En mode dégradé
Il y a quelques mois, je t’écrivais sur le brouillard qui m’avait envahie depuis l’arrivée de Petite Pieuvre ; sur ce qui n’a pas été, officiellement, une dépression post-partum, mais qui y a quand même beaucoup ressemblé.
Aujourd’hui, les choses vont mieux, clairement. Pas encore “bien”, mais mieux. Le brouillard s’est un peu dissipé, les crises d’angoisse se sont espacées et je n’ai plus ce sentiment de me noyer en permanence. Mais je suis encore en arrêt de travail et le quotidien me semble toujours très lourd.
Pendant la gestion du COVID au travail, nous parlions souvent de “mode dégradé” pour désigner nos services municipaux qui fonctionnaient tant bien que mal : pas normalement, pas de manière optimale, mais comme ils pouvaient, à l’instant T. Et en fait, je crois que c’est exactement comme ça que je me sens en ce moment : en mode dégradé. Je fonctionne, la vie “tourne”, mais rien n’est fluide. Rien n’est vraiment rodé. Je suis dans un entre-deux permanent, comme si mon corps et ma tête attendaient encore un “après” qui ressemblerait un peu à “l’avant”.

Fatigue, quand tu me tiens
Je suis encore épuisée, en profondeur. Épuisée par cette grossesse, par cette première année de post-partum, par notre déménagement, par l’actualité qui m’angoisse profondément. Épuisée par cette année qui m’est passée dessus comme un rouleau compresseur. Et cette fatigue, qui me colle à la peau, rend le quotidien plus lourd qu’il ne devrait l’être.
Mon médecin, mon psy, ma sage-femme, tous sont unanimes : il faut que je me laisse du temps, beaucoup de temps. Alors j’essaie de me remettre de mes émotions, mais la culpabilité n’est jamais loin : pourquoi je n’y arrive pas alors que tout le monde autour de moi le fait très bien ? Pourquoi je ne vais pas “déjà” mieux ? Pourquoi suis-je débordée en permanence alors que je ne travaille pas ?
Les nuits hachées par un bébé qui ne dort toujours pas m’épuisent et, même si je fais désormais en sorte de prioriser mon sommeil sur le reste (en tout cas dès que je peux), cela implique un lâcher-prise permanent, parfois épuisant lui aussi. Et puis la fatigue joue directement sur mes angoisses, mon stress, ma capacité à gérer la journée, à réguler mes émotions.
Au-delà de cette fatigue physique liée au manque de sommeil, je sens surtout une fatigue émotionnelle qui me fragilise en profondeur ; ce sentiment d’être toujours en mode “urgence”. Je me sens parfois tellement loin de moi-même et je ne suis pas la plus grande fan de cette version « effacée ».
Apprentissages
La vie à cinq est intense, on apprend à conjuguer avec notre nouvelle vie : nos deux préados, nos deux calendriers, nos deux ex-conjoints, nos deux rythmes. Notre nouvelle maison est tellement parfaite… mais encore pleine de cartons et d’espaces à aménager. J’ai envie que tout soit rangé et fonctionne, mais je n’ai pas l’énergie pour tout mener de front. Alors j’avance petit à petit, entre satisfaction et découragement. Je sais bien que la clé de l’apaisement n’est pas dans des placards rangés… mais parfois, je me dis que ça aiderait quand même.
Revivre en couple, aussi, bouscule énormément de choses en moi. J’aime mon amoureux d’un amour immense. Mais après plusieurs années de maternité solo, réapprendre la vie à deux ne se fait pas sans heurts. J’avais laissé derrière moi la charge mentale du couple et, même si notre relation est profondément différente et plus équilibrée, vivre ensemble nécessite communication et ajustements.
Je dois faire le deuil de ma vie de maman célibataire, de ce projet de maternité solo dans lequel j’avais trouvé une liberté et une autonomie tellement importantes pour moi. C’est difficile de laisser partir cette version de moi tout en étant infiniment reconnaissante de l’amour que j’ai trouvé. Alors on avance ensemble, on cherche un rythme qui nous ressemble, un équilibre qui ne m’efface pas et ne me renvoie pas vers ce que j’ai fui.
Une nouvelle famille, une nouvelle maternité, ce sont aussi de nouvelles limites à poser auprès des proches. Je pensais l’avoir déjà fait (une bonne fois pour toutes 😉) quand Petit Viking était bébé, mais je me rends compte qu’il faut recommencer. Sauf que cette fois, j’ai beaucoup plus de difficultés à laisser glisser les conseils non sollicités et tout le drama familial si pesant… Je réalise que poser des limites quand on est épuisée, fragile, sensible, est mille fois plus difficile que quand on est solide et bien ancrée. Un double effet Kiss Cool des plus désagréables.
Et puis il y a le travail. Bientôt deux ans sans travailler. Deux ans d’un entre-deux étrange, presque tabou socialement. Me retrouver mère au foyer n’était pas dans mes plans. Une part de moi y voit une chance rare ; l’autre a peur d’être réduite à ça. Je sais que mon avenir professionnel ne ressemblera plus à ce que j’ai laissé derrière moi, et ça aussi, je dois l’appréhender.
Comme après
Pendant plusieurs mois, je me suis accrochée à l’idée que j’irais mieux quand les choses seraient redevenues comme avant. Que si je retrouvais de l’énergie, de la clarté mentale, un quotidien stable, des routines rassurantes — alors ça irait mieux. Le “comme avant” était devenu ma lumière au bout d’un long tunnel.
Il m’a fallu un peu de temps (et un bon psy) pour comprendre que j’avais été un peu naïve de penser que l’objectif était de revenir en arrière. Évidemment, cet avant n’existe plus ! Je suis de nouveau maman ; ma famille s’est agrandie, réinventée ; mon rapport au monde du travail a changé, mon rapport au monde tout court d’ailleurs… Il y avait quelque chose de rassurant à me réfugier en terrain connu. Je suis désormais partagée entre la peur de l’inconnu, l’excitation de savoir que tout est possible, le soulagement de constater que je n’échoue pas à rattraper quelque chose qui n’existe plus, et l’appréhension de devoir construire du neuf sur des bases fragilisées. Mais il y a surtout, dans le fond, sous les 47 couches de fatigue et les cartons restants, beaucoup de reconnaissance, d’amour et de confiance en l’avenir.
Alors voilà. 2026 sera, je l’espère, une année de calme. De routine. Sans grands bouleversements. Une année pour consolider, nourrir, respirer, stabiliser, habiter pleinement ce que nous sommes en train de construire. Une année pour passer, doucement mais sûrement, du mode dégradé au mode vivant.

Ton article me parle beaucoup. La fatigue, quelle plaie pour les angoisses…
Je te souhaite beaucoup de douceur, de bienveillance envers toi même et de sérénité ❤️
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Merci beaucoup pour ton commentaire ! Oui j’y travaille… 🥰
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