Les femmes et les sciences

Les femmes et les sciences

Quelque part en France, de nos jours, dans une cour de récréation. Un groupe d’enfants discutent avec animation. Sonia : « Moi, plus tard, je serai maîtresse ! » Léon : « Et moi, je serai pompier ! » Mattia : « Et bien moi, je conduirai des voitures de police ! » Emma : « Moi, je ferai comme mon papa : je ferai de la pro-gram-ma-tion ! » Les enfants s’arrêtent, étonnés. Ca veut dire quoi ça ?! Emma explique doctement « C’est pour expliquer leur travail aux ordinateurs. Ils parlent une langue spéciale. Alors il faut coder pour que les ordinateurs fassent exactement ce qu’on veut qu’ils fassent ». Le petit groupe dévisage la fillette, interdit. Les yeux s’écarquillent. Enfin, le jugement tombe : « Mais ! C’est un travail de garçon ça ! » Vexée, Emma répond du tac au tac : « N’importe quoi ! Mon papa dit que pour ce travail, il suffit d’avoir un cerveau. Et moi, j’en ai un de cerveau ! » Sur le ton de la confidence, elle ajoute en montrant son crâne : « Il est caché sous mes cheveux ».

Et vous savez quoi ? Toutes les chroniqueuses de Bribes de Vies sont d’accord avec Emma et son papa. Il n’y a pas de métier masculin ou féminin. Il n’y a que des métiers requérant différentes aptitudes. Alors, en cette journée internationale des femmes et des filles de science, nous avons choisi de mettre à l’honneur quelques femmes au parcours atypique et inspirant. Des parcours qui, justement, ne devraient plus être considérés comme atypiques.

Photo et dessin : Lys

Hypatie d’Alexandrie (360 – 415)

Philosophe, astronome et mathématicienne grecque, Hypatie naît aux alentours de 360 après Jésus-Christ à Alexandrie. Fille de Théon d’Alexandrie, Hypatie est initiée aux mathématiques par son père. Elle poursuivra sa formation à Athènes où elle étudie les sciences, en particulier l’astronomie et les mathématiques, et peut y approfondir la philosophie. Elle reviendra à Alexandrie pour prendre la tête de l’école néoplatonicienne d’Alexandrie. Son enseignement mêle les sciences naturelles, les mathématiques et la philosophie. Son école s’adresse à tous, des étudiants aisés aux étrangers en passant par les païens et les chrétiens. Les chercheurs et historiens modernes attribuent à Hypatie la rédaction de commentaires sur des œuvres de grands mathématiciens, notamment un commentaire sur les Arithmétiques de Diophante et sur les sections coniques d’Apollonios de Perga. Elle aurait également participé à l’édition du Canon astronomique de Ptolémée. Pour autant, ses ouvrages et contributions ont été perdus, beaucoup auraient notamment brûlé dans un incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie. Connue pour sa fabrication de planisphère, d’astrolabe ou encore d’hydroscope, Hypatie était louée par ses contemporains pour son intelligence, sa sagesse et sa tolérance. Conseillère et proche du préfet Oreste, elle fit les frais de la campagne de diffamation menée à son encontre par le patriarche Cyrille. Elle sera assassinée en pleine rue par une foule de parabalanis (membres d’une confrérie chrétienne dans l’Église primitive) en l’an 415. Hypatie d’Alexandrie semble avoir inspiré la légende de Catherine d’Alexandrie dite « Sainte-Catherine ». Cette fin tragique est souvent évoquée dans la littérature moderne comme exemple des méfaits de l’intolérance religieuse. Plusieurs ouvrages lui ont été consacrés dont Hypatie d’Alexandrie par Maria Dzielska, qui m’a beaucoup plu, mais également un film, Agora, sorti en 2009.  

Jeanne Barret (1740 – 1807)

Fille de paysan au XVIIIème siècle, Jeanne Barret était destinée à devenir femme de paysan ou domestique. Elle devint en effet gouvernante, de Philibert Commerson, médecin, naturaliste et veuf. Rapidement, Jeanne s’imposa comme une aide utile en aidant Commerson dans ses recherches grâce à sa capacité de mémorisation et son esprit pratique. C’est ainsi que Jeanne devint une botaniste chevronnée. Lorsque la grossesse de Jeanne dut être cachée, le couple déménagea à Paris. Commerson fut nommé botaniste du roi sur l’expédition marchande de Bougainville. Jeanne ne voulait pas manquer l’occasion de découvrir de nouvelles plantes exotiques tout autour du monde. Puisque la présence des femmes était interdite sur les navires de la marine, elle se travestit et se fit passer pour le valet de son amant en se faisant appeler Jean Baré. L’expédition dura deux ans, durant lesquels Jeanne cueillit et répertoria des plantes en tout genre au Brésil, en Patagonie, en Polynésie, en Nouvelle-Guinée. Le botaniste ayant contracté une maladie durant le voyage, c’est Jeanne qui réalisa la majorité des découvertes. Plus de 400 plantes furent répertoriées, les deux plus connues étant le bougainvillier et l’hortensia. La véritable identité de Jeanne fut découverte et elle fut débarquée sur l’Ile de France (Ile Maurice) tandis que l’expédition continuait jusqu’en France. La suite de sa vie est plus classique. Elle rentra en France quelques années lus tard et devint ainsi la première femme à faire le tour du monde. Louis XVI lui attribua une rente en reconnaissance de son travail qui a permis des découvertes essentielles. Son nom est pour toujours synonyme d’audace et de curiosité.

Ada Lovelace (1815 – 1852)

Naître à certaines époques et être une femme, ce n’était pas toujours facile pour se faire prendre au sérieux dans les sciences ou dans la vie. En 1815 naît Augusta Ada Byron, connue plus tard sous le nom d’Ada Lovelace. Par chance, Ada, fille du poète anglais George Byron, eut l’opportunité de suivre des études de mathématiques en guise de « loisirs ». Il était alors impensable qu’une femme puisse travailler dans ce domaine mais, pour les filles de bonne famille, une tolérance était de rigueur quant aux loisirs. Sa mère, qui aimait particulièrement la géométrie, fit en sorte que sa fille ait une bonne éducation scientifique. Ada était douée en mathématiques et s’intéressait beaucoup à la machine à calculer inventée par un de ses professeurs, Charles Babbage. En cherchant à l’optimiser, Ada fut l’inventrice du premier programme à calculer. C’est un peu l’ancêtre des programmes informatiques. Peu de temps avant sa mort, elle imaginait déjà des programmes utilisant des caractères non-arithmétiques. A 36 ans, Ada mourut d’un cancer de l’utérus. Sa naissance dans un milieu favorisé lui a néanmoins permis de vivre aussi longtemps malgré de nombreux problèmes de santé. Dans les années 1970, les scientifiques américains donnèrent son prénom à un langage informatique. Dans ce domaine, elle est considérée comme la première personne de l’histoire à avoir programmé. Un beau pied de nez à tous ceux qui disent que l’informatique, ce n’est pas pour les femmes !

Rosalind Franklin (1920 – 1958)

Issue d’une riche famille, élève brillante, Rosalind Franklin intègre très jeune l’un des rares établissements scolaires de Londres où la physique-chimie était enseignée aux filles. Elle développe un incroyable talent pour ces matières, ce qui lui permet d’obtenir en 1945 une bourse d’études pour l’Université de Cambridge, où elle soutient une thèse de doctorat sur la porosité du charbon. Elle travaille ensuite à Paris où elle se forme à la cristallographie aux rayons X. Elle intègre alors le King’s College de Londres, où elle est affectée au département de biophysique, et commence à étudier l’ADN en collaboration avec Raymond Gosling, son élève, et Maurice Wilkins avec qui elle est vite en mauvais termes, celui-ci ne voyant en elle qu’une assistante. Elle améliore la technique déjà utilisée et observe ainsi la conformation de l’ADN via le fameux « cliché 51 », ceci étant une découverte fondamentale en génétique et plus largement en biologie. Maurice Wilkins poursuivra ces travaux en collaboration avec James Watson et Francis Crick. Leurs travaux seront publiés en même temps que ceux de Rosalind Franklin alors que la découverte du modèle en double hélice qu’ils proposent n’aurait pas été possible sans ses clichés de cristallographie. Il apparaîtra plus tard qu’ils ont largement utilisé ses travaux à son insu. Rosalind Franklin décèdera prématurément en 1958 d’un cancer de l’ovaire, probablement dû à l’exposition aux radiations, tandis que Watson, Crick et Wilkins recevront le Prix Nobel de médecine en 1962 pour leur découverte. Encore aujourd’hui, la découverte de la structure de l’ADN est attribuée aux seuls Watson et Crick alors qu’une femme remarquable y a consacré sa courte vie.

Mae Jeminson (1956 – )

On ne peut pas dire que Mae Jeminson soit née avec toutes les facilités vu qu’elle n’était ni un homme, ni blanche, ni riche. Mais elle a toujours eu une soif d’apprendre et d’aller toujours plus loin. Très jeune, grâce à sa mère, elle a appris à chercher par elle-même et à ne jamais se laisser abattre. Son palmarès est incroyable : ingénieur, médecin et astronaute, elle a toujours suivi son rêve, la tête dans les étoiles et les pieds sur Terre. Entourée de sa famille, qui l’a poussée à réaliser son rêve de petite fille de devenir scientifique, elle a eu le cran d’affronter les jugements de ceux qui, plutôt que de se baser sur ses compétences, se basaient sur les stéréotypes des femmes de couleur. Acceptée en 1973 à l’Université de Stanford, à l’âge de 16 ans, elle en ressort avec un diplôme en génie chimique et en études afro-américaines (entre autres) puis elle entre au Weill Medical College de l’Université Cornell pour y suivre des études de médecine. Après quelques années à exercer la médecine, elle saute sur l’opportunité d’un appel à candidature de la NASA en 1987 pour enfin accomplir son rêve d’explorer les étoiles. Elle devient ainsi la première femme afro-américaine à aller dans l’espace. Depuis, elle se bat pour promouvoir la science et la technologie et lutte contre les discriminations. En 2019, Google met en avant une de ses phrases, qu’on devrait tous mettre en pratique :

« Ne soyez jamais limité.e par l’imagination limitée des autres »

Crédit photo : Wikimedia
Hedy Lamarr aurait pu avoir sa place ici. Elle est la preuve qu’être belle ne signifie pas être sotte.

Nous ne sommes pas toutes capables de telles prouesses. Ou, plus exactement, l’être humain lambda – homme ou femme – n’en est pas capable. Mais pour un grand nom, combien d’anonymes ? Ce sont aussi ces femmes du quotidien qui comptent. Nous avons parmi les chroniqueuses Maé par exemple qui est l’ingénieure-développeur de l’équipe (la technique de ce blog, c’est elle !), nous avons également Rosa Evril qui t’expliquait récemment son métier de chercheuse ou encore Maxine qui flirte tous les jours avec les statistiques. On pourrait également citer la cancérologue d’Alphonse ou la cousine chirurgienne cardiaque de Chaperon Rouge ou encore la sœur actuaire de madame Vélo… la liste est longue ! Et c’est bien le principal : ces femmes permettent de faire comprendre à nos petites filles que, si elles le veulent, elles le peuvent (l’une de nos chroniqueuses a préparé un article spécial sur le sujet, sauras-tu deviner laquelle ?!)

Revenons dans cette cour de récréation quelconque, quelque part en France. Les enfants continuent d’y discuter. Emma a convaincu ses copains qu’évidemment, elle pourrait devenir informaticienne, qu’il n’y a pas de « métier de garçon ». Ronan demande alors timidement « Mais alors, si toi tu peux travailler avec les ordinateurs, ça veut dire que moi, je pourrais travailler avec les gens ? Ce qui me plaît le plus, c’est quand j’aide les autres mais mon papa dit que c’est un métier de femme. » La fillette prend quelques secondes de réflexion et le regarde gravement. « Pour ce métier, il faut un cœur. Et tu en as un, là. »

Et toi ? Si on t’avait demandé de choisir une femme scientifique, laquelle aurais-tu choisi ?

19 commentaires sur “Les femmes et les sciences

  1. J’ai eu la chance de grandir dans une famille où on m’a encouragé à faire des sciences vu que ca m’attirait et où on a encouragé ma soeur à exploiter son côté littéraire vu qu’elle adorait cela. Je ne pense pas avoir eu beaucoup de modèles mais vu qu’on n’avait ni la TV, ni la radio, je n’ai pas vu trop de stéréotypes petites.
    Lors de mes études d’ingénieur, on était 40% de femmes dans mes cours (logistique et production), 80% dans la section chimie et matériaux et seulement 20% dans la section mécanique. Maintenant que l’accès aux sciences est plus démocratisé, on s’apercoit que les sciences peuvent être féminines ou maculines !
    Chez mes parents, on avait tous les livres de Dolto, des ouvrages sur Marie Curie et sa fille. Pus tard, j’ai lu sur Françoise Barré-Sinoussi (qui était dans l’équipe qui a découvert le VIH et a obtenu le Nobel de médecine), Émilie du Châtelet (mathématicienne, qui fut membre de l’Académie des sciences).
    On a aussi parlé à l’école de Katia Krafft (volcanologue qui m’avait sourtout marqué à l’époque pour être décédé lors de l’éruption du volcan qu’elle étudiait!).
    De nos jours, mes modèles seraient plutôt aux alentours de moi: ma sage-femme, ma collègue doctorante et ingénieur qui est tellement intéressante à écouter…
    J’espère que le nombre de femme dans la science continuera à augmenter.

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  2. Et Colombe, Hermy, Amelia Bluebelle, Elaura… et j’en oublie sans doute d’autres !

    Pour découvrir encore plus de femmes exceptionnelles, il y a les livres « histoire du soir pour filles rebelles », une vraie mine d’information 😉

    Bonne journée les filles ❤

    Aimé par 3 personnes

  3. Super idées ces portraits ! J’ai beau avoir aussi suivi un parcours scientifique, j’avoue que je m’intéresse assez peu aux grands noms de l’histoire, homme ou femme d’ailleurs, je me focalise plus sur le futur que sur le passé. Mais je devrais revoir ma copie car ces femmes sont incroyables !

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  4. Mon petit garcon, 3 ans et demi: « maman, pourquoi les filles, elles peuvent tout faire, et pas les garçons? »
    -pourquoi tu dis ça ?
    -et ben les filles, elle peuvent faite tous les métiers, magicienne, docteurs, spiderman… mais les garçons, ils peuvent pas tout faire. Ils peuvent pas être donneur de lait aux bébés… alors que moi, j aimerais bien donner mon lait a un bébé. »
    Bon, j ai expliqué que c etait pas tout a fait un métier et qu il pourra donner le biberon, que c est chouette aussi, mais pour l instant pour lui, les femmes ont un super-pouvoirs que les hommes n ont pas! 🤣🤣🤣
    Sinon, j ai lu un article dans Slate, où il parlait de la génération Dana Scully (l agent du FBI, médecin et docteur en sciences, dans Xfiles). Il paraît que cela a bcp poussé des filles a faire des sciences, et effectivement, je pense qu ado, je m identifiant pas mal a elle, et ça m a poussé a prendre le même chemin!!!

    Aimé par 1 personne

    1. Il n’a pas tout à fait tort ton petit garçon 😉
      Blague à part, je pense que les séries télévisées sont à double tranchant : elles peuvent faire des vocations… à condition de ne pas créer des illusions démesurées sur la réalité du métier.

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  5. Très intéressant 😊 Merci!
    Et sinon pour les petits je connais un livre sympa « Les filles et les garçons peuvent le faire aussi », il y a un côté fille un côté garçon, il est pas mal fait et ma fille le cite souvent. Ma fille va bientôt l’apporter à l’école 😊

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