, ça me semble quand même très important.

    J’ai écouté ce podcast il y a plusieurs mois, ça m’avait retourné. Je suis encore à cheval entre « je ne veux pas savoir ça » et « statistiquement, dans la classe de ma fille, il y a x enfants qui en souffrent. Je trouve ça terrible, affreux…

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