féministe ?
Pendant très longtemps, je ne me suis pas sentie féministe. Je me suis toujours sentie éloignée des revendications et des préoccupations des féministes. Pour moi, l’égalité en France était acquise avec la possibilité pour une femme d’avoir un métier, d’être indépendante, d’être autonome sans la tutelle de quiconque, de pouvoir faire ses choix, d’avoir accès à l’IVG, aux études qu’elle souhaite… Autant de choses qui me paraissaient suffisantes même si bien sûr on peut toujours faire mieux.
Mon éducation en la matière
Cette impression est renforcée par le fait que bien que ma maman ait été jusqu’à mes 20 ans mère au foyer, mon papa faisait beaucoup à la maison : il cuisinait, aidait au ménage, bricolait et s’occupait même de nous la nuit pour que ma maman puisse se reposer. Bref, je trouvais ça normal et plutôt moderne. Et comme il était gendarme et que nous habitions loin des grandes villes, j’étais plutôt protégée et je n’ai jamais eu à subir des agressions dues à mon sexe, que ce soit des violences physiques ou même simplement des mots.

Ma maman n’était pas très au fait des luttes féministes, elle ne se sentait pas vraiment concernée non plus. Le seul conseil en la matière qu’elle nous ait donné à ma sœur et à moi (et cela lui tenait à cœur), c’était de nous encourager à faire des études, peu importe lesquelles, pour avoir un métier à exercer. Et surtout de faire des enfants le plus tard possible.
Je n’ai jamais eu l’impression d’être lésée dans mon travail parce que je suis une femme. Ou si c’est le cas, cela ne m’a jamais réellement perturbée ou fait cogiter. J’exerce un métier qui me plaît. Étant fonctionnaire, j’ai eu la même chance qu’un homme pour réussir le concours afin d’intégrer la fonction publique. Et j’ai un salaire équivalent à celui de mes collègues masculins, les mêmes possibilités d’évolution de carrière.
Le fait d’avoir un super mari ne m’a pas aidée à me pencher d’avantage sur le sujet. Je ne croule pas sous la charge mentale dont parlent beaucoup de femmes (spoiler alert : elle a pointé le bout de son nez avec l’arrivée de Pirlouit !) Les tâches ménagères sont bien réparties (il fait plus que moi à la maison) tout comme la gestion des diverses corvées administratives. M. Chéridamour s’occupe de la scolarité de Schtroumpfette sans compter sur moi ou attendre après la maman. Il prend les rendez-vous médicaux (que ce soit pour lui ou Schtroumpfette), lui achète ses vêtements sans que j’ai à intervenir. Bref, il gère. Je sais que j’ai de la chance, et du coup je me sens encore moins « en droit » de revendiquer et de m’inscrire dans un quelconque combat féministe.
Ce qui m’a faite changer
Mais (car oui il y a un mais), depuis 6 ou 7 ans j’ai commencé à évoluer sur le sujet. Non je ne serai jamais une grande féministe, au courant de toutes les luttes à mener. Mais à lire les articles des copines de Bribes de vies, discuter avec elles, écouter des podcasts, découvrir des articles sur ce qu’il y a encore à faire, à être confrontée dans ma vie quotidienne au sexisme que je n’avais jamais remarqué avant, j’ai peu à peu pris conscience que non, je ne pouvais pas rester sans rien faire.
J’ai compris que les conseils de ma maman étaient surtout dictés par sa propre situation : devenue mère au foyer à 19 ans et sans aucune indépendance financière. Elle a d’ailleurs si bien réussi à faire passer son message que ma sœur n’aura sans doute jamais d’enfant, et que je suis devenue maman à 40 ans bien passés. Mais pour ma maman, ça avait certainement été une souffrance de perdre une part de son indépendance (toute relative car elle n’a jamais vécu que chez ses parents puis en ménage une fois mariée) en se mariant.
J’ai réalisé que non, ce n’était pas normal que les hommes restent assis sur leur chaises après un repas de famille, à faire une belote pendant que les femmes débarrassent la table et font la vaisselle. Certes, cela se fait toujours dans la bonne humeur et en discutant, en riant mais ce n’est pas normal. C’est M. Chéridamour qui a d’ailleurs bien malgré lui jeté un pavé dans la mare lors de son premier Noël chez mes parents. Il s’est naturellement levé pour aider car il a été éduqué comme ça. Au grand ébahissement de mes tantes et cousines car c’était la première fois qu’un homme faisait cela dans la famille. Pour autant, aucun des hommes n’a bougé. Cette année-là, car lors de suivantes, certains l’ont fait !
Lorsque je parle de M. Chéridamour au travail avec mes collègues, ou avec des amies, voire même avec ma sœur, elles considèrent que j’ai de la chance car leur mari ne lève pas le petit doigt. Et je suis pour ma part plutôt abasourdie quand je les écoute parler de voir ce qu’elles acceptent de la part de leur conjoint. Non je n’ai pas de la chance, c’est juste normal !
Je ne supporte plus les mécaniciens qui répondent à mon mari alors que je suis à côté et que c’est moi qui ai posé la question. Je me suis révoltée quand un technicien EDF m’a demandé que je lui passe mon mari lors d’une panne électrique : c’est moi qui ai appelé, je sais aussi bien me débrouiller que lui pour regarder le tableau électrique, suivre des consignes et répondre aux questions basiques qui sont posées. Et que dire de ce vendeur qui me dit que cet aspirateur va changer ma vie ? Sans supposer une minute que l’homme à côté de moi est celui qui s’est passionné pour le choix du-dit aspirateur et va l’utiliser bien davantage que moi !
Et aujourd’hui ?
Ce dont j’ai envie par dessus tout aujourd’hui, c’est de faire bouger les choses, même modestement. Non pas tant pour moi que pour Schtroumpfette et pour Pirlouit. Car ce sont eux qui vont réellement être confrontés aux changements et vont pouvoir apporter leur pierre à l’édifice.
Schtroumpfette car c’est une femme, et que j’ai pris conscience que si j’ai eu la chance énorme d’être protégée, ce ne sera pas forcément son cas. Pirlouit car c’est un homme, et que c’est aussi en éduquant les garçons qu’à terme les inégalités entre les sexes disparaîtront. Et cela, j’en suis profondément convaincue : ma belle-maman a élevé 4 garçons et tous sont comme M. Chéridamour : investis dans l’éducation de leurs enfants, pour l’égalité, capables de se débrouiller et prenant leur part de la charge mentale.
Mais alors, comment fait-on ? Tout d’abord par l’exemple. Schtroumpfette a toujours vu son papa s’occuper d’elle, du ménage, et démontrer par ses paroles et ses actes que l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas un vain mot. En reprenant devant elle les gens qui ont des propos que je trouve limite (non, Schtroumpfette ne pourra pas vivre tranquillement avec son copain en attendant de trouver du travail, elle travaillera elle-même et n’a pas besoin d’homme pour l’entretenir !) En discutant avec elle pour lui ouvrir les yeux sur tous les sujets féministes que je connais un peu. Il en sera de même pour Pirlouit.
Ensuite, en essayant au maximum de dégenrer leur éducation. On fait faire la même chose à Pirlouit et à Schtroumpfette. Pirlouit est très coquet et veut mettre une barrette ou un chouchou ? Aucun souci ! On a gardé énormément de jouets de Schtroumpfette pour Pirlouit, et s’il aime les voitures, cela ne lui pose aucun souci de jouer à la dînette, aux Barbies ou d’utiliser un vélo rose et une trottinette violette Petshops.
Quand nous nous sommes mariés, j’ai demandé à M. Chéridamour d’accoler mon nom de famille au sien. C’était important pour moi, et il a accepté sans aucun souci. C’est si rare que lorsque nous sommes allés en mairie pour refaire nos papiers d’identité, l’agent qui nous a reçu n’était pas sûr que ce soit faisable (si si monsieur !) Pirlouit porte donc un nom composé à rallonge.
J’ai aussi choisi de mener mes propres combats. Pour les premiers temps avec Pirlouit, M. Chéridamour et moi nous partageons de la manière la plus équitable possible congé d’adoption et congé parental. Il nous semble normal d’être deux à l’élever, après avoir été deux à le désirer. Cependant, je suis restée en congé parental bien après le retour au travail de M. Chéridamour, ce qui a un peu déséquilibré les choses entre nous : je suis notamment seule à m’occuper de tout l’administratif concernant notre petit bout. Mais je sais que lorsque je reprendrai le chemin du bureau, tout se remettra en place.
Et si le sujet t’intéresse, je te conseille vivement Tu seras un homme féministe mon fils ou encore le podcast Les couilles sur la table.
Bon, on a eu la même éducation, on a donc a peu près le même point de vue. La seule différence, c’est le nom de famille au mariage. Perso, je ne me sentais pas une obligation de perpétuer mon nom de famille ou n’ai jamais eu de problème identitaire. Puis les deux noms, ça me semblait chi… au quotidien. Pratique est mon 2eme prénom 😉 toutefois, c’est un choix que je ne discute pas, je ne me sens juste pas concernée par ce combat-là.
Pour en revenir au féminisme, j’ai vraiment compris que quelque chose ne tournait pas rond quand ma fille a eu 2 jours (oui oui, tu as bien lu), que son grand-père est venue la voir et que, voyant tous les vêtements qu’elle avait reçus en cadeau, a eu cette petite phrase « ah ! C’est bien une fille, elle a déjà une armoire bien remplie ! ». Le pauvre aurait mieux fait de se taire, en pleine redescente hormonale, je l’ai bien reçu 🙂
Depuis, je n’ai de cesse de combattre ces clichés en expliquant bien tout à ma fille. Sans opposer bien sûr, juste lui faire comprendre que ce n’est pas parce que c’est une fille qu’elle ne peut pas porter de pantalon, aimer autre chose que le rose, jouer au foot, avoir les cheveux courts, etc. Aucune mention inutile. Le pire, c’est qu’elle véhicule elle-même ces clichés. Merci l’école et les camarades de classe.
Je ne lâcherai rien parce qu’il est hors de question qu’elle se fasse enfermée ou s’enferme elle-même dans ces clichés mais, oui, naïve je l’étais comme toi, tout ça me semblait des évidences, naïve je ne suis plus, et je suis réellement déçue de notre société en général. C’est un peu comme celui ou celle qui jette encore ses papiers par terre au lieu d’aller à une poubelle, dans quelle langue il faut le dire et sur quel ton pour que l’évidence soit évident ? Je ne comprends pas.
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Je n’avais pas anticipé le côté peu pratique du nom composé, je le vois maintenant avec Pirlouit qui a beaucoup de mal à le prononcer (et contracte les 2 en un seul !)
J’imagine que la réflexion de ton papy t’ait agacée ! Mon papa en a tenté une ou 2 mais je l’ai reçu tout pareil. Pirlouit aime les barrettes et les paillettes, et alors ?
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@ Mme Espoir. Merci pour ton article ! J’ai aussi un compagnon très investi, ce qui paradoxalement m’a joué des tours car dès que j' »osais » exprimer une fatigue parentale, on me répondait que moi, j’avais de la chance avec le papa. De la chance… Certes, mais cela devrait être normal !
@Virg Autre paradoxe, j’ai trouvé : (Titiou Lecoq en parle dans son merveilleux bouquin « Libérées, l’égalité commence devant le panier de linge sale »), il est parfois plus facile pour les mamans d’éviter les pièges de l’éducation genrée avec une fille qu’avec un garçon. Le territoire masculin traditionnel est souvent vu comme une « évolution positive » pour la fille alors que le territoire féminin traditionnel comme une « régression » pour un petit garçon. Exemple: une fille « garçon manqué » aura moins de soucis qu’un garçon « efféminé » (je mets tout entre guillemets, évidemment, c’est pour vous faire saisir l’idée).
J’ai beau moi-même être super féministe, je me suis surprise une fois à la crèche à me justifier parce que j’avais habillé mon fils avec des vêtements roses de sa sœur. Comme quoi, on est vraiment très conditionnés même contre son gré 😉
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Je suis tout à fait d’accord sur le fait que c’est plus compliqué d’éduquer un garçon en lui montrant que les « trucs de fille » ne sont pas forcément que pour les filles !! J’ai été très surprise avec Pirlouit qui était très ouvert aux jeux traditionnellement marqués pour les filles : les Barbies, les poupées, les peluches mignonnes, les barrettes, les trucs roses et mignons… On pense qu’à l’orphelinat ils n’avaient pas beaucoup de jouets et jouaient avec tout ! On sent que malheureusement c’est avec l’école qu’arrive la distinction « c’est pour les filles » et « c’est pour les garçons ». Cela m’attriste et on rectifie systématiquement !
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Hello,
Le cheminement de ta réflexion sur le sujet est très intéressant et très agréable à lire . Merci!
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Merci !
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c’est très interessant en effet! Je suis moi même clairement féministe – le féminisme étant pour moi le fait de vouloir l’égalité des droits et des oporunités entre les genres, ce qui me semble tout de même évident ahah. J’ai quant à moi été elevée dans une structure assez traditionelle (père en charge du bricolage, du jardinage, mère en charge du ménage et des lessives) bien que la partie vaisselle-repas-courses-trajets scolaire était bien répartie entre les deux. Toutefois je n’ai jamais eu l’impression qu’on m’empeche de faire des choses (études, loisirs, habits) du fait d’être une fille, ni ensuite que mon genre ni ma maternité n’aient eu d’impact sur ma carrière (je précise que je travaille dans un secteur plutot féminin). Dans notre couple on est vraiment 50-50, même avec l’arrivée des enfants. Par contre mon « choc » de l’age adulte a été de voir d’autres couples autour de moi suivre des preceptes qui me semble d’un autre temps (inégalité criante des répartitions de tâches ménagères, parentalité complètement laissée à la mère, réflexions sexistes transmises à leur enfants..). Je pense que je vis très fort dans une « bulle » féministe et que je ne me rends pas compte que mes idées sont loin d’être partagées par tout le monde en fait 😉 !..
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j’ai oublié un détail (de taille!) : un autre et premier choc a évidemment été d’être confrontée au harcelement de rue – et ce dès le début de l’adolescence. Et il y a malheureusement énormement de travail qui reste à faire là dessus.. ‘javais récemment une conversation « légère » avec des collègues sur le concept de ‘rentrer seule tard le soir » et nos petites anecdotes sans fin donnaient froid dans le dos quant à la société dans laquelle nous vivons et à ce qui est finalement vu comme ‘banal »…
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J’ai habité seule dans une grande ville à 28 ans seulement. Avant ça j’étais très protégée. Mais clairement, ça n’a pas été un énorme choc car je n’ai eu à subir que peu de harcèlement. Sans doute mon air pincé et rébarbatif qui faisait effet !
Je suis d’accord avec tout qu’étant protégée au quotidien, c’est toujours hallucinant de découvrir que ma soeur faisait absolument tout chez elle sans que son copain ne lève le petit doigt (même quand elle se faisait opérer !!!) ou que ma collègue gère toute la paperasse et l’intendance de la maison !! Ce sont pourtant des personnes de ma génération. Il y a encore du chemin…
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Je crois que les extrémistes font beaucoup de mal au féminisme. En fait, le féminisme, c’est juste vouloir que ta « chance » n’en soit plus une et devienne normale.
Je n’ai rien à ajouter, vu que je n’ai jamais été en couple (et qu’il est probable que ça n’arrive jamais).
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Les extrémistes font également bouger les choses, même si ce n’est clairement pas la mouvance que je suivrais.
Et je me dis que j’ai eu de la chance de trouver M. Chéridamour : je pense que si j’avais rencontré un homme « à l’ancienne » qui ne partageait pas la charge mentale et l’entretien du foyer, je n’aurais peut-être pas su réfléchir sur le fait que ce n’était pas normal. Aujourd’hui je ne supporterais clairement pas !
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Merci pour cet article constructif et limpide ! J’avoue que j’ai une vision un peu plus énervée du sujet, donc j’apprécie de lire ta vision de l’égalité homme-femme. On se rejoint sur les constats mais moi ça me fait réagir au quart de tour, et mon argumentaire perd en qualité 😅
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Étant calme et n’ayant pas toujours brillé par mon féminisme, les gens qui me connaissent ne m’écoutent pas forcément non plus 😦 J’ai l’impression qu’on est toujours « trop » ou « trop peu » pour être entendues…
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