Dommages collatéraux
Manu Chao chante en boucle« Je ne t’aime plus, mon amour » dans la maison depuis quelques semaines.
Ma mère chantonne les paroles alors qu’elle ne chante jamais.
Mon père est parti depuis plusieurs semaines maintenant.
J’ai 14 ans et je pleure en silence dans ma chambre. Je suis traversée par de multiples émotions et sentiments. Parce que je suis une adolescente qui a l’impression que tout son monde s’est effondré autour d’elle.
Alors c’est ça l’amour ? Ce n’est pas tout est bien qui finit bien comme dans les films de Disney ? Ce n’est pas non plus romanesque comme dans les romans ? Il n’y a rien de beau ou de dramatiquement romantique dans la séparation de mes parents. Il n’y a pas de raison impérieuse à cette rupture. Non, la naïveté et la confiance en la vie dont je faisais preuve a disparu dans leurs silences.

Maman la semaine, papa le dimanche
Il n’y a pas eu d’assiettes cassées, il n’y a pas eu de cris et de larmes, non, jamais. C’est arrivé sans crier gare pour une adolescente qui pensait qu’un couple, qu’une famille, ça ressemblait à ça.
Oh, il y avait bien eu des preuves qu’ailleurs c’était différent. Je voyais bien que chez mes copines, leurs pères n’étaient pas en déplacement tous les soirs et que les week-ends étaient partagés en famille. Mais pourquoi remettre en question un modèle qui semblait fonctionner chez nous ?
Paradoxalement, je passerai plus de temps de qualité avec mon père après la séparation. Avoir un temps dédié à ses filles, une fois par semaine, finalement, c’était ce qui lui fallait pour se rendre compte que nous existions.
De l’autre côté, ma mère a dû assumer tout le quotidien, ne récolter que notre mauvaise humeur de la semaine et avoir juste le dimanche de libre pour pleurer au début, puis souffler un peu par la suite. Pendant que mon père avait toutes ses semaines libres et ne nous emmenait pas en vacances non plus, faute de moyens.
La séparation a projeté ma mère dans les tristes statistiques des familles monoparentales. La galère pour joindre les deux bouts. Au lycée, mes deux meilleures copines vivaient la même situation que moi. Le moment de remettre le chèque pour la cantine était une hantise parce que nous savions que nos mères étaient obligées de faire des chèques en bois et qu’il fallait bien préciser la date à laquelle il pourrait être débité.
Alors, je pleure sur une histoire cassée, bancale, peu heureuse. Sur tout ce que je n’ai pas su déceler du haut de mes 14 ans. Ils tenteront de partager avec nous leur séparation à coup de « ton père est un salaud » et « ta mère ne m’a jamais compris ». Ballottée entre elle, lui et la découverte des premiers émois d’une adolescente.
J’ai tellement entendu ma mère détester mon père et tout ce qu’il représentait pour elle que je me suis éloignée d’elle. Son venin n’a fait que me rapprocher de lui, à son grand désespoir. Du haut du piédestal où je l’avais érigée, la chute fut quasi mortelle pour ma relation avec mon père.
Grandir d’un coup
A 14 ans, j’ai grandi d’un coup. J’ai appris à m’occuper de ma sœur, plus jeune de 6 ans, les soirs où ma mère rentrait trop tard, sans doute abattue par cette séparation. J’ai appris à ne rien demander parce que je voyais les factures s’accumuler sur le meuble de l’entrée. J’ai compris qu’on pouvait basculer dans la pauvreté du jour au lendemain quand des huissiers sont venus faire l’inventaire de ce que nous avions chez nous. J’ai appris à garder les secrets de mon père, bien trop lourds pour une gamine de cet âge. J’ai appris à encaisser l’amertume de ma mère, et j’ai appris qu’elle pouvait détester mon père au point de me demander de quitter la maison parce qu’elle ne supportait pas de me voir proche de lui.
Je crois que je me suis remise assez rapidement du fait qu’ils se séparent. Après tout, pourquoi rester avec quelqu’un qu’on ne supporte plus ?
Ce n’est pas la séparation qui m’a fait du mal.
Gérer l’après
J’ai mis du temps à le comprendre. Mais en observant les autres séparations des parents d’amis autour de moi, j’ai compris que ce n’était pas fatalement un drame affreux rempli de culpabilité, de conflit de loyauté et d’amertume.
Et c’était lié à la façon dont leurs parents avaient géré l’après. Voir mon oncle et ma tante toujours amis des années après la séparation, m’a toujours réchauffé le cœur. Sans en demander autant à mes parents, j’aurais aimé qu’ils soient suffisamment matures ou adultes, pour nous éviter cette guerre qui a duré presque aussi longtemps que le temps qu’ils ont passé ensemble (20 ans !). Et même si je comprenais très bien la souffrance de ma mère, j’aurais voulu qu’elle « s’oublie » pour penser réellement à nous, à ce qui nous ferait le moins de mal.
Aujourd’hui encore, ils ne se parlent pas. Et si mon père n’a pas d’animosité envers ma mère et n’en a jamais eu, la rancœur qu’elle a entretenue à son sujet a fait tellement mal à toutes nos relations qu’il est impossible pour elle de revenir en arrière. Elle n’est plus en colère, et c’est déjà bien, on peut parler sereinement de lui alors qu’à une époque on ne devait même pas le mentionner.
J’avais 14 ans quand mes parents se sont séparés, mais ma sœur n’en avait que 8. Pour elle, la claque a été énorme, parce que personne n’a pris la peine de lui expliquer ce qui se passait, ni mon père, ni ma mère, ni moi, chacun enfermé dans sa propre souffrance.
La banalité n’évite pas la souffrance
Alors quand on banalise la séparation en affichant toujours les statistiques comme pour prouver que ce n’est pas si grave, je tique toujours un peu.
Ce n’est pas parce que quelque chose arrive souvent qu’il ne fait souffrir personne.
Les couples qui se séparent souffrent toujours, même s’il y avait 1 chance sur 3 que ça arrive.
Quant aux enfants, bien évidemment, ils subissent de plein fouet les séparations, même si on aimerait penser le contraire.
Heureusement, leurs vies ne sont pas gâchées pour autant. Bien au contraire, j’aime à penser qu’il peut s’agir d’un renouveau positif pour eux de voir leurs parents heureux séparés.
Si le couple n’a pas fonctionné, la séparation peut être une totale réussite en montrant aux enfants qu’ils n’ont pas à choisir, qu’ils ne sont pas responsables de cette nouvelle situation, et que bien d’autres choses positives arriveront dans cette nouvelle vie de famille.
Parce qu’une famille, ce n’est pas nécessairement un papa, une maman et des enfants. La famille est multiple, la famille est celle que nous adoptons.
Tristement, je pense qu’il y a autant de séparations « ratées », qui font aitant souffrir les enfants que les parents, que de non-séparations qui entrainent elles aussi leur lot de souffrances. Quels que soient les choix des parents, les enfants ne sont de toute façon jamais préparés. Ton article résonne en moi, car contrairement à toi, mes parents ne se sont jamais séparés, et même si ça me faisait peur, je rêvais de ce jour où ils auraient le courage de se quitter afin de ne plus vivre dans les cris et les pleurs. Quand j’entends certains parents qui disent qu’ils restent pour leurs enfants il ne se rendent pas compte à quel point cela peut être tout autant douloureux et au final personne n’en tire aucun bénéfice.
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Oui, ça doit être aussi terrible en tant qu’enfant de voir ses parents se faire du mal au quotidien. Rester pour les enfants, comme tu le dis, ça n’apporte rien de bon à aucun membre de la famille…
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ta situation à l’époque me fait penser au livre de Virginie Grimaldi : il est grand temps de rallumer les étoiles. Tu l’as peut être déjà lu ?
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Je ne l’ai pas lu, mais ça me donne envie de le lire ! Merci !
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Ton article me touche beaucoup. C’était ma plus grande crainte quand je me suis séparée du père de mon fils : faire voler tout son monde en éclat et lui imposer une situation qu’il n’avait pas choisi. Nous avons fait au mieux pour communiquer (entre nous, et avec lui) et pour que rien ne repose sur lui… Il nous dira dans quelques années si nous avons réussi 😉 J’aime beaucoup tes deux dernières phrases que je trouve très juste !
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Je me doute que ça n’a pas dû être facile, mais vous avez l’air de communiquer encore, il ne se retrouve pas au milieu d’une guerre ! C’est hyper positif !
Et surtout, j’ai le sentiment que c’est « moins difficile » à vivre pour un tout-petit que pour un enfant plus grand… Mais bon, chaque situation est différente alors je n’en ferais pas une généralité…
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j’ai vecu beaucoup de chose que tu décris c’est assez troublant..
a l’époque, ma mère a tellement été étouffée par le poids de notre charge (nous étions 3 ) qu’aujourd’hui maintenant que nous somme adultes elle vit sa vie assez égoïstement sans trop prendre de temps pour nous..
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