Adieu lA MAmMA
Ils sont venus, ils sont tous là
Dès qu’ils ont entendu ce cri
Elle va mourir, la mammaIls sont venus, ils sont tous là
Même ceux du sud de l’Italie
Y a même Giorgio, le fils maudit
Avec des présents plein les brasTous les enfants jouent en silence
Autour du lit sur le carreau
Mais leurs jeux n’ont pas d’importance
C’est un peu leurs derniers cadeaux
À la mamma
La mammaOn la réchauffe de baisers
La Mamma – Charles Aznavour
On lui remonte ses oreillers
Elle va mourir, la mamma

Crédit photo : Sabine van Erp
J’arrive toute fringante avec mon nouveau-né splendide dans les bras et ma tribu sur les talons. Tellement heureuse d’être là, de présenter ce petit bébé aux derniers membres de ma famille, à l’occasion d’un nouveau repas de famille géant organisé chez ma mamie. Aujourd’hui, on doit faire la fête, souhaiter les anniversaires, se retrouver, rire, chanter autour de la grande table dressée au milieu du salon. Cette table, de plus en plus grande : on est encore dans une phase où les nouveaux arrivés, conjoints et enfants, se font plus nombreux que les morts.
Toi, tu dois d’ailleurs fêter ton anniversaire dans quelques jours. 99 ans ! Si on s’attendait à ça ! Presque centenaire mon arrière mamie, et toujours toute sa tête. Tu participes encore à nos tablées géantes, dans ton fauteuil. Après tout, ta chambre est juste au bout du couloir, et tant que ma grand-mère aura la force de s’occuper de toi, tu viendras te glisser quelques minutes en bout de table pour partager un morceau de gâteau, chanter les anniversaires des uns et des autres et faire des grimaces à la cinquième génération.
Mais je suis fauchée dans mon élan. Sitôt le portail passé, on me dit « c’est la fin ». La fin ? La fin de quoi ? Tu ne peux pas mourir toi, on commençait justement à se dire que tu serais immortelle. A chaque fois que je passais chez mamie, tu me disais des larmes plein les yeux « ma petite, c’est la dernière fois que je vous vois » ; et à chaque fois, tu étais là la fois suivante.
Mais cette fois, ce n’est pas une parole en l’air. Quand je passe le seuil de ta chambre, où commencent à s’entasser les membres de cette famille que tu as construite, je comprends que la fin est vraiment là. Certains te serrent la main, d’autres s’agitent au téléphone avec un médecin, une infirmière. Et toi, tu n’es déjà plus qu’une ombre, tes yeux sont fermés, ta peau translucide, ton souffle saccadé. Je prends conscience que je ne verrai plus jamais ton regard gris clair, et je suis tout à coup perdue.
La famille se met en branle dans un climat de stupeur. On finit de mettre le couvert, on se relaie à ton chevet pour s’assurer que tu ne partes pas seule, un grand oncle continue de préparer la semoule du couscous familial dans la cuisine, on appelle les absents tout en faisant manger les enfants. Ces absents qui grimpent sans réfléchir dans leur voiture et avalent rapidement les quelques heures de route qui les séparent de toi. Tu les attends, j’en suis certaine, tu veux mourir entourée de tous les tiens.
C’est une scène qui restera gravée dans ma mémoire : ça grouille de monde dans la maison, presque tout le monde est là, même les cousins et la belle-famille. Tout s’agite et vit : il y a ceux qui s’installent autour de la table et se servent un verre de vin ; il y a les enfants, les dernières générations, qui courent en riant dans le couloir ; il y a ceux qui discutent de tout et de rien autour de ton lit ; il y a les chiens qui s’ébrouent dans le jardin, et les odeurs d’Algérie qui embaument l’air depuis la cuisine. Je pense à cette chanson, La Mamma : c’est exactement ça.
Et plus ça va, plus on se tasse dans cette petite chambre. Cinq générations réunies autour de ton lit : de 99 ans à un mois, presque un siècle de famille pour ton grand départ. On ne permet pas aux enfants de venir te voir, mais on ne leur ment pas non plus. De toute manière, ils ont compris.
Moi je n’arrive pas à t’approcher, ou à te parler. Pourtant un an auparavant, c’est mon fils que je laissais partir dans mes bras. Mais là je ne sais pas, j’ai peur. J’attrape la main que ma sœur me tend et je me contente de pleurer en observant ta fin approcher. Tout est si calme.
Et tu t’éteins là, paisible, entourée de ta fille, de tes deux petits-enfants, de cinq de tes six arrière-petits-enfants, et de tes deux arrière-arrière-petits-enfants. Entourée des larmes, et des rires qui résonnent depuis la chambre voisine. Entourée de tout l’amour qu’on a pu t’apporter pour tes derniers moments.
Quelques minutes se passent, on te remet droite dans ton lit, on appelle l’infirmière, on serre ta fille dans nos bras. Il n’y a pas d’âge pour souffrir de la perte de sa maman… On sort dans le couloir, et on se met à genoux pour expliquer aux enfants, leur dire que tu n’es plus. Sécher leur larmes.
Et la vie reprend. Comme si de rien. C’est sûrement cela la force de la famille : tu n’aurais pas voulu qu’on reste abattus. On sert le couscous familial, on s’agite autour de la table, on rit, on se raconte nos derniers projets, on se montre des photos, on s’extasie sur le bébé, on trinque à ta santé et à la sienne, on sort les gâteaux d’anniversaire et les cadeaux. La seule chose que nous n’arrivons pas à faire, c’est chanter cette balade d’anniversaire que tu chantais du bout de la table : « Et que l’an fini, nous soyons tous réunis« .
Quelques heures plus tard, quand l’énergie de la vie sera un peu retombée, que les cousins auront regagné leur demeure et que les assiettes seront propres, je retournerai dans ta chambre, et je te raconterai qu’au paradis, tu rencontreras un petit garçon espiègle qui s’est envolé un an avant toi. Que tu seras la première à le rencontrer après ses parents, et que tu pourras lui faire plein de grimaces. J’espère que tu ne seras pas surprise de le trouver là, toi à qui toute la famille avait caché sa petite vie, pour ne pas te faire souffrir. J’espère surtout que tu l’aimeras, autant que tu nous as tous aimés.
Adieu, ma mamie adorée.
J’en ai les larmes aux yeux, quel beau témoignage, et quelle chance tu as d’avoir eu si longtemps ton arrière-grand-mère à tes côtés !
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Les larmes me viennent également en te lisant… c’est triste mais en même temps si beau, je crois qu’on rêve tous d’une fin comme ça… qu’elle repose en paix avec ton petit ❤️
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Les larmes me montent aux yeux en te lisant… tu racontes sa fin de manière si douce ❤
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… je vais devoir rentrer de ma pause déjeuner les yeux rouges et le mouchoir au nez…c’est un très très beau texte, qui raisonné fort en moi… On sent qu’elle était aimée ❤️
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Holala quel magnifique texte. J’en pleure. Nous avons vécu exactement la même chose que vous à la mort de mon grand-père toute la famille réunie autour de lui dans une sorte de joie familiale. Et moi avec mon fils au creux du ventre. Je venais d’apprendre que ça allait être un garçon. J ai pu lui murmurer au creux de son oreille que son arrière-petit-fils allait porter son prénom. Malgré la tristesse du départ d’un être cher quelle joie de savoir qu il est partit entouré d’amour.
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Merci pour ce texte tellement beau et tellement émouvant. Ma grand-mère est aussi morte comme ça, dans son lit, entourée de tous ses tnombreux enfants, quelques jours avant ses 98 ans. Elle a regardé la photo de son mari, elle a souri, elle est partie, tout simplement. La mort au milieu de la vie…
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C’est un texte très beau, très émouvant. Même si on ressent de la tristesse à voir nos proches partir, je crois qu’il n’y a pas de meilleure manière de s’en aller que celle-là, entouré de l’amour des siens.
Toutes mes pensées pour ta famille et toi.
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Eh bah, quelle claque ! Ce texte est simplement sublime et m’a mis les larmes aux yeux !
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Ca touche beaucoup. La mort d’un parent , d’un proche , fait la meme effet ,dans quel coin du Monde que nous vivons, elle resonne nos coeurs et ames de meme maniere. Deja le photo me rapelle des mains de mes aieux qui m’attendrissait beaucoup. Et la chanson .Heureusement qu’ on ne vivrait pas eternellement dans ce Monde
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Quelle cadeau de pouvoir partir comme cela, entouré des siens… ! Ton texte est très touchant et je te souhaite beaucoup de réconfort et d’amour ♡
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