Cinq minutes dans ma tête – édition harcèlement moral

Cinq minutes dans ma tête – édition harcèlement moral

Les prénoms utilisés dans cet article sont issus de la saga Harry Potter, car je trouvais ça amusant, mais aussi pour mettre un peu de distance avec le monde du travail.

« Oui, Remus ? Oui. Alors c’est parce que [longue explication technique inintéressante dans le cadre d’un article de blog]. OK, super. Oui ? Ah je ne sais pas, je crois que oui mais il faudrait demander à Dolorès pour être sûr. Oui, elle est là. Je lui demande. Dolorès ?

Oui ?

Remus voudrait savoir .

Oui, c’est bien ça. Il peut m’envoyer les informations, et je vais regarder.

Remus, tu peux lui envoyer les informations pour qu’elle regarde ? Super, merci. Merci, bonne journée à toi aussi !

Pourquoi est-ce qu’il ne m’appelle pas directement pour me poser la question ? »

Euh… c’est à moi qu’elle demande ça, je crois ? Ça me met mal à l’aise, cette question… Mince, elle doit être blessée qu’il ne se souvienne pas que c’est elle qui est en charge de cet outil. Je vais la rassurer.

« Oh, tu sais, il a juste profité de m’avoir au téléphone pour poser la question. Comme on partage le même bureau, c’est plus facile.

Mais c’est moi qui suis en charge de cet outil. »

Ben oui, je sais. J’espère que Remus s’en souvient aussi. Je ne vais pas lui dire ça, ça va la blesser encore plus.

« Oui, je sais, et je pense qu’il le sait aussi, mais là, comme il m’avait déjà appelée…

Mmmh… tu as peut-être raison. »

Ouf, ça va. De toute façon, la prochaine fois, il l’appellera directement dès qu’il aura une question sur son outil, alors elle sera rassurée et elle pourra discuter avec lui de tous ces sujets directement.

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Ah, réunion avec l’équipe.

« Alors, Albus nous a demandé de faire une analyse générale de l’utilisation des ressources de notre équipe à Paris. Madame Parenthèses, tu veux t’en charger ?

Euh… oui, d’accord. »

Bon, va falloir que je demande à tous les membres de l’équipe leur analyse et que je combine tout. Mais, ce serait plutôt à elle de le faire, non ? Son rôle est très généraliste, moi je fournis seulement une partie des données de l’analyse… Mais bon, j’ai dit oui maintenant, alors je vais pas revenir dessus. Et puis ça me prendra pas trop de temps je pense.

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« Ah, Madame Parenthèses, j’ai appris que tu allais présenter notre équipe aux nouveaux arrivants.

Euh, oui, Dolorès, c’est moi qui m’en charge depuis que j’ai pris ce poste.

D’accord. C’est juste que je n’étais pas au courant.

Ah, ben, j’ai peut-être oublié d’en parler à la réunion d’équipe… Désolée. »

Mince, c’est vrai que j’aurais dû en parler. Je ne pensais pas qu’il fallait en parler, puisque je gère ça sans les autres membres de l’équipe depuis le début, mais elle a sans doute raison, il faudra que je les tienne au courant.

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Ah, cool d’être seule dans le bureau. Le télétravail, ça a du bon. Regardons les mails. Ah, c’est vrai, Dolorès a répondu à côté à ce mail hyper important envoyé hier dans l’après-midi. Bon, il est 11h, je vais répondre en ajoutant des propositions à sa liste.

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Tiens, un mail de Dolorès. « J’ai appelé la personne ce matin pour régler le problème. Tu aurais dû t’en assurer avant d’envoyer ton mail. Ne faisons-nous pas partie de la même équipe ? » Hein ? Quoi ? Non, mais en plus avec trois personnes en copie ? Mais qu’est-ce que c’est que ce sous-entendu ? C’est vrai que j’aurais pu l’appeler… Non, mais attends, elle aurait dû me tenir au courant en fait ! Comment je pouvais deviner qu’elle avait appelé ? Merde, je pleure, vite, aux toilettes, aux toilettes.

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Elle m’a encore refilé son boulot ! Mais c’est pas possible, pourquoi j’ai pas dit non ? Comment elle a formulé sa demande déjà ? « Tu veux t’en charger ? » Mais j’ai l’impression de me faire avoir, je récupère toujours des tas de trucs qu’elle devrait faire plutôt que moi. C’est pas ma chef, en plus !! En même temps, vu la tête des communications qu’elle envoie, ça vaut peut-être mieux que je m’en occupe… Mais si j’ai un truc urgent à régler, comment je vais faire pour rendre les deux en temps et en heure ?

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Faut vraiment que j’apprenne à dire non, c’est pas possible. Encore un truc nul à faire. Et elle m’a encore demandé pourquoi Remus m’avait contactée moi et pas elle pour lui parler de son outil. Mais c’était à l’occasion d’une discussion sur un autre sujet, voilà tout. Et je ne suis pas dans la tête de Remus, moi, je ne sais pas pourquoi c’est moi qu’il appelle et pas elle. Elle veut que je lui réponde quoi, que c’est parce qu’il préfère me parler à moi plutôt qu’à elle ? En plus, la dernière fois, j’ai passé une partie de la nuit à ressasser son dernier email, elle commence à pourrir ma vie privée en plus de ma vie pro.

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J’en peux plus de ses sous-entendus et de ses remarques continuelles… J’ai déjà demandé à changer de bureau, et un jour de télétravail supplémentaire. La dernière fois, il a fallu se battre deux mois pour qu’elle prenne en charge un projet, après que j’ai dit non. J’ai pas l’énergie pour ça, je préfère la garder pour ma famille… Je me sens tellement à plat ces temps-ci. C’est toujours Monsieur Fernand qui se lève la nuit, je n’ai simplement pas la force d’aller voir Petit Panda…

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Bon, elle a été recadrée, et prévenue qu’elle devait améliorer la façon dont elle s’adresse aux autres. Ça devrait aller mieux. Ça va mieux, d’ailleurs, depuis deux mois. Bon, la présentation de son projet était pas terrible, et en plus c’est moi qui me retrouve à créer la communication à envoyer en rappel à l’entreprise, mais au moins, je n’ai plus de remarque déplacée. Tiens, un message de Dolorès. »J’ai appris que tu allais présenter notre équipe aux nouveaux arrivants la semaine prochaine. Je n’étais pas au courant. » …

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J’en peux plus. Dès que je vois un email de Dolorès, mon angoisse monte. C’est trop stressant de travailler dans ces conditions. Ron et Hermione sont super gentils et me soutiennent beaucoup, mais là c’est juste plus possible. Je vais demander à ne plus travailler avec elle, encore. Je n’ai peut-être pas été assez claire avec Albus il y a trois ans. Et les dix fois d’après non plus. Après tout, je parle en anglais, peut-être que j’atténue un peu trop ce que je ressens quand je lui en parle. Et si jamais rien ne se passe, j’écouterai Monsieur Fernand et j’irai demander un arrêt maladie…

Crédit photographie : lukasbieri

Cet article est légèrement moins rigolo que les deux précédents, j’en ai bien conscience. Encore une fois, j’ai condensé plusieurs mois (près de 3 ans et demi) dans cet article, pour te donner un aperçu d’une forme insidieuse de harcèlement moral. Aujourd’hui, je suis sortie de cette situation (enfin, j’espère) et je me sens à nouveau bien au travail. Cette épreuve aura laissé des marques, notamment en terme de confiance envers mes managers et les ressources humaines de l’entreprise. Je crois cependant que si j’avais été dans un cas grave (harcèlement venant de plusieurs personnes, harcèlement sexuel, dénigrement, etc), la réaction aurait été plus rapide.

Je rappelle ici la définition officielle du harcèlement moral :

« Le harcèlement moral se manifeste par des agissements répétés pouvant entraîner, pour la personne qui les subit, une dégradation de ses conditions de travail pouvant aboutir à : une atteinte à ses droits et à sa dignité ou une altération de sa santé physique ou mentale. »

Ce qu’il faut retenir, c’est que l’auteur ou l’autrice du harcèlement moral n’est pas forcément malveillant volontairement. Si je prends mon cas, Dolorès n’avait pas conscience de m’affecter à ce point. Elle se serait comportée avec d’autres de la même façon (elle le faisait d’ailleurs, mais je travaillais avec elle de façon beaucoup plus assidue et constante, donc cela m’impactait plus), il n’y avait pas volonté de sa part de me faire du mal, de m’humilier ou de me mettre plus bas que terre, pour quelque raison que ce soit (sexisme, racisme ou autre). Ce qui compte, c’est ce que la victime ressent.

Si tu te sens mal au travail, du fait d’un(e) de tes collègues ou de tes supérieur(e)s, contacte tes ressources humaines, explique-leur la situation et essayez ensemble de trouver des solutions. Et si ça tarde à se mettre en place, n’hésite pas à faire appel à ton médecin traitant ou à la médecine du travail pour prendre du recul, avec un arrêt de travail si nécessaire. Ce qui importe le plus, c’est ta santé mentale. Ah, et un conseil : passe par l’écrit, au maximum ! C’est ta seule chance de prouver un harcèlement moral devant des tiers. En espérant que tu n’aies jamais à te servir de ce conseil.

2 commentaires sur “Cinq minutes dans ma tête – édition harcèlement moral

  1. Merci pour ton témoignage, je m’y retrouve totalement. J’ai vécu la même chose pendant 3 ans sans oser l’appeler harcèlement moral. La situation s’est améliorée aujourd’hui grâce à un changement de manager, pour autant nous sommes encore obligées de travailler ensemble, et j’ai appris à m’en protéger et à ne plus laisser passer.

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    1. Je compatis. Je ne pensais pas qu’il s’agissait de harcèlement moral non plus pendant très longtemps. Cela semblait tellement « rien » par rapport à d’autres histoires de harcèlement très sombres. Mais au final, ce qui compte, c’est ton ressenti.
      J’espère que tu resteras sereine le plus longtemps possible malgré la situation !!

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