Le problème avec ma tête

Dans ma tête, c’est le bazar.

Dans ma tête, il y a des cases bien rangées, des souvenirs enfouis, des pensées inavouables, des rêveries bizarres, des songes infinis.

Dans ma tête, le contrôle est maître. Contrôle du temps qui passe : quelle heure est-il ? Quel jour sommes-nous ? Combien de temps depuis la dernière fois que j’ai vu Bidule ? Combien de temps avant le tour du monde en famille ? Combien de temps avant l’heure du coucher de mes filles ? Combien de temps avant la mort peut-être ?

Crédit photo : Steve JohnsonPexels

Dans ma tête, la peur peut régner. Peur de louper quelque chose au travail, peur d’oublier quelque chose au travail, peur de ne pas être à la hauteur au travail, peur de ne pas être assez aimable, peur que mon mari se rende compte que je ne suis pas si extraordinaire que ça, peur de ne jamais rien faire dont je sois fière, peur de passer à côté de ma vie, peur de voir mes amis se détourner de moi, peur de décevoir, peur de perdre mes proches, peur de mourir, peur de mourir, peur de mourir…

Dans ma tête, la joie remplace la peur. Oublier la mort en regardant mes enfants. Oublier la mort en m’oubliant dans les bras de mon mari. Oublier la mort en explosant de rire. Se rappeler que le travail sera toujours fait, que ce soit par moi ou quelqu’un d’autre, il y aura toujours quelqu’un pour accomplir la tâche. Et dans un mois, dans un an, dans cinq ans, cette boulette aura été totalement oubliée. Être telle que je suis me rendra plus aimable que si je fais semblant d’être ce que je ne suis pas.

Dans ma tête, la colère a peu de place. Elle surgit parfois, de façon impromptue, je ne sais jamais vraiment pourquoi. En colère, au travail, quand la hiérarchie écrase les agents, en colère, quand ma fille fait une bêtise pour la énième fois, en colère quand je n’ai pas assez dormi. Elle se tapit dans un coin, mais elle est rarement de sortie, tout au moins elle avance timidement le pied pour manifester un agacement face à mon cher et tendre ou une irritation quand le tramway est bloqué. Ma colère est paresseuse ou peut-être est-elle la plus intelligente : elle préserve toute sa force pour les cas d’extrême urgence.

Dans ma tête, la tristesse s’invite teintée de mélancolie et de nostalgie quand mes amis les plus proches me manquent. Elle me tient compagnie quand je me sens impuissante pour les autres. Elle s’insinue en moi quand je la vois collée sur le visage d’une de mes filles. Elle s’agrippe à moi quand je ne peux rien faire pour soulager ma sœur. Elle glisse au creux de mon cœur quand je pense à mes parents qui vont inévitablement vieillir. Elle peut faire couler des larmes quand je songe à ceux qui sont partis, même si ce n’était pas trop tôt, même si c’était « normal ».

Dans ma tête, les émotions se suivent et les pensées fusent. Difficile parfois de faire taire cette petite voix qui me parle en continu. Elle n’est pas désagréable, non, elle me tient compagnie en mode charge mentale, ou pour m’aider à m’endormir en me racontant des histoires. Elle ne me rend pas dingue, je ne crois pas, non, elle est là et elle me dit que je suis vivante. Que tant que je l’entends, c’est que je vis. Elle m’empêche de penser à l’infinité de l’univers, elle m’empêche de penser à la mort et l’insignifiance de nos vies dans l’espace-temps. Oui, ma voix intérieure m’est indispensable pour me rassurer.

Apparemment, on est nombreux à avoir une voix intérieure. Si, si, je t’assure, je l’ai lu dans l’excellent magasine Sciences humaines. On ne l’a pas tous, mais c’est rassurant de savoir que je ne suis pas seule à avoir un petit bazar dans ma tête, que ma petite voix intérieure s’ingénie chaque jour à tenter de démêler.

Et toi, tu as une voix intérieure ?

6 commentaires sur “Le problème avec ma tête

  1. Quel joli texte ! Quel beau témoignage.
    je m’y retrouve un peu, beaucoup.
    Oui, moi aussi, j’ai une petite voix intérieure. Une petite voix bavarde, surtout le soir. Elle a un côté exigent et intransigeant et ne se laisse que rarement convaincre de se taire, refusant d’intégrer l’idée qu’à chaque jour suffit sa peine et que demain sera un autre jour ^^ ça va un peu mieux depuis que je travaille sur moi et que je tente de faire preuve de bienveillance envers moi-même et que je m’efforce de prendre la vie au jour le jour, de profiter de chaque instant du temps présent, intégrant les leçons du passé sans remords ni regrets et m’efforçant d’accepter le fait que même si l’avenir, par définition, est imprévisible et mystérieux, il peut nous apporter son lot de peine mais aussi son lot de joies.

    J’aime

    1. J’en étais persuadée aussi ! Mais j’ai lu un article dans Sciences humaines récemment, qui indiquait que certaines personnes n’ont pas de voix, mais sont plutôt dans la visualisation, mais en gros on est quand même une majorité à avoir un voix intérieure !

      J’aime

      1. Moi je fais partie de celles qui pensaient que la petite voix intérieure était juste un procédé comique des films!

        J’ai bien une conscience, des dilemmes et des émotions parfois exacerbées mais ca ne m’apparaît pas sous forme de petites voix.

        Aimé par 1 personne

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s