La dernière tétée
J’ai allaité Petite Pieuvre pendant neuf mois. Dix si j’ajoute le mois où elle a bu des biberons de mon lait que j’avais stocké au congélateur. La fin de l’allaitement a été plus subie que choisie pour moi et assez douloureuse à traverser (je viendrai t’en reparler) mais aujourd’hui, je te partage un texte écrit sur le vif, en mai dernier, alors qu’elle avait un peu plus de six mois.
Six mois depuis ta naissance et six mois d’allaitement qui n’ont pas toujours ressemblé à un long fleuve tranquille.
Le départ a été plutôt simple pourtant. Forte de l’expérience avec ton frère, j’anticipe : après la tétée d’accueil, je dégaine vite les bouts de sein en silicone pour éviter les crevasses et diminuer légèrement cette sensation merveilleuse d’avoir un petit piranha accroché à mon téton. La douleur est là quand même. Alors je ferme les yeux et je compte jusqu’à dix, le temps qu’elle s’estompe.
Je suis retombée pendant la grossesse sur ce vieux livre, qui explique, dès l’introduction, qu’allaiter ne fait pas mal, jamais, sauf si bébé est mal placé. La bonne blague ! Je jette l’ouvrage dans la poubelle jaune pour qu’aucune jeune maman ne tombe dessus. Chez moi ça fait mal au début, c’est comme ça.
L’accompagnement à la maternité est super. Zéro culpabilisation sur les bouts de seins comme ça avait été le cas pour Petit Viking. Mon dossier indique, entouré : “allaitement bébé 1 – 10 mois”. Je rentre dans la catégorie des mamans expérimentées pour qui ça roule. Et en effet, ça roule !
On trouve nos marques toutes les deux. Le grand fauteuil, le plaid tout doux et les guirlandes du sapin de Noël qui clignotent.
Mais tu es la petite troisième alors ce n’est pas tout à fait le même rythme quand même, le stress s’invite régulièrement car je jongle avec les allers-retours à l’école, au foot, au tennis pour tes grands frères. Je t’impose parfois un rythme qui n’est pas le tien, des tétées à heure précise, et je déteste ça…
Il y a la grippe, quelques semaines après ta naissance, qui me terrasse. Je t’allaite en tremblant de fièvre, priant pour ne pas te contaminer. Mais les anticorps font leur travail et tu passes à travers.
Les mois passent et les nuits restent rythmées par les tétées. Sur les conseils de la sage-femme, je tente les tétées allongées, en mode open-bar, même si ce n’est pas notre position préférée. Parfois tu acceptes, souvent tu râles. Alors je nous cale avec mille coussins, pour grappiller quand même quelques minutes de sommeil.
Tu marques très vite ta préférence pour un sein, allant jusqu’à boycotter complètement l’autre. Je cherche une explication : torticolis, engorgement… Non tu es juste relou tu as juste une préférence bien marquée que j’essaie de compenser avec le tire-lait pour ne pas finir complètement asymétrique.
Vers deux, trois mois, les tétées s’espacent. J’apprends à savourer ces quelques heures de liberté même si souvent je me dépêche de revenir près de toi.

On teste les premiers biberons avec mon lait. Le congélateur se remplit de petits sachets. Ma lactation fait le yo-yo. Le stress, la fatigue n’aident pas. Alors parfois tu t’énerves, tu pleures, frustrée que le lait ne coule pas assez vite.
À la visite des quatre mois chez le médecin, la balance stagne. Je pleure et culpabilise… mais je ne lâche pas. On teste, on ajuste. Finalement, on trouve un équilibre : un mélange de tétées et de biberons, de lait maternel et de lait en poudre.
On garde les tétées de la nuit et du petit matin, blotties l’une contre l’autre et, malgré la fatigue, je savoure ces instants suspendus. En fin de journée tu prends des biberons : mon lait ou du lait en poudre selon les stocks, selon nos sorties. Une souplesse qui nous facilite la vie. J’aime ce rythme hybride.
J’investis dans un tire-lait portable qui devient mon meilleur ami. La dame qui me le vend, adorable, me glisse dans le colis de jolis vêtements pour toi. Je tire mon lait partout : en voiture, en marchant, au restaurant pour l’anniversaire de ton arrière-grand-mère.
Je ne sais pas combien de temps encore ce rythme va durer. Alors je savoure.
Depuis quelques semaines, j’essaie de vivre chaque tétée en pleine conscience. Non pas en me disant que c’est peut-être la dernière car c’est trop douloureux mais en savourant chaque sensation : ton petit corps blotti contre moi, ta bouche qui tête, s’arrête, reprend… ta petite main qui cherche mes cheveux, ton souffle qui s’apaise. Puis ton corps qui s’alourdit, endormi et ton sourire aux anges.
Et puis il y a une tétée que je choisis de graver dans mes souvenirs.
Le 24 mai. Veille de la fête des mères.
La journée a été agitée avec tes frères. Le soir, on prend un bain toutes les deux. Tu gazouilles dans l’eau chaude, installée sur moi. Toi qui as tellement détesté le bain les premiers mois de ta vie, tu commences à kiffer. À la sortie, je t’emballe dans une serviette, moi dans mon peignoir. On file dans la chambre. Sous la couette, tu cherches mon sein. Ce n’est pas ton heure pourtant, toi qui ne tètes plus que le matin. Alors je prends ce moment comme un cadeau.
Tu tètes longtemps et je grave tout : ton corps tout chaud contre le mien, ton petit bras potelé, ta main posée sur mon sein. Ton odeur, ta peau, la finesse de tes cils, chaque pli, chaque fossette.
Ton papa nous rejoint, nous entoure avec un plaid et s’installe pour lire à côté de nous. Dans le salon, tes frères jouent. Le temps s’arrête.
Alors ce n’est pas vraiment « la dernière tétée », il y en aura d’autres. Mais c’est celle que je garde en moi. Celle qui restera quand l’allaitement sera derrière nous.

Magique ! J’adore, avec la belle tétée cadeau que tu décris ! Ton texte me rappelle de beaux souvenirs.
L’allaitement est loin derrière moi , mais les souvenirs restent gravés : la petite main, l’interruption de téter de bébé pour capter mon regard et me sourire avant de reprendre la tétée, etc…
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Merci beaucoup pour ton commentaire ! Oui ce sont vraiment des instants magiques qui restent gravés longtemps !
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Je n’ai pas allaité mais j’ai aussi la nostalgie de ce dernier biberon, de ce dernier soir blotti sur mes genoux, nos mains l’une sur l’autre, de t’écouter dégluttir de facon gloutone. (Bizarrement le dernier biberon de 5h30, ne m’a pas vraiment manqué quand il a disparu.)
C’était des instants tellement câlins et paisibles. Avec parfois le sommeil qui arrive où seulement un moment de sérénité tout contre l’autre.
Je regrette d’autant plus que mon aîné n’est pas porté sur les câlins. Et que maintenent qu’ils ne prend plus de bib, il vient rarement sur mes genoux.
Ca ne manque aussi de ne plus voir mon mari donner le bib, ils étaient tellement beaux ensemble !
Je moins eu cette nostalgie pour mon deuxième car il a très vite voulu le faire seul. Il tenait son biberon et aimait le boire tranquille dans son lit/dans le canapé. Et en plus lui continue à me faire des câlins juste pour le plaisir. Donc je n’ai pas perdu ca.
Garde ce magnifique texte pour lui faire lire dans quelques années. Ces jolis souvenirs sont précieux !
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