Pas pratique

Pas pratique

Ton enterrement s’est déroulé en août, marqué par de nombreuses absences. Mais tu comprends, ce n’était pas pratique comme date. Quel idée de mourir pendant les vacances d’été en même temps.

Ce n’est pas pratique, on a pleuré un jour sur deux pendant nos vacances, quand ta vie n’était plus accrochée qu’à un fil.

Ce n’est pas pratique, j’ai dû annuler le centre de loisirs des enfants au dernier moment (mais ils ont eu le plaisir de m’annoncer qu’il ne me ferait pas payer une pénalité mais juste une carence…).

Ce n’est pas pratique de venir à ton enterrement, parce que là pour le coup on n’est pas en région parisienne.

Ce n’est pas pratique d’interrompre nos vacances, ça tombe vraiment au mauvais moment.

Cet été, j’ai découvert qu’il y avait visiblement des morts plus pratiques que d’autres. Celles qui daignent être bien placées. En novembre par exemple, quand tout est déprimant, et qu’on n’a pas encore commencé les décorations de Noël. Là ça devient pas pratique non plus, ça gâche l’ambiance.

Moi aussi je ne l’ai pas trouvé pratique. Mais parce que je la refuse. Elle n’est pas pratique parce que je n’étais pas prête. Et je ne le suis toujours pas. Et j’ai trouvé ça encore moins pratique de voir comme toute une vie pouvait être oubliée pour des vacances.

Je n’ai pas trouvé pratique de ne pas pouvoir vous dire d’aller vous faire cuire un œuf, si c’était trop vous demander que de venir dire au revoir.

Crédits Photo : Pavlofox (Creative Commons)

Je n’ai pas trouvé pratique de ne pas pouvoir vous hurler que les enterrements c’était pour les vivants et qu’on aurait eu besoin de vous, d’avoir l’impression que vous n’en aviez pas rien à faire, quand de notre côté une partie de notre vie semblait disparaitre en poussière.

Ce n’est pas pratique de devoir accompagner ses proches à l’hôpital quand ils vont voir l’oncologue et qu’on ne veut pas qu’ils soient seuls face à une potentielle mauvaise nouvelle.

Ce n’est pas pratique de partir en pleine période d’essai pour aller à un enterrement. Et pourtant je l’ai fait. Deux fois.

Ce n’est pas pratique de devoir acheter des vêtements spécialement pour un enterrement.

Ce n’est pas pratique de passer des heures à trouver des chansons en sachant qu’elles ne pourront plus jamais être écoutées sans pleurer.

Ce n’est pas pratique de paniquer dès qu’on a un appel en pleine journée.

Ce n’est pas pratique de compter les jours qui nous séparent de Noël/d’une fête/d’une célébration et de calculer la probabilité que tu sois encore parmi nous à cette date là.

Ce n’est pas pratique d’habiter loin et de ne pouvoir soutenir ses proches qu’à moitié à cause de la distance.

Ce n’est pas pratique la maladie, ni la mort.

La vie, ce n’est pas pratique.

Mais elle n’a pas pour but d’être pratique, juste d’être vécue. Parfois belle, parfois triste, mais surtout ensemble.

A quel moment on en arrive à trouver pratique un enterrement? Quand il s’insère bien dans nos emplois du temps? Quand on avait prévu que ça arrive et que ça tombe pile poil ? Et puis que ça nous permet d’avoir des jours de congés alors que nous n’avons besoin de nous déplacer qu’une demi journée, donc à nous Netflix pour le reste du temps?

A quel moment on en arrive à discuter du caractère pratique d’une mort?

Mais on s’accorde sur un point, ta mort n’avait rien de pratique.

Ce qui aurait été pratique pour moi, c’est que tu sois encore en vie.

13 commentaires sur “Pas pratique

  1. Il en est des moments forts dans la vie où les blessures ne guérissent pas, naissance, mariage et enterrement sont les miens. Je te souhaite d’arriver à prendre du recul pour pardonner mais ce n’est pas facile.
    Je te présente toutes mes condoléances et te souhaite un deuil un peu doux, bercé par les souvenirs et centré sur la personne chère à ton coeur plutôt que plein de rancœur envers d’autres qui n’ont rien à faire là.

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  2. tout d’abord, je te transmet toutes mes condoléances et me remerciements pour cet article.

    C’est un témoignage poignant et touchant.
    Je suis outrée d’entendre qu’on a pu trouver cet évènement tragique « pas pratique ». Ce qui serait pratique, c’est qu’on puisse choisir notre manière de mourir et la date de notre départ. Mais ça, personne ne le peut. Alors qu’ils aillent tous se faire voir chez les grecs si c’est plus pratique pour eux.

    Je te souhaite de parvenir à rassembler les plus doux des souvenirs pour qu’ils t’apaisent et t’accompagnent dans ton deuil. Puisse cette personne dont tu parles rester dans ton coeur de manière paisible et non plus douloureuse.

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    1. Merci pour tes condoléances.
      Pour le moment l’absence est encore trop douloureuse mais j’apprendrais à vivre avec.
      Il existe un moyen de choisir la date de sa mort et la façon de le faire, mais je ne suis pas sure que cela soit une solution si pratique pour les autres.

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  3. Chère Maé,

    Avant toute chose, je vous présente mes sincères condoléances pour la perte qui vous a frappée.

    Je comprends votre colère, et le mot  » pratique » ne devrait jamais être accolé à ce genre d’événement tragique.

    Sachez toutefois que la maladresse et la gaucherie des proches peuvent survenir également le jour des obsèques. Il y a deux ans, aux obsèques de ma grand mère, j’ai failli expulser du funérarium une partie de sa famille.

    Entre la cousine qui n’arrêtait pas de me demander comment j’allais ( à ton avis), celle qui me montrait sur son téléphone les vidéos de ses petits enfants et le cousin qui me racontait ses soucis de prostate, je n’en pouvais plus.
    Je continue à parler à ces gens, mais avoue toujours garder en tête leur comportement indigne ce jour là.

    Je vous souhaite la sérénité et l’apaisement pour cette nouvelle année. Il est vrai toutefois que les cérémonies marquantes de la vie( obsèques, mariage…) nous révèlent parfois un autre visage des personnes. Et il y a un avant et un après. Bon courage à vous.

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    1. Merci pour votre message.
      Il est vrai qu’il ne suffit pas d’être présent, malheureusement même ceux qui sont là peuvent ne pas avoir un comportement approprié. Ma mère s’est d’ailleurs retrouvé à consoler une multitude de gens et je la revois me dire « Je pleure mon père et pourtant c’est à moi de consoler les moins proches », et oui même ceux qui se montraient présents n’avaient pas forcément un comportement adéquat.

      En espérant que le temps apaise nos rancœurs.

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