Un deuil à faire

Un deuil à faire

Je dois te quitter aujourd’hui, après plus de huit ans passés ensemble. C’est une bonne nouvelle, car c’est pour aller vers le mieux. Et pourtant, c’est un déchirement.

chez soi, cadre home sweet home

Crédit photo : Tumisu

C’est drôle, dès le départ, ce n’était pas fait pour durer. Des perspectives de vie ont fait que j’ai souvent eu hâte de te quitter. Je voulais une maison, un extérieur plus grand, moins d’étages à monter, une vie à la campagne… Et pourtant je suis restée.

Huit ans, ce n’est pas rien. C’est une énorme partie de ma vie, quasiment toute la trentaine, passée entre tes murs. J’ai beaucoup changé pendant ces huit ans. J’ai vécu des choses difficiles, des moments de bonheur. J’ai grandi et mûri. La moi d’aujourd’hui regarde avec beaucoup de tendresse et d’indulgence la jeune femme encore un peu immature qui était si fière d’être propriétaire pour la première fois.

Tu avais beaucoup de défauts, tu m’as causé beaucoup de travail, de fatigue et de doutes. Mais tu étais chez moi. Je t’ai refait du sol au plafond. J’ai tout choisi. Je n’ai pas fini certaines choses, j’en ai mal fait d’autres, par inexpérience. Je t’ai réagencé plusieurs fois, pour enfin trouver la meilleure disposition pour profiter de toi, de ta lumière traversante et de ta si jolie vue. J’avais encore des projets pour toi, pour que tu sois encore plus beau et agréable à vivre.

J’ai souvent pesté contre toi, tes quatre étages (et demi) à monter à pied, ta chaleur l’été, ton froid l’hiver, ta mauvaise insonorisation, tes petites pièces pas toujours pratiques.

Tu étais chez moi quand j’ai démarré ma première grande histoire de couple, tu es devenu chez nous. J’ai imaginé notre avenir ensemble dans cet appartement ou ailleurs, la possibilité d’y fonder notre famille. Tu as été le théâtre de nos disputes de plus en plus nombreuses, de nos différends insolubles, des projets qui m’étaient si chers et ne se sont jamais réalisés.

Tu as été le théâtre de notre rupture, à un moment où on était obligés de rester chez soi. J’étais perdue, j’ai dû réapprendre à vivre chez moi et non plus chez nous. J’ai dû te réapprivoiser toute seule.

Ça n’a pas duré longtemps, j’ai commis l’erreur de faire entrer la mauvaise personne, dans ma vie et dans tes murs. J’ai souffert, je ne me suis plus sentie en sécurité, j’ai songé sérieusement à te quitter. Je suis restée comme pour un combat que l’on mène contre l’injustice, d’être punie aussi pour ça après tout ce qu’il m’avait déjà pris… J’ai gagné ce combat et je suis fière de ne pas avoir cédé.

Tu as partagé la convalescence de mon opération du pied (coucou les escaliers) et les nombreuses heures que j’ai passé devant la télé. Tu as partagé plus tard ma dépression, et ces moments très sombres… Tu étais le seul endroit où je n’avais pas à faire semblant d’aller bien.

J’ai souvent voulu te quitter, et maintenant que ça arrive je n’ai plus envie. Tu vas me manquer, avec ta situation idéale, ton parquet blanc, tes jolies pièces. Ta cuisine et ta salle de bains si pratiques. Tes fenêtres dans toutes les pièces. Ta vue sur les arbres et les bâtiments environnants.

Plus que toi, c’est ce que tu représentes qui va me manquer. Mon lieu refuge, à moi seule. Mon indépendance si chèrement acquise, cette absence de compromis à faire, mon mode de vie. Ces années, tout ce que j’ai vécu, la vie d’une jeune femme qui n’est plus si jeune. Plus qu’une page, c’est un livre entier qui se referme. C’est pour mieux en ouvrir un autre. C’est nécessaire pour aller de l’avant. Mais c’est douloureux…

Alors bien sûr, sur le papier, rien n’a changé, je te garde pour l’instant. Mais si je reviens vers toi, c’est parce que j’aurais échoué. Parce que ma nouvelle vie ne m’aura pas plu, ne se sera pas passée comme prévu. J’ai peur de ça. J’ai peur de te regretter, mais j’ai peur aussi de ce que ça veut dire de devoir de nouveau habiter entre tes murs.

Je n’ai pas vraiment choisi ce nouvel appartement dans lequel je dois créer mon nouveau lieu refuge et que je sais provisoire. Je n’ai pas non plus choisi que ça soit maintenant. Mais je sais que ça devait arriver, et que ça n’aurait pas été plus simple dans deux mois ou un an.

J’ai freiné des quatre fers pour te vider. Je n’ai pas fini d’ailleurs. Mais l’essentiel est parti, assez pour que tu ne sois plus chez moi. Tu n’as plus de chat faisant la course dans le couloir, ni de canapé accolé à la fenêtre pour voir les arbres. Tu n’as plus de cadre au mur ni de meuble fabriqué par mon papi. Tu n’es plus chez moi, et moi je me sens comme le homard qui était trop à l’étroit dans son ancienne carapace et qui attend que la nouvelle se reforme.

Au revoir mon appartement, mon chez moi, tu vas me manquer. Mais ce que j’ai envie de retenir c’est que chez moi, c’est là où est mon cœur.

Un commentaire sur “Un deuil à faire

  1. Votre histoire à fait écho à la. Mienne je vis dans la maison que nous avions fait construire mon mari et moi. Vingt trois ans de bonheur. Mais il.est parti se reposer car la maladie a été plus forte que notre amour.

    maintenant ses enfants veulent que je quitte cette maison. Je résiste mais pour combien de temps? Le jardin me donne trop de travail, je vieillis et pourtant je fais des travaux pour mon.plaisir ,refais toute ma chambre, qui me plaît énormément , la chambre de mon mari j’ai changé sa fonction j,ai créé un « petit boudoir » une bibotheque bureau où je me réfugie dès que j’ai du temps .

    c’est mon.refuge contre le stress. Je lutte pour rester comme la loi m’y autorise, mais le combat est âpre et souvent gâche mon plaisir. Je sais qu’un jour de devrais la mort dans l’âme la quitter car trop lourde pour mes frêles épaules et me réinvestir dans un.appartement que je déteste déjà sans le connaître.

    ou alors choisir d’y mourir lâ dans cette maison tant aimée mais source de mes tourments.

    L’amour fait souffrir.

    Cordialement.

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