Cette peur dévorante

Cette peur dévorante

Quand j’essaie de me souvenir de qui j’étais avant d’avoir des enfants je suis souvent frappée par une chose : cette incapacité à nommer une de mes phobies. Et je réalise que, quand j’étais plus jeune, je n’avais pas spécialement peur.

Oui je n’aime pas spécialement les petites bêtes à huit pattes mais je n’ai jamais hurlé pour que mon père vienne s’en occuper à ma place.

Je n’ai jamais eu peur de traverser le garage plongé dans le noir pour aller remettre le compteur en marche suite à une coupure de courant.

J’avais un léger vertige mais dans des conditions très particulières (genre arrivée tout en haut du mur d’escalade, le jour de la notation du bac, quand mon amie qui m’assurait avait lâché 3 mètres de mou pour que je puisse m’accrocher au dernier mousqueton et que mes mains avaient décidé de ne plus bouger) mais sinon rien de bien marquant.

Mais depuis que je suis maman cela a bien changé.

J’ai peur de mourir

Une peur panique de disparaître. Pas pour moi non (Monsieur Génial trouve même que mon instinct de survie est parfois un peu trop faible à son goût) mais pour mes enfants. Je suis terrorisée à l’idée de les laisser. De ne pas pouvoir les voir grandir. De leur infliger une perte qui les impacterait toute leur vie.

Pourtant j’ai failli mourir il n’y a pas si longtemps que ça, dans des circonstances très particulières aussi, mais je me souviens avoir vécu tout ça dans un calme étonnant. Je n’avais pas d’enfant, je n’étais donc indispensable à personne. Oui bien évidemment mes proches auraient eu de la peine, mais je n’avais pas peur de les laisser, ils se relèveraient sans moi même si ça serait difficile.

Mais pour mes enfants, ce n’est pas envisageable. C’est moi qui ai décidé de les avoir avec leur père, et je me refuse de les laisser grandir dans un monde où je n’existerais plus.

Aujourd’hui j’en fais des cauchemars, mais ce n’est même pas ma pire peur…

Crédits Photo : Sodanie Chea

J’ai peur qu’ils meurent

Et cette peur là me dévore, me fige parfois dans un moment anodin du quotidien. Cette peur là s’invite parfois sans prévenir et m’empêche de respirer, j’en ai la tête qui tourne et la poitrine qui serre. Elle remplit ma tête de « Et si… », me fait vérifier qu’ils respirent la nuit, me donne envie de les enfermer dans une bulle.

Rien que d’en parler, de l’écrire, j’ai les larmes aux yeux. Rien que de savoir que certains parents vivent cet enfer me donne la nausée et le vertige.

Ce n’est pas l’ordre des choses, un enfant ne devrait pas mourir avant ses parents. Un parent ne devrait pas devoir apprendre à vivre sans son enfant.

Quand j’étais plus jeune j’ai perdu un ami. Je connaissais très bien ses parents, nos familles ont un lien très particulier depuis de nombreuses années. J’avais 15 ans et pourtant j’ai encore un souvenir très vif de ces journées. L’annonce, les jours brumeux, l’enterrement et sa mère pleurant dans mes bras, mais surtout l’après. Le comportement de ses parents, sa mère qui semblait survivre autant qu’elle me semblait flirter avec la mort. J’avais du mal à la comprendre à ce moment-là. Oui elle venait de vivre un enfer mais elle avait d’autres enfants (qui vivaient une perte violente eux aussi) et elle me semblait vouloir mourir et ça me dépassait.

Puis j’ai eu Petit A. et j’ai compris. Tout, d’un coup, m’est devenu clair. D’autant plus que l’accouchement s’étant assez mal passé, après une grossesse délicate, le spectre de le perdre a été présent assez fortement, assez tôt. Et j’ai compris qu’on pouvait avoir envie de mourir plutôt que de survivre. J’ai compris cette impression qu’elle avait dû avoir de voir son cœur arraché de sa poitrine et de ne plus concevoir l’intérêt de vivre. Et j’ai senti cette peur grandir.

Je vais être honnête j’ai beaucoup de mal à finir cet article. J’aimerais dire que cette peur est contrôlable, que j’ai trouvé des astuces pour réussir à passer outre, mais la vérité est que je n’en ai pas.

La vérité c’est que je suis régulièrement paralysée par cette peur, la vérité c’est que je ne pense pas un jour réussir à m’en défaire. La vérité c’est que j’ai maintenant peur de la mort.

La vérité c’est que j’ai découvert ce qu’était la véritable peur le jour où mes enfants sont nés, et que cette peur me dévore.

16 commentaires sur “Cette peur dévorante

  1. Merci d’avoir mis des mots sur ce que j’ai ressenti quand mes enfants étaient petits, et même encore maintenant… Et cela s’est encore avivé avec la naissance de mes petits enfants et mon âge qui avance. Oui, cette peur ne nous quitte jamais, il faut l’apprivoiser. Car la mort fait partie de la vie et cette pandémie nous le rappelle tous les jours en la faisant sortir de l’ombre.

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  2. C’est exactement ce que je vis. Je n etais pas hypocondriaque et maintenant je le suis. J ai toujours peur d avoir un cancer ou une maladie neurologie dégénérative. Et pour mes deux enfants, c est encore pire. Pourtant ma mère me dit qu elle, elle n a jamais eu peur. Qu elle savait que ça allait aller. Peut-être parce qu elle nous a eu bien jeune? On n a pas le même rapport a la mort à 40 ans (mon âge, j ai eu mon aîné à 36 ans, après Fiv et compagnie) qu à 23 ans…

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    1. L’âge doit jouer oui. Moi j’ai été maman « jeune » donc je n’ai pas peur des maladies pour moi mais plus d’un accident ou autre. Après je pense qu’on vit toutes notre maternité différement et certaines sont sereines heureusement.

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  3. C’est drôle on en parlait hier avec une amie qui a eu ce genre de peur panique à la naissance de sa fille. Elle a fini par consulter et en deux séances les choses allaient mieux. Bien sur elle continue de s’inquiéter pour ses enfants mais c’est redevenu quelque chose de contrôlé dans sa vie. Peut-être une piste ?
    Courage !

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    1. Ce n’est pas une peur panique pour ma part. C’est plus une conscience permanente que tout peut basculer. Je n’ai rien contre un suivi psy j’en ai déjà effectué plusieurs au cours de ma vie mais je ne pense pas que ça changera quoi que ce soit dans ce cas là mais merci pour la piste!

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  4. Merci Mae pour cet article. On sent très clairement ta peur au travers de tes mots. Ici situation un peu différente. Je fais partie de ces parents qui ont perdu un enfant( mon premier- mort fœtale in utero à terme). Je peux aujourd’hui te dire que j’ai intégré la mort comme faisant partie de la vie. J’ai eu deux autres enfants par la suite. Parfois une petite voix me dit que je ne les verrai peut être pas grandir et oui cela est possible mais je réponds à cette voix en lui disant que je savoure chaque moment avec eux, que j’essaie régulièrement de faire des arrêts sur image pour me souvenir, que je donne à mes enfants de la confiance et de l’amour tant que je peux. J’ai une foi inconditionnelle en cette confiance qui fera qu’ils surmonteront les épreuves même celle de me me « perdre » un jour (le plus tard est le mieux bien sur). Quant à les perdre eux… la vie est la vie, elle n’est ni juste ni injuste. Bien sur que des fois j’ai peur et imagine le pire, bien sur que j’aimerais les protéger de tout. Mais je ne peux pas. Pour lâcher prise et prendre du recul, j’ai fait mienne une citation d’Agnès Ledig « Je fais de mon mieux, dans le respect de moi- même, avec les cartes de l’instant. Le reste appartient à la Vie. » J’espère t’apporter un peu de recul sur cette peur.

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  5. Courage !
    Ici la naissance de mes enfants à fait naître 2 peurs en moi.
    – Celle que mon conjoint meure et me laisse seule, trop désespérée pour m’occuper de mes enfants et les aider à surmonter cette peine et aussi parfois juste que je me retrouve maman solo a temps plein sans temps pour moi.
    – Que mes parents meurent car j’ai pris conscience que je vieillissais et qu’eux aussi. Et je ne me sens pas prête à vivre sans eux !
    Pour le moment j’arrive sans trop de mal à repousser mes peurs. Mais ca me rend quand même parfois mélancolique.

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    1. J’étais déjà terrorisée par la mort de mon mari avant d’avoir des enfants donc ça n’a pas trop changé depuis lors même si en veillissant je le vis mieux. Je suis de base très mauvaise dans ma gestion des deuils donc je refusais de me dire que mes proches pouvaient mourir. Mais la grossesse est intimement lié à la mort et je pense que c’est ça qui m’a fait tout réaliser. Comme tu dis la plupart du temps on arrive à repousser tout ça… et parfois non.

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  6. Ça doit être vraiment dur de devoir supporter ça tous les jours ! Comme disait une commentatrice plus haut, n’hésite pas à te faire accompagner pour apprivoiser ses peurs, parce que oui malheureusement on doit vivre avec…
    Je ne sais pas si ceci va t’aider mais ayant perdu mes parents jeunes, je peux au moins te dire qu’on peut avoir une belle vie malgré ça. Quant à la mort des enfants, ma mère disait qu’avoir peur des choses ne les empêchent pas d’arriver, c’est seulement s’infliger soit une peine inutile si ça n’arrive pas, soit une double peine si ça devait arriver (une fois par anticipation, et une fois en vraie). Plus facile à dire qu’à faire certainement mais c’est une façon de penser qui marche pour moi.

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    1. Merci pour ton commentaire. Pour te rassurer je n’ai pas peur en permanence, c’est juste que parfois ça m’envahi et je dois me reprendre. Mais pour avoir fait plusieurs psychanalyse je ne pense pas que ça aidera en quoi que ca soit dans ce cas là. Et je note ce que te disais ta mère qui est très vrai!

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  7. Pour ma part j’avais peur de tout cela avant d’avoir le petit chat. C’est d’ailleurs ce qui m’a fait attendre un moment avant d’envisager d’avoir des enfants. Il fallait que j’apprivoise la peur de la mort : la mienne, celles de mes parents et celles de mes potentiels enfants. Je crois qu’aujourd’hui je vis mieux avec elle. Je suis plus apaisée. Mais effectivement, c’est un choc de donner la vie quand on sait ce qu’il y a au bout. On espère que ce soit le plus loin possible, pour tous.
    J’ai aussi vu des proches, vivre la découverte d’une maladie incurable et une mort proche, d’un bébé… Leur force et leur courage m’ont fait voir la chose différemment : ils l’ont aimée beaucoup en peu de temps. Donc maintenant je savoure la chance que j’ai d’avoir des enfants en pleine santé, vivants (un peu trop ^^), que j’aime de tout mon être, pour qu’au cas où, ils aient eu tout l’amour possible.

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  8. Je vous trouve extrêmement courageuse d’avoir écrit cet article. Peut être que parler à un professionnel vous permettrait d’accéder à plus de sérénité.
    Cela dit, je comprends vos peurs, même si je ne suis pas maman. Et pour avoir perdu enfant mon petit frère, je vous confirme qu’il n’y a rien de pire pour des parents que de perdre un enfant. Les miens ont su se reconstruire, mais plus de 30 ans après, le vide est toujours là. Y compris pour moi. Entre autres raisons, c’est pour cela que je n’ai pas voulu d’enfant.
    Je n’ai pas peur de mourir ( bien plus de souffrir), mais ne voudrais pas mourir avant mes parents. Je vous souhaite de profiter au maximum de moments complices avec vos enfants et des petits bonheurs quotidiens.

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    1. Toutes mes condoléances pour votre petit frère. L’ordre des choses voudraient que les parents meurent en premier et le plus tard possible. Malheureusement ce n’est pas toujours le cas. Merci pour vos souhaits je tente effectivement de les mettre en application le plus possible et de profiter de tous les moments possibles.

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