Vieillir
Je ne fais pas partie de celles qui s’épient le matin dans le miroir. De celles qui traquent les petites ridules. De celles qui essayent de camoufler les cheveux blancs. De celles qui se réfugient derrière un maquillage soigné. Pas encore tout de moins : la société me considère comme jeune. Peut-être en aurait-il été différemment il y a quelques siècles, à l’époque où les femmes de plus de trente ans étaient considérées comme fanées… Mais je vis ici et maintenant. Je suis donc jeune. C’est une évidence que personne ne songerait à remettre en question (à part les enfants, évidemment).
Cependant, très récemment, j’ai réalisé que mes vingt ans s’étaient estompés. Insidieusement, des fragments ont disparu. Des pans entiers de qui j’étais ne sont plus. Rien de nouveau, me direz-vous. Bien que je ne sois pas (encore) vieille, je vieillis. Comme nous tous. Le processus est inéluctable, connu d’avance. Il n’y aucune surprise. Seulement voilà. C’est une chose de le savoir, une autre de le vivre. Et encore une autre de s’en rendre compte. Je ne dirais pas que ça m’a déplu. C’est un simple constat. Je ne nourris aucune amertume vis-à-vis du temps qui passe. Pas encore. C’est ainsi, simplement.

Mais, parfois, mes vingt ans me manquent. C’est une vraie nouveauté.
Il y a l’aspect physique bien sûr. La peau qui était un peu moins abîmée. Les kilos qui étaient plus faciles à perdre. Et, surtout, la récupération qui était tellement plus facile. Je me souviens de ces soirées qui finissaient à l’aube, de ces couchers qui n’en avaient que le nom. Et de ces réveils, difficiles mais possibles. De cet enchaînement vie nocturne vie diurne dans l’insouciance, sûre de ma jeunesse et de ma force. Cette époque est révolue, depuis plusieurs années maintenant. Mais c’est lors d’un week-end entre copines que cette évidence m’a frappée. Nous avons ri, nous avons discuté. Jusque tard dans la nuit. Si le réveil n’a pas été trop compliqué, la semaine fut rude et les couchers vespéraux. J’avais besoin de récupération. Les rythmes effrénés ne sont plus pour moi. (Et les grasses matinées ne sont plus qu’un lointain souvenir.)
Il y a la liberté également. À vingt ans, l’univers des possibles est infini. On croit que le monde nous appartient. Des vacances aventureuses, une expérience inédite, un projet professionnel ambitieux ? Tout est possible, à portée de main. Nos seules limites sont celles que nous nous imposons, consciemment ou non. J’ai eu la chance de grandir préservée. Des maladies, de la mort, de la violence. Je pensais naïvement qu’il en serait ainsi pour toujours. Mon grand copain de l’époque était Épicure. Maintenant, mon univers des possibles s’est fortement restreint. J’ai un travail dans lequel je m’épanouis. Il n’y a que peu de place pour l’improvisation. Pareil pour les voyages. Je ne veux plus dormir à même le trottoir lors de week-end, la conversation avec des inconnus est moins évidente. J’aime l’organisation et la planification. Rien de surprenant ni d’anormal. Mais c’est vrai qu’il y a longtemps que je ne suis plus sentie grisée par une situation.
Il y avait enfin une vie sociale incroyablement riche. Je n’ai pas souvenir de m’être sentie seule ou désœuvrée. Nous vivions tous les uns chez les autres. Un soir sans rien de prévu ? Hop, j’allais chez A, ou B ou peut-être même Z. Le choix était vaste. Il y avait toujours quelqu’un de disponible. Je n’ai pas de souvenirs de soirées (comprendre au sens littéral, c’est à dire le temps du soir et non pas la fête) à moins de cinq ou six. Et beaucoup de souvenirs de soirées à plus de trente. À cet âge, ces amis étaient ma famille. Et maintenant ? J’ai toujours des amis, bien sûr, mais j’ai recentré ma vie autour de ma famille, la vraie. Mes soirées sont beaucoup moins folles, la routine s’est installée. C’est toujours la course. Mais cette course est moins attrayante. Ce sont les devoirs, les bains, les repas, les couchers. Puis la lecture, l’écriture ou les films. Est-ce moins bien ? C’est surtout différent. Autant je me languis de voir les enfants complètements autonomes, autant j’apprécie ces soirées tranquilles. Et je profite davantage de ces soirées extraordinaires où je retrouve des copains. Elles ne se mélangent et ne se confondent plus dans ma tête en une suite interrompue.
Je n’ai plus vingt ans. Je suis adulte. Pleinement et entièrement. Je ne présente pas encore les stigmates de l’âge mais je sais qu’ils sont inévitables. Et je me surprends à penser, de temps en temps, un jour je serai vieille. Alors, parfois, je suis nostalgique de la page vierge que j’avais, que je remplirais probablement différemment maintenant, avec les armes de l’expérience que j’ai acquises.
Mais si je vieillis, cela signifie également que mes enfants grandissent. Et il n’y a rien de plus merveilleux que de voir ses enfants grandir. Bientôt, ce sera leur univers des possibles qui sera infini. Et je serai là pour les aider à trouver leur voie, les aider à écrire quelques chapitres s’ils en ont besoin. Et remplir mon rôle de vieille qui partage expériences et conseils pour leur éviter de faire les mêmes erreurs que moi… qu’ils feront tout de même. Et eux aussi diront d’abord je grandis puis je vieillis.
Pour clore cette chronique, je partage avec toi ma dernière découverte musicale. Peut-être le connais-tu déjà puisqu’il n’a rien de récent ? Il s’agit d’Ásgeir, un auteur-compositeur islandais dont la chanson Youth correspond parfaitement au thème.
Je n’ai pas fait la plupart des choses « de jeunesse » que tu décris (j’avais peu d’amis et ai toujours les mêmes aujourd’hui, détestais le soirées à plus de 10, n’ai fait qu’une nuit blanche de ma vie, jamais dormi ailleurs que sous un toit, bref, tu vois le tableau !). Je ressentais juste les choses de manière plus extrême, ce qui, si ça peut parfois me manquer pour les émotions positives, n’est pas du tout une perte pour les négatives ! Du coup je pense que le choc des 30 ans passés a été moins tangible pour moi. Au contraire, c’est presque plus simple parce que si à 25 ans, je quittais une soirée à 22h, on me traitait de mémé, maintenant plus personne n’y trouve à redire 😀
Bon, le choc viendra peut-être à 45, je sais pas, mais en attendant je te rejoins : c’est vraiment chouette de voir ses enfants grandir !
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Chaque chose en son temps 😉 J’imagine bien que les réflexions dans dix ans ne seront pas identiques à celles d’aujourd’hui^^
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C’est très joliment décrit!.. Moi je vois ma « jeunesse » en plusieurs parties : 1- celle des études que je ne regrette pas (elle contient certes des soirées mémorables et de belles nuits blanches, y compris en beau milieu de semaine, et en effet ce coté « famille-d’ami.es » très liée, mais aussi tellement de stress des concours, examens, devoirs du soir.. et une grande limitation des possibilités au final, au vu du « budget étudiant » et de la nécessité de s’assurer un job à la sortie (pression de l’orentiation, des notes, des stages..)), et puis la partie 2- « jeune actif » que je regrette un peu : encore des soirées de folies (mais le weekend cette fois-ci), une vie de jeune couple avec des responsabilités très minimes (payer ses factures et être à l’heure au bureau) mais tellement de possibilités qui semblaient sans fin (voyages au bout du monde, weekend rando spontanés, expo en nocturnes, soirées impromptues,..). Après comme toi je pense vraiment (enfin j’espère, ne brisez pas mes rêves!) qu’une nouvelle ère nous attend, quand nos fils seront plus grands!.. mais bon certains jours ça me semble si loin..
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Je te rejoins sur tout !!! Et c’est aussi un avantage d’avoir des enfants jeunes : pouvoir encore bien profité quand ils sont grands !)
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Je me retrouve dans ce que tu dis, cette phase de vie différente de la précédente, et sans doute pas la même que celle qui nous attend. Je me dis qu’il faut « profiter » de mes enfants aujourd’hui, quand je suis le « centre » de leur vie, avant qu’elles ne trouvent de nouveaux centres d’intérêts comme je l’ai fait, comme j’ai quitté mes parents pour les copains, les soirées, les voyages… l’amour… Et quand elles entreront dans cette phase où je ne serai plus qu’en arrière-plan pour elles, il y aura une nouvelle page à écrire pour moi, une pleine de maturité et de sagesse qui me poussera sans doute à faire des choses que je ne soupçonnais pas.
Oui, la folle jeunesse est derrière moi, mais elle me tient chaud le soir quand un petit coup de mou arrive, et elle est celle qui fait le ciment de mes amitiés actuelles, qu’on cultive toujours avec le bonheur de se retrouver beaucoup moins souvent mais toujours aussi intensément !
Vieillir, c’est chouette aussi ! 🙂
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Je serai toujours le centre de la vie de mes enfants ! Ah non ?! Pfiou, c’est probablement la prochaine étape. Et tu as raison, il faut profiter de tout maintenant. Nous ne savons pas de quoi demain sera fait, ni même s’il y aura un demain…
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