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Je le savais, mon premier gynéco me l’avait dit lors de la première consultation de ma première grossesse : je ne vous fais pas de document pour votre employeur, ne l’annoncez pas trop tôt, vous avez 25% de chance de faire une fausse-couche. La violence de l’annonce.

Et puis la statistique est restée bien au fond de mon esprit. Les trois mois sont passés, le bébé s’est accroché et il est né. Il en a d’ailleurs été de même pour les deux suivants, si bien que même si je savais que cela existait, l’existence des fausses-couches me paraissait quelque chose de très abstrait. Un peu comme les problèmes de fertilité d’ailleurs : on sait que ça existe, on connait du monde que ça touche, mais tant que ça ne nous touche pas dans notre corps, cela reste une perspective un peu abstraite.

Le temps est passé et il y a eu cette grossesse là. Celle qu’on avait vraiment attendue pour mille raisons personnelles, familiales, physiques, professionnelles. Celle qui nous semblait plus précieuse et plus fragile encore que les trois précédentes. Celle qui dès le début, je ne sais toujours pas pourquoi m’a fait ressentir l’angoisse de la fausse-couche. Un peu comme si en apprenant ma grossesse, on s’était dit que c’était trop beau pour être vrai.

Et de fait, c’était vrai. Du fond de mon angoisse, je me réjouissais de chaque nausée, de chaque symptôme qui me rattachait aux grossesses précédentes, parce que tant que je suis malade c’est que je suis enceinte. Je ne sais pas pourquoi ce pressentiment était présent au fond de moi, peut-être parce que cette grossesse était tant attendue qu’elle en était d’autant plus précieuse ? Je ne saurais jamais, mais ce qui est sûr c’est que nous l’avons dit très rapidement à un couple d’amis de passage à la maison. Cela expliquait pourquoi j’étais tellement à plat.

echographie
Crédit photo : Pavel Danilyuk

Le dimanche soir ils sont repartis et le lundi c’était fini. 25% de chance. 1 grossesse sur 4. 1 femme sur 10 en France. Je me suis souvenue de cette consultation de gynéco entre deux sanglots et trois contractions archi douloureuses, et j’ai rappelé nos amis pour que nous ne soyons pas les seuls à pleurer cet enfant qui avait existé si brièvement dans nos vies.

Et puis j’ai vécu l’arnaque de la fausse-couche : oh, je ne vous arrête pas, à ce terme ce ne sont que des grosses règles et vous ne risquez rien. Pendant une semaine je suis allée travailler, j’ai mené à bien tous mes projets, j’ai fait des interventions en public debout pendant deux heures avec un parfait sourire artificiel accroché sur mon visage. En parallèle de cela, cette semaine là, je me suis aussi pliée en deux de douleurs, je n’ai pas mangé avec mes collègues pour pouvoir pleurer en paix, et je suis rentrée chez moi le soir, rincée, bien en peine de m’occuper des enfants, mais bien obligée de le faire un peu. Des grosses règles ? Des règles sévères, avec un bon choc au moral, oui ! Quelle arnaque de ne pas considérer la douleur physique et psychologique de la femme qui subit une fausse-couche ! Ce n’est pas une grippette ni un vague rhume, d’abord ça fait mal, et puis c’est aussi le renoncement à un projet que l’on avait investi, à l’agrandissement d’une famille… et tout ça sans même qu’on soit d’accord !

L’histoire dira que le vendredi soir j’étais arrêtée : grippe (au mois de juin), puis angine en plus de tout, et j’ai passé la semaine au fond de mon lit. Parce que visiblement, une grippe c’est un motif d’arrêt plus légitime qu’une fausse-couche. Pourtant je ne suis pas certaine que si je n’étais pas passée en pilote automatique j’aurais vraiment réussi à travailler cette semaine-là.

1 grossesse sur 4. 1 femme sur 10. C’était ma quatrième grossesse, et dans mon entourage proche, nous sommes au moins 10 à avoir fait une fausse-couche, plus toutes celles qui ne l’ont pas dit. Le tabou ultime de la vie d’une femme, comme si nous avions une culpabilité à porter dans le fait que ces grossesses ne sont pas allées à terme. La minimisation de la douleur associée n’aide pas, d’ailleurs, puisqu’en plus de culpabiliser de ne pas avoir su mener la grossesse à terme, nous voilà à culpabiliser d’être si mal pour un tel « non-événement ».

Je ne sais pas quelle est la solution à apporter, mais il faudrait déjà un vrai changement de mentalité par rapport à cet événement. On devrait pouvoir le regarder pour ce qu’il est, quelque chose qui peut arriver, qui n’a rien de honteux ni de rare. Et on devrait aussi pouvoir être considérées autrement que comme des chochottes qui s’effondrent pour rien par certains médecins.

4 commentaires sur “1 sur 4

  1. Je suis vraiment désolée pour toi et ton mari.

    J’ai fait une fausse couche avant bb1. J’ai eu la chance qu’elle soit très précoce (je n’avais pas encore eu le temps de me projeter vraiment) et juste avant un grand voyage qui m’a permis de rester occupée et de penser à d’autres choses plus gaies.

    Et surtout j’ai été bien épaulée par ma SF qui m’a demandé si je voulais un arrêt ou/et un suivi psy.

    J’en parle assez facilement car c’est un évènement qui reste marquant et que ca peut aider certains amis. Je pense que ces dernières années, on éprouve moins de honte quand on subit une fausse couche. D’ailleurs j’ai toujours annoncé mes grossesses avant les 3 mois aux personnes qui pourraient m’épauler si besoin.

    Courage à toi dans cette épreuve.

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    1. Effectivement, je trouve que la parole se libère, mais vraiment très doucement.

      Cette fausse-couche date d’il y a presque un an maintenant, mais de fait, lorsque j’ai été de nouveau enceinte peu de temps après, nous l’avons rapidement annoncé aux amis qui savaient pour la fausse-couche. Et maintenant, j’en parle relativement facilement quand on me pose la question, même si ça jette parfois un blanc en plein milieu d’une conversation.

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      1. J’espère que la nouvelle grossesse n’a pas été trop stressante après la fausse couche. Ca peut être compliqué d’investir le début de la grossesse si on a peur.

        Ce que je trouve dur à faire passer comme message c’est qu’une fausse couche peut être vécue différemment par les parents quel que soit le stade de grossesse.

        On a le droit d’être dévasté à 2 SA et juste triste à 12 SA.

        (Et félicitations pour le nouveau bébé ?)

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  2. Malheureusement on ne peut pas l’annoncer directement à tous nos proches car on est pas sûrs de recevoir de la bienveillance le jour j.. nous pensions annoncer notre lancement des essais bébé à nos familles histoire d’être soutenu dans ce type de sénario et puis ma belle soeur a fait une fausse couche et leur réaction a été tellement dure (« ça n’a pas de sens d’être tristes alors que ça ne faisait que quelques semaines! ») qu’on s’est bien gardé d’en parler avant les fameux trois mois.. et donc dû vivre une fausse couche en silence.. et après coup il est aussi dur de libérer la parole car la famille a l’impression (à raison ^^!) qu’on ne leur a pas fait confiance sur le moment!.. sans compter la nécessité de garder le « secret » au niveau professionel sous peine de se faire mettre dans un voie de garage au pretexte qu’on risque de partir en congé dans quelques mois (alors que certains projets de grossesse mettent des années à se concrétiser).. et puis en parler c’est aussi s’exposer aux regards en biais en mode « mais du coup maintenant, elle ne serait pas à nouveau enceinte? elle a pris du poid/pas bu d’alcool etc.?. » alors que toi tu es en train de vivre des moments difficiles où leur fantasme collectif peine à devenir réalité..

    Concernant l’arrêt maladie par contre, je ne comprends pas que ce ne soit pas une obligation. la société est prête à forcer des femmes à vivre dans la douleur la fin de leur grossesse seule en cachette dans les toilettes du bureau, c’est d’une inhumanité.. 😦

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