Chapitre 2 : le libraire

Chapitre 2 : le libraire

– Il doit y avoir des registres de population. Dans les paroisses de la ville peut-être ? C’est une petite ville, peut-être que si on demande aux commerçants, quelqu’un connaîtra une Méline ? Ou même une dame avec un k-way rose. Tu penses qu’elle avait quel âge ?
–   Probablement 80 ans, non ? Tiens, tu ne t’es pas demandé pourquoi ils sont partis vers les dunes ? Il y a peut-être quelque chose là-bas. Ça sera l’occasion de se balader. 
– Bonne idée ! Si le vent n’a pas tout soufflé, on pourra peut-être suivre leurs traces.

Mina éclata de rire. 

– Après Agatha Christie, tu nous fais Rex chien flic ! Ça promet. Bon, tu m’as convaincue que ça pouvait être intéressant. Mais blague à part, je suis quand même inquiète pour cette dame. Elle semblait tellement mal et perdue. Et ces gens avaient l’air si antipathique ! Ils m’ont fait froid dans le dos, pas toi ?
– Oui, je suis d’accord, ils m’ont mise mal à l’aise.

Les deux femmes terminèrent leur brunch et sortirent dans le vent frais de la côte. L’odeur d’iode était omniprésente et avait un petit côté à la fois mystérieux et réconfortant. Joe et Mina prirent la décision de commencer par aller inspecter les dunes, depuis l’endroit où avaient disparu le couple et la vieille dame. 

Sur le chemin vers les dunes elles croisèrent le chemin d’un monsieur d’une cinquantaine d’années qui se tenait devant sa camionnette “Les livres itinérants de Méline depuis 1930”.

Mina s’arrêta net, elle dit à Joe “Regarde, il y a écrit Méline. Viens, on va demander d’où vient ce nom”.

Le monsieur discutait avec un client du livre de D.H. Lawrence “l’Amant de lady Chatterley”, le débat était houleux. Le client ne semblait pas très disposé à ce que ce roman ne soit pas censuré et soit même vendu dans une petite librairie itinérante des bords de plage. Pourtant, outre la qualité littéraire de ce roman que le libraire mettait en avant, les deux amies avaient également l’impression que ce livre revêtait une grande importance pour lui et son commerce. 

Les deux femmes eurent une furieuse envie de s’inviter dans la conversation mais elles se ravisèrent et se permirent d’interrompre la conversation au prétexte de vouloir s’acheter chacune un bon roman à déguster sur une serviette de plage.

Le libraire était ravi d’avoir l’occasion de couper court au débat stérile dans lequel il était embourbé.

Rapidement, Mina et Joe trouvèrent chacune un roman “feel good” à lire puis au moment de payer, Joe fit mine de découvrir l’inscription sur le camion et demanda au commerçant “Oh tiens, c’est rare Méline comme prénom, d’où ça vient ?”

Le client, qui n’était pas encore parti et qui espérait bien convaincre le libraire de supprimer l’ouvrage de D.H. Lawrence de son rayonnage tourna d’un coup les talons et beugla “Une Lady Chatterley bien dévergondée” avant de partir.

Face au regard ébahi des deux amies, le libraire ne se laissa pas démonter pour autant et répondit “Méline est celle qui a ouvert cette librairie itinérante. C’était mon arrière-grand-mère. Elle et son mari vivaient dans la plus grande maison de la côte. Il se raconte que Méline a eu une relation avec le garde-chasse et que sa fille, ma grand-mère, serait née de cette liaison. Le mari de Méline serait décédé quand il l’a appris. Elle a alors été obligée de travailler et, passionnée par les lettres, elle a décidé d’ouvrir une petite librairie dans une carriole en 1930, deux ans après l’écriture du fameux roman l’Amant de Lady Chatterley. Il se murmure que le livre était grandement inspiré de son histoire. La presse locale en avait fait les choux gras à cette époque mais j’ai fait des recherches et je n’ai rien trouvé de concluant.”

Joe demanda : “C’est donc pour ça que vous sembliez y tenir autant dans votre rayon. Qu’est devenue Méline ensuite ? Son affaire semble avoir bien tourné puisque vous la perpétuez.”

Le libraire répondit “Oui elle a fonctionné. Sa fille, ma grand-mère Yvette, a repris la succession de la librairie dès qu’elle eut l’âge puis sa mère a disparu. Ma mère, prénommée Marie, a également repris le commerce puis sa mère a disparu. Il se murmure qu’il y aurait une malédiction avec ce commerce. J’ai repris la librairie plus tard que ne l’avaient fait mes aïeules à l’époque mais ma mère a également disparu il y a vingt ans maintenant. Nous l’avons beaucoup cherchée avec mon frère. Nous n’avons trouvé que son manteau échoué sur la plage 3 mois après sa disparition.”

Il ajouta “Restons positifs, la malédiction s’arrêtera après moi, je suis un homme et en plus, je n’ai pas d’enfant.”

En riant elles ne virent pas arriver les clients dans leur dos et la discussion avec le libraire se conclut sur ce fou rire.

En s’éloignant les deux filles se demandèrent si la femme sur la plage pouvait avoir un lien avec la mère disparue du libraire. Elle semblait trop vieille pour être sa mère mais les effets du soleil et du sel peuvent avoir donné une idée erronée sur son âge.

Arrivées de l’autre côté des dunes, elles ne s’attendaient pas à tomber sur un tel paysage. Une grosse partie de la côte était bordée par un haut grillage.

– Je me demande bien qui habite là? s’étonna Joe
– Quelqu’un qui sait jouir de la vie à n’en pas douter vu la taille de cette propriété et son accès direct sur la plage, ironisa Mina.
– Tu es décidément hilarante comme fille, parfois je me dis que c’est notre humour de merde qui nous rapproche, et puis après tu fais une blague et je me souviens que non le tien est définitivement plus nul que le mien. Puis elle fit une pause et ajouta : Bon du coup tu ne vois pas d’inconvénients à ce qu’on essaie de savoir ce qu’il se passe derrière ce haut grillage?
– Pas besoin de s’avancer pour voir qu’il contient un jardin en friche à la limite d’une forêt, continua Mina sur un ton moqueur, mais la blague ne lui servait qu’à cacher son impatience qui commençait à poindre. 

Elle voulait finalement savoir elle aussi ou avaient disparu la vieille femme et le couple. Et si c’était dans cette propriété qui semblait à l’abandon?

Mina s’élança à la suite de Joe qui marchait d’un pas décidé vers le grillage “Regarde on aperçoit une clôture au loin à l’intérieur du grillage. Je ne sais pas ce que contient cette propriété mais on veut clairement empêcher les gens de rentrer… ou de sortir!” et elle commença à longer le grillage en partant à l’opposé de la mer.

Au bout de plusieurs minutes de marche, les filles aperçurent un portillon. 

– Joe n’y pense même pas ! ordonna Mina
– Tu ne crois quand même pas qu’on va s’arrêter là? Il n’y a aucun panneau indiquant que l’entrée est interdite je te ferais remarquer. Donc au final si ce n’est pas interdit c’est que c’est autorisé. fanfaronna Joe en ouvrant le portillon.

Derrière il y avait visiblement un chemin piéton qui semblait mener à la clôture intérieure. A contre-coeur Mina suivit Joe sur le sentier.

Mais une fois arrivé au bout, il y avait bien une porte dans la clôture, mais fermée cette fois-ci !

En revanche, une fois proches de la clôture, elles purent apercevoir ce que cachait le terrain en friche. Un magnifique parc au fond duquel semblait trôner une ancienne maison bourgeoise. Et sur le côté de la porte dans la clotûre un petit panneau “Entrée de service”. La porte était protégée par un système de code des deux côtés.

– Sors ton téléphone Mina il a un meilleur zoom je veux voir ce qu’il y a écrit sur le panneau que j’aperçois sur la bâtisse, souffla Joe

Mina farfouilla un instant dans son sac avant de mettre la main sur son portable. Ce petit bijou de technologie avait effectivement un excellent appareil photo qui leur permit de déchiffrer “villa de Bon Repos”. 

– Villa de Bon Repos ? Est-ce que c’est juste le nom de la bâtisse ? se demanda Mina
– Demande à ton ami Google ! proposa Joe 
– La Villa de Bon repos à Saint-Charmin-les-dunes était une clinique psychiatrique  initialement spécialisée dans le traitement des obusites, un trouble de stress post-traumatique qui touchait les poilus. La villa, typique de l’architecture de la fin du XIXème siècle a été désertée au début des années 30 après que le dernier patient ait été identifié et récupéré par sa famille. Depuis, la villa n’est plus habitée, même si la légende veut que des soldats allemands y aient laissé des tableaux de grande valeur, lut Mina
– Désertée, hein ? Elle me semble quand même sacrément habitée, pour une villa désertée, pointa Joe en indiquant la clôture en bon état et surtout le sentier qui s’était formé au milieu de l’herbe en friche. 
– Effectivement…

Mina était songeuse. Elle pesait le pour et le contre. Plus réfléchie que son amie, elle se demandait si entrer dans cette propriété, manifestement privée, n’était pas dangereux. Bien loin de se poser toutes ses questions, Joe avait franchi la clôture en rampant à moitié sous le grillage déjà partiellement détendu.

– Bon, tu viens ou tu accouches ?! dit-elle à son amie, en époussetant les petits brins de salicorne qui s’étaient coincés dans les grosses mailles de son tricot.
– Non mais, Joe ! Tu es complètement inconsciente ! Imagine que l’on nous voit ? Ou qu’il y ait des chiens ! Comment est-ce que tu justifies que l’on soit là ?!

Mina était scandalisée par la désinvolture de Joe. Elle avait beau la connaître, tous ses sens la mettaient en garde contre l’envie d’aller plus loin. « Je t’ai connue moins poltronne, répliqua Joe d’un air narquois. »

Mina était réellement inquiète. Ce qui avait commencé comme une banale rencontre un peu mystérieuse devenait maintenant un délit. En voyant Joe s’éloigner, Mina se décida subitement et franchit aisément l’espace sous la clôture. En quelques enjambées, elle avait rejoint Joe qui se trouvait encore à une trentaine de mètres de la bâtisse.

crédit photo : Unsplash

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