Instants fraternels

Instants fraternels

1er instant : les turbulents

Il est 18h30. Je suis seule avec les trois enfants. Mon mari profite de l’allongement du couvre-feu pour partager un moment convivial avec ses collègues (le chanceux). J’ai proposé un repas simple qu’ils mangeront avec plaisir et en complète autonomie : des crêpes. J’étais confiante, quand je les ai récupérés à l’école, ils étaient calmes et coopérants. J’avais oublié un (léger) détail : cuire une quinzaine de crêpes, ça prend du temps. Et l’équilibre entre calme et excitation chez des enfants de quatre à huit ans est très précaire. En cuisinant, j’entends le volume augmenter. Les cris annoncent les disputes. Seule Ernestine (6 ans) reste calme. « Maman, pour t’aider, je vais prendre mon bain. » J’opine en souriant. Rapidement, j’entends l’eau couler. Je demande à Alphonse et Gustave d’accompagner leur sœur dans le bain. En vain. Ils manient serpillère et balai en épée et se poursuivent. Je monte la voix. Ils n’en ont cure. Ils savent que mon champ d’action est limité aux fourneaux. Je me maudis de leur avoir proposé des crêpes.

Quelques secondes de silence. Alphonse est monté à l’étage. A-t-il, enfin, décidé d’obéir ? Mes espoirs sont rapidement déçus. J’entends Ernestine hurler. Un sonore « Mamaaaan » avec ce qu’il faut de sanglots dans la voix. J’entends également Alphonse ricaner. Je soupire. Quand Alphonse a décidé de ne pas être gentil, il peut atteindre des sommets. Je n’ai pas accouru dans la seconde, le cri de ma fille s’est mué en litanie agaçante. Je finis par crier à mon tour. Je fais les crêpes, si elle veut me dire quelque chose, elle vient me voir. Je me demande ce que fait Gustave qui est maintenant bien silencieux.

Quelques secondes de silence. Ernestine arrive. Elle est encore toute mouillée, enroulée dans sa serviette. Elle pleure. Elle m’explique qu’Alphonse est venu dans la salle de bain. Il a pris le verre qu’ils utilisent pour le brossage de dents. Il l’a rempli d’eau froide. Il lui a renversé ce verre sur la tête tandis qu’elle était tranquillement dans son bain. Elle voudrait que j’aille le punir tout de suite. Moi aussi, j’en ai envie. J’enrage.

Ernestine s’est installée sur le canapé. Elle a choisi une BD qu’elle lit paisiblement. Alphonse et Gustave ne sont toujours pas lavés. Je passe un premier savon à mon grand garçon. Il est tout penaud. Il tente un maladroit « mais je n’ai pas fait exprès ». Je le dévisage froidement. Il murmure alors « pardon maman ». Je lui rétorque que c’est à sa sœur qu’il faut demander pardon. Pas à moi.

2ème instant : les petits chéris

Enfin, ils mangent leur repas. Ils se régalent et sont calmes. Une histoire pour tous les trois, et au lit ! Alphonse et Ernestine se couchent sans faire d’histoire. C’est le moment du dernier bras de fer de la journée entre Gustave et moi. Gustave ne veut jamais se coucher. Il veut continuer à jouer. Il veut laisser la lumière allumée. Je reste sur le pas de la porte de sa chambre. Je lui demande de se coucher, j’exige qu’il arrête. J’éteins la lumière. Il râle, vient la rallumer. Il me demande encore « cinq minutes ». J’attends avec impatience.

J’entends Ernestine qui se relève. Je soupire.

– Maman ? Je peux aller faire un câlin et un bisou à Alphonse pour lui souhaiter bonne nuit ?
J’acquiesce. Je reste dans l’encadrement de la porte à surveiller Gustave et j’écoute ce qu’il se passe dans la chambre d’à côté. Deux petites voix s’élèvent, pleines de murmures.
– Alphonse ? Tu dors ?
– Non. Pas encore.
– Je voulais te dire que je te pardonne. Tu n’as pas été gentil de me jeter un verre d’eau froide sur la tête mais tu es mon grand frère et je t’aime.
– Je t’aime aussi Ernestine. Et je suis désolé de t’avoir embêtée tout à l’heure.
– Tu veux un câlin ?
– Oui !

Je les imagine tous les deux se faisant un câlin, j’entends le bruit des bisous. Ernestine retourne dans sa chambre en me glissant au passage « C’est bon maman ». Les deux grands sont calmes, je sais qu’ils ne vont pas tarder à s’endormir.

Je regarde Gustave. Il a toujours son sourire narquois, son air de défi. Il ne veut qu’une chose : me contrarier. Ce soir, il n’arrivera plus à m’énerver. Je viens d’être témoin d’une des plus belles choses que je puisse voir. Et je sais que dans deux ans, lui aussi s’endormira gentiment. Au même âge, Alphonse et Ernestine faisaient le même numéro.

frère et soeur, complicité, affection, tendresse
Crédit photo : Patty Brito

20 commentaires sur “Instants fraternels

  1. C est si beau, que je pleure bêtement dans mon lit.
    (Il faut dire que j ai dormi 2h, en garde à l hopital, et que cette nuit, j ai vu un jeune sauver la vie de son frère… alors, les frères et sœurs, ce matin, ça me touche. )

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  2. Oooh mais c’est beaucoup trop mignon ça !! Merci pour ce partage ! J’admire à la fois ton laisser-faire (moi je serai montée aux cris d’Ernestine, surtout la sachant dans son bain, mais j’ai l’impression qu’elle est bien débrouillarde donc chapeau !), et la capacité de dire pardon et de pardonner de tes enfants. Ici je leur dis de dire pardon, mais ils ne le font pas… je ne sais pas comment les obliger à le faire.
    En tout cas ici c’est pareil, on peut passer d’un moment de calme à un énervement général, de cris et de coups à un moment de grâce, le tout en quelques secondes !

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    1. Je pense que la plupart des jeunes enfants ne comprennent pas bien pourquoi on leur demande de dire pardon.
      Personnellement j’essaie plutôt d’expliquer à mon enfant que l’autre est triste, en colère, ou vexé et de demander à l’enfant comment est-ce qu’on peut faire pour l’aider à aller mieux, éventuellement en faisant moi même deux ou trois propositions. Bon évidement, ça c’est quand je suis dans un bon jour (ou plutôt, un bon moment, car je pense que je n’ai jamais réussi à être calme toute une journée avec mes enfants !). A la place d’Albertine, en train de faire les crêpes, pas sure que j’aurais pris le temps de répondre comme ça à Alphonse !

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      1. Je pense qu’au contraire, les enfants comprennent très bien pourquoi on leur dit de demander pardon. Quand ils ont fait une bêtise, ils le savent et s’ils ne sont pas / plus excités ou en colère, ils sont penauds. Après, les miens n’ont pas toujours le pardon facile, si ça peut te rassurer Mélinda : ça dépend vraiment des jours 😉

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        1. En fait, quand je dis qu’ils ne comprennent pas pourquoi on leur demande de dire pardon, je ne parle pas de la cause (ils ont la plupart du temps conscience d’avoir causé du tort à quelqu’un), mais bien de l’intérêt de dire le mot Pardon. D’ailleurs, j’ai vu plusieurs fois des « victimes » à qui on disait Pardon réagir assez violement (j’avoue qu’à chaque fois, l’enfant qui disait Pardon n’avait pas du tout l’air repentant).

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    2. Si ça peut t’aider, ici, elles se demandent pardon quand elles ont bien compris qu’elles avaient blessé l’autre. Et puis, ne jamais sous-estimer le pouvoir de la répétition ! Ils vont finir par comprendre, c’est sûr !
      Et surtout, je crois que les enfants sont beaucoup dans l’imitation, il me semble qu’elles le font de bon cœur, parce qu’elles nous ont vu leur demander pardon quand on a pu être injuste ou trop dur avec elles… (Et bien sûr, il y a aussi des fois où elles ne veulent pas s’excuser parce qu’elles sont trop énervées au moment où il faudrait le faire… Ça n’empêche pas de leur demander de s’expliquer un peu plus tard :D)

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  3. Trop mignon la petite conversation entre tes deux grands, ça m’a mis la larme à l’œil !
    Et j’admire ton lâcher prise sur le coucher de Gustave. Mon deuxième est aussi dans cette période, et j’ai vraiment du mal à ne pas m’énerver !

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  4. C’est trop fort ces moments où ils arrivent à nous faire passer de l’énervement à l’attendrissement en quelques secondes seulement…
    J’adore les voir se faire un câlin spontanément, venir se consoler quand il y en a une qui pleure… et se demander pardon aussi : là, on se dit qu’on n’a pas tout fait de travers, la capacité de savoir demander pardon, et de savoir pardonner, ce sera un atout dans leurs rapports aux autres.

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  5. Magnifique article, merci beaucoup de partager ces précieux instants avec nous (même les « mauvais » instants sont précieux ! Si si !)

    J’ai adoré le « je me maudis de leur avoir proposé des crêpes » 🤣 j’ai tellement souvent ce genre de pensée !

    Aimé par 1 personne

  6. Haha, ça m’arrive si souvent le programme de repas qui tourne à la cata parce qu’ils font les andouille où se chamaillent pendant que je prépare ou qu ils mangent ^^’
    J’ai eu la larme sur la petite scène de réconciliation, comme je le disais dans mon article quelques jours plus tôt, les miens sont extrêmement affectueux l’un envers l’autre aussi… Mais cette notion du pardon et du je t’aime, ils n’en l’ont pas encore ^^

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