Qu’est-ce que ça fait, d’être une femme chef, en vrai ?

Qu’est-ce que ça fait d’être une femme chef, en vrai ?

Je poursuis mon retour d’expérience de chef avec une thématique plus spécifiquement féminine. Être une femme chef, ce n’est pas anodin – ça le sera peut-être un jour, en tout cas je l’espère. Si je devais « briefer » une jeune amie qui se lancerait dans une carrière de cadre dite masculine, voici les 5 points que je lui signalerais.

Une précision : mon témoignage est celui d’une femme dans un « monde d’hommes » puisque l’armée, si elle se féminise petit à petit, est encore à 90% masculine (je parle de l’armée de Terre : les chiffres sont un peu plus élevés dans la Marine, l’armée de l’Air ou le service de Santé).

femme en milieu professionnelle
Crédit photo : Werner Heiber

1 – Tout le monde se souvient de toi et tout ce que tu fais est jugé exagérément.

En tant que femme dans un monde d’hommes, tu détonnes. Tu attires tous les regards. On ne peut pas ne pas se souvenir de toi. Je l’ai vérifié lorsque je me suis présentée dans une ancienne affectation dont j’étais partie depuis 3 ans : les préposés au filtrage de l’entrée m’ont immédiatement reconnue.

D’un côté, c’est flatteur, mais d’un autre côté, bonjour la pression : impossible de se fondre dans la masse ou d’espérer passer inaperçue quand on n’est pas au top de sa forme – ce qui arrive forcément de temps à autre.

Dans la même veine, comme tout ce que tu fais est observé dans les moindres détails, le jugement qui en découle est souvent excessif. Excessivement sévère ou excessivement indulgent, ça dépend des fois, mais excessif. Rien de tel pour douter de ses capacités, cultiver un syndrome de l’imposteur, ou, tout simplement, se sentir perdue (mais en fait, je suis nulle ou je suis géniale ? les deux à la fois ? c’est grave docteur ?). Une fois que tu auras compris ça, tu « tiédiras » volontairement chaque éloge ou chaque critique que tu recevras, et tu verras que tu te sentiras bien mieux.

2 – Ton physique : ton meilleur ennemi !

En tant que femme, notre physique est très souvent commenté à tort et à travers. Quand tu es chef, c’est pire :

  • si tu es jeune et jolie, on te jugera peu crédible.
  • si tu es jeune et moins jolie, il y aura toutes sortes de commentaires sur ta vie amoureuse que les gens imaginent comme insatisfaisante (en gros, on te traitera facilement de « mal baisée »).
  • si tu es moins jeune, on te comparera facilement à une sorcière ou à une marâtre.
  • si tu as abordes la quarantaine en étant reconnue comme une belle femme, les mauvaises langues insinueront toujours que tu as joué de ton physique pour réussir.

Etc., etc.

Que faire pour contrer cette détestable habitude ? Je n’ai pas trouvé la recette magique. J’ai choisi de cultiver une apparence très normcore, soignée sans excès, sans artifice mais sans pour autant me « masculiniser ». J’ai aussi essayé de rembarrer ceux qui me faisaient des compliments sur mon physique en répondant que ce n’était pas un sujet de conversation dans le monde professionnel, surtout en ne montrant pas que je me sentais flattée. Je dis « essayé » parce que c’est souvent difficile.

3 – Tu ne peux pas t’appuyer sur ta « grande gueule »  

Il est fréquent que le profil-type attendu d’un chef soit celui d’un homme charismatique, avec une voix qui porte et un physique solide. Difficile de correspondre à ce profil quand on pèse 53kg – quand bien même on est sportive – et qu’on a une voix douce.

Ma parade pour tout de même me construire un personnage d’autorité :

  • travailler la prise de parole en public pour m’exprimer très distinctement, fort et sans stress – le stress rend la voix plus aigüe et décrédibilise direct. Ce n’était pas mon point fort au début de ma carrière ; j’ai donc cassé ma tirelire pour prendre des cours particuliers avec une prof de théâtre. Ce fut un des meilleurs investissements de ma vie.
  • être très exigeante au quotidien et être très franche avec mes subordonnés quand quelque chose ne me convient pas. Par exemple, en cas de rasage approximatif ou d’utilisation de téléphone portable en réunion, je fais immédiatement une remarque. Sans agressivité ni culpabilisation : juste « ceci ne va pas, à corriger pour la prochaine fois« . il suffit d’une ou deux remarques pour que les gens se tiennent à carreau. Corollaire : cela m’impose, à moi-même, une très grande rigueur formelle.

4 – La figure recours : celle de « l’instit’ »

J’aime bien me référer à cette figure quand je me sens perdue. L’institutrice, tout le monde connaît. Son autorité est bien acceptée, elle peut être stricte sans être méchante. Elle pense au bien de ses élèves avant tout, autant à chacun individuellement qu’au groupe en général. Elle guide, corrige, encourage, explique, donne l’exemple. Elle donne aussi des leçons, au sens où elle rappelle la règle, remet dans le droit chemin quand c’est nécessaire.

Pour toutes ces raisons, quand je suis dans le doute quant à l’attitude à adopter, je me dis : « que ferait une bonne institutrice dans ce cas-là ? » ; ça marche bien. De même, quand mes subordonnés tombent dans des querelles de bas niveau, je n’hésite pas à leur dire « arrêtez les disputes de cour de récré, j’ai l’impression d’être dans une classe de CE2 » ; ça les calme très vite !

5 – Le cas des subordonnés amoureux

Haha. Alors celle-là, je ne l’avais pas vue venir. Et personne ne nous apprend à gérer ça à l’école. Inévitablement, sur le grand nombre de subordonnés hommes que j’ai eus sous mes ordres, et au vu de tout le temps que j’ai passé avec eux, parfois dans des conditions spartiates, parfois pour vivre des choses très marquantes …. Hé bien oui, il y en a qui ont eu le béguin pour moi. De manière plus ou moins visible et assumée.

Faire face à ce cas de figure est vraiment un exercice difficile. Je n’ai pas la prétention d’avoir toujours bien réagi. J’ai essayé de ne jamais humilier personne, ne pas me moquer, mais de ne jamais laisser la place au doute non plus : je n’étais pas disponible pour une relation amoureuse. Ma chance, c’est que j’ai toujours été en couple. Et je l’ai toujours fait savoir. Et, dès que j’ai pu, j’ai porté une « fausse alliance » (puis une vraie, rassure-toi).

Quand je sentais un de mes hommes un peu épris, je prenais mes distances physiques comme psychologiques. Pas de pause-café trop bavarde, pas de long trajet en véhicule aux côtés de cette personne, pas de séance de sport en binôme, etc. Et, surtout, rester strictement professionnelle dans le vocabulaire employé : j’ai toujours vouvoyé mes « grands subordonnés » (je tutoyais les hommes du rang, c’est l’usage dans l’armée de Terre), je les ai toujours appelés par leur grade. Cela maintient une saine distance, plus facile à gérer quand on est une femme

5 commentaires sur “Qu’est-ce que ça fait, d’être une femme chef, en vrai ?

  1. oh je trouve tes explications passionantes ! tu vis dans un monde tellement différent du mien c’est super interessant! dans mon domaine 80% féminin je suis sure que j’aurais de toutes autres expériences si jamais j’étais cheffe (mais peu sûr que ça arrive) et certainement pas des responsabilité qui inclues la vie de mes subordonés! – l’histoire des amoureux, je n’aurais jamais pensé, alors que oui probablement que le contexte proche et intense doi être propice en effet!

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  2. Bonjour, merci de ce témoignage tellement vrai. Femme de militaire officier de l’armée de terre, j’ai observé tout ce que tu écris à travers le quotidien d’une de ses collègues de même grade que nous voyions régulièrement pendant leurs années ensemble. Les écoles sont déjà une expérience particulière, et le commandement d’hommes (et de femmes) en régiment ou en mission est effectivement plus complexe à gérer quand on est une femme.
    J’ai moi-même vécu des situations similaires lorsque j’ai travaillé dans le BTP, milieu également très masculin, mais jamais aussi intensément.
    Bravo à toi pour avoir trouvé ton équilibre pour t’imposer et être respectée en étant toi-même, et exercer ton métier et ce qui t’est confié en tant que chef (que le chef soit homme ou femme).

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  3. Je te rejoins complètement dans le premier point. On n’a même pas besoin être cheffe pour ça ! ( je travaille aussi dans un domaine à 90% masculin).
    Tu relèves dans ton point 3 quelque chose qui me dérange chez les femmes cheffes : le besoin d’être super strictes. Les rares femmes managers que j’ai rencontré dans le domaine avait quasi toutes (j’ai une seule exception en tête) tendance à en faire trop pour asseoir leur autorité. Je comprends mieux d’où ça vient grâce à ton explication mais je pense que c’est un peu à double tranchant parce que ça ne joue pas vraiment en faveur de la popularité des cheffes…

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  4. Ah merci pour ce super article !! Je travaille également dans un milieu très masculin, mais je ne suis pas cheffe (j’ai quelques personnes sous ma responsabilité scientifique et technique, donc je joue le rôle de leur supérieure au quotidien, mais pas d’un point de vue administratif).
    Je me retrouve évidemment dans chacun de tes points (hormis peut-être celui sur la sévérité ou l’exigence, mais ça doit venir du milieu dans lequel je travaille). Et surtout, je te remercie d’avoir abordé le dernier point, sur les collègues ayant le béguin : j’ai déjà été confrontée à plusieurs reprises à cette situation, et c’est toujours très compliqué à gérer. Ca me fait du bien de lire que ça arrive à d’autres, que ce n’est pas si rare.

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