Famille nombreuse : Assumer

Famille nombreuse : assumer

« Ah ils sont à vous tous ces enfants ?! Je ne savais pas si vous étiez assistante maternelle ou pas ! »

« Oh la la, ça vous fait beaucoup de travail tout ça ! »

« Eh bah, vous êtes courageuse hein ! » suivi parfois de « moi je ne pourrai pas. »

« Mais vous en avez combien comme ça ? »

Ceci est un petit florilège de phrases que je peux entendre régulièrement lorsque je me promène avec mes enfants. Que j’ai les quatre avec moi, ou seulement les deux derniers, dans tous les cas il y a l’effet « jumeaux » et l’effet « famille nombreuse ».

J’ai parfois l’impression d’être une extra-terrestre, une bête de foire… quand ce n’est pas l’impression de déranger ou d’être jugée.

Et je dois avouer que… tout ceci me met très mal à l’aise. Je me rends compte que je n’assume pas d’être mère de quatre enfants… pas « encore » en tout cas. J’imagine que ça viendra un jour, que je finirai par m’y faire et par l’assumer – je l’espère en tout cas !

Mais voilà, non seulement je ne m’étais jamais imaginée en tant que mère de famille nombreuse, mais en plus je suis construite de pleiiiin de préjugés en tous genres (que je m’applique à démonter au fur et à mesure que je vieillis (et mince, je ne peux plus dire « que je grandis » !) (et voilà comment mettre des parenthèses dans des parenthèses !)). Je disais donc, les préjugés. Oui, il se trouve que les clichés de la famille nombreuse existent bel et bien, et je ne m’y retrouve pas.

Oui, tous ces enfants sont bien à moi. Mais je n’ai pas choisi d’en avoir quatre.

Oui, ce sont des jumeaux, mais je n’ai pas choisi d’avoir des jumeaux (comme si ça se décidait !).

Oui ce sont mes enfants, oui je les aime et oui quand je les vois tous les quatre je suis fière d’eux et heureuse de les avoir près de moi. Mais je suis épuisée, fatiguée. Si tu savais à quoi ressemble mon quotidien depuis plus d’un an, il n’y a plus que de l’organisation, de la gestion : de temps, de matériel, de planning, de crises, de repas, de lessives, de besoins à combler, etc. Il n’y a plus un seul instant de pause, de ressourcement, de loisir, de culture. Je n’ai pas ouvert un bouquin depuis des lustres, ni même regardé un film, et si tu savais comme ça me manque !

Et non, je ne suis pas courageuse. Pas du tout. Je fais ce que je peux, comme je peux, parfois pas trop mal et parfois pas trop bien. Je n’ai pas le choix, je ne vais pas en abandonner un ou deux pour que ma vie soit plus facile. Donc non, ce n’est pas du courage, je subis, je fais ce qu’il faut faire, c’est tout. Je porte ma pierre, mon fardeau, je fais face aux difficultés, je courbe le dos, en attendant des jours meilleurs. Car j’espère qu’un jour ce sera plus facile. Quand ils auront un peu grandi. (Enfin bon, passé la période bébé il y a le terrible two, puis le fucking four… on est pas sortis de l’auberge hein !).

famille nombreuse
Crédit photo : Pavel Danilyuk 

Parfois il y a des instants de grâce : les deux bébés sont calmes, les deux grands jouent harmonieusement ensemble, le repas est prêt et la cuisine est rangée, le linge est plié, le soleil brille, et je met ma vie sur pause, quelques secondes, quelques minutes, pour savourer l’instant, l’imprimer dans ma mémoire, et pouvoir le ressortir quelques heures ou quelques minutes plus tard quand tout aura explosé !

Et parfois je me retrouve en plein milieu d’une scène de guerre : les deux grands se tapent dessus, P’tit Matelot hurle et déverse toute sa colère sur tout ce qui passe, les deux bébés chouinent et s’agrippent à moi, aucun repas n’est prêt, tout le monde a faim, la maison est sans dessus dessous, la bassine dégueule de linge à plier, le lave-vaisselle est plein, et en plus c’est toujours là qu’une catastrophe en rajoute une bonne couche, comme un bocal en verre qui tombe à terre et se casse en mille morceaux, un sèche-linge qui tombe en rade, un bébé qui tombe et se fait mal à la tête, un grand qui renverse un verre, une couche qui déborde et qu’il faut aller changer en urgence, etc. (true stories !).

Dans les moments les plus difficiles j’ai des pensées affreuses qui me viennent. Par exemple, je me demande pourquoi j’ai voulu un troisième enfant. Je me dis que c’était mieux avant. Qu’on aurait pu être heureux. J’ai l’impression que ma vie est foutue, que j’en ai pris pour 20 ans. Je me dis aussi « pourquoi moi, pourquoi nous ? », que ce n’est pas juste. Que je n’ai pas les épaules assez solides pour supporter tout ça, autant de charge, que je ne serai jamais assez forte pour bien les élever tous les quatre et qu’ils seraient mieux chez d’autres.

Oui, j’ai eu et j’ai encore parfois ces pensées là. Je sais, c’est affreux. Je leur en veux alors qu’ils n’y sont pour rien.

Alors, quand la lumière se fait – légère – dans mon esprit embrumé, je me raccroche à l’idée que cette épreuve, ces épreuves, ne m’ont pas été envoyées pour rien ni par hasard. Que j’en sortirai grandie et plus forte. Que je me dois de rester debout et de ne pas baisser les bras. Que je ne suis pas seule pour faire face à cela, et je bénis notre couple, si solide, si fort. Ce couple qui a courbé l’échine et supporté plein de coups depuis des mois et des mois, mais qui tient bon. Cet homme qui m’aime et me soutient, qui ne se pose pas autant de questions que moi et qui me fait revenir sur terre quand j’en ai besoin. Il est temps de lui accorder du temps, à ce couple, pour le remercier de tenir bon malgré la tempête, et pour réparer les quelques blessures inévitables qu’il a subi.

Il y a plusieurs mois d’écoulés entre le début de cet écrit et la fin. Un vent d’optimisme commence doucement à souffler en moi et je commence doucement, très doucement, à sortir de ce trou profond dans lequel j’étais tombée. Et, enfin, je commence à assumer – parfois – d’être à la tête d’une famille nombreuse. Tout en prenant des claques quand il s’agit d’acheter quatre paires de chaussures d’un coup ou de voir le budget location de vacances augmenter d’un coup !

17 commentaires sur “Famille nombreuse : Assumer

  1. Bonjour Mme Vélo,
    Je côtoie des enfants de familles nombreuses (de 4 à 9 !) et j’ai découvert récemment un truc que je ne soupçonnais pas : il y en a pleins qui prenaient des babysitters régulièrement, genre 2 soirs par semaine (malgré la présence de la maman).
    Financièrement c’est pas accessible à tout le monde, et psychologiquement je ne me serais jamais autorisé à envisager de prendre une babysitter pour me « soulager » de mes enfants (ou juste me filer un coup de main sur le tunnel du soir) car la fameuse injonction « assume ! » est très présente dans ma tête. Mais je le partage parce que pourquoi pas si tu en as les moyens ? Pour passer plus sereinement la petite enfance ?
    J’ai lu pas plus tard qu’hier un autre témoignage sur fabuleusesaufoyer d’une maman de 4 qui avait remplacé 2 soirs de babysitters-coup de main par une cuisinière le mercredi midi, pour se libérer de cette tâche et des deux dîners suivants.
    Bref, là j’espère que je ne fais pas miroiter quelque chose qui t’est inaccessible. Je sais qu’on témoigne en général pas pour obtenir des solutions mais pour partager ce qu’on ressent mais je voulais te partager ces idées ;-). Bon courage et merci du partage !

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    1. Merci pour ton commentaire et tes astuces ! C’est vrai que je me demande souvent comment font les autres mamans qui ont une grande famille, j’ai l’impression qu’elles ont des pouvoirs magiques pour arriver à tout super bien gérer ! C’est loin d’être bête cette histoire d’aide pour le soir ou même de cuisinière ! Bon, malheureusement financierement ça ne va pas être possible pour nous. Mais je t’assure que psychologiquement ça ne m’aurait posé aucun problème !

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  2. Je suis plutôt working girl, en profession libérale, enfant unique, toussa toussa. Par contre, quand je te vois (ou une autre famille nombreuse) je suis de celles qui te disent « comment tu fais ? Chapeau bas ! » En le pensant réellement. Tu as toute mon admiration et certainement un peu d’envie, l’envie car au lieu de la carrière quelque part tu fais le choix de la famille. Je m’entends, tu peux tout à fait avoir une carrière (quoique… sans doute hyper compliqué) mais pour moi tes priorités ont complètement changé de fait, et je me dis que tu as fait le choix du coeur. Ce qui t’apporte sans doute plus que la vie que je mène.
    Allez Mum, tu vas t’en sortir !

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    1. Encore une fois, tout à fait d’accord avec Virg ! Pour la carrière, ma cheffe est également maman de 4 enfants en assez bas âge, dont des jumeaux, et elle arrive, je ne sais pas comment, à être une cadre super compétente et un être humain fabuleux en plus d’être une mère de famille, donc apparemment c’est possible (mais en effet, j’ai une admiration immense pour elle).
      Mais ça doit être hyper difficile (et les réflexions des gens ne pas faciliter la tâche), alors je te fais plein de bisous et te souhaite que la lumière au bout du tunnel se renforce de jour en jour ❤

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      1. @Mathilde en patronne, elle doit être géniale justement parce que maman de famille nombreuse 😉 genre la nana a passé le stade du chefaillon pointilleux pour des broutilles et a la capacité de prendre du recul. Pi elles sont forcément plus humaines ces Mam’s.
        Tu vois madame Vélo, ça t’apporte des qualités professionnelles super importantes ! Courage à vous ❤

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      2. Wahou de telles responsabilités professionnelles en plus de ses 4 enfants, chapeau ! Mais comme le dit Virg, je ne suis pas surprise que ça lui apporte de belles qualités de cheffe. C’est beau à lire ce genre d’histoire en tout cas, ça montre bien que tout est possible 😊

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    2. Merci pour ton commentaire ! Oh les 2 situations apportent beaucoup de choses je penses ! Différentes ça c’est sûr, mais je suis de toute façon persuadée que le parfait équilibre n’existe pas.
      Me concernant je n’ai de toute façon jamais été carriériste donc là dessus ça ne me dérange pas. Et j’ai la chance de faire un métier passion. Mais c’est vrai que parfois j’aimerais pouvoir lui accorder plus de temps ! Quand les enfants auront grandit je pense que ce sera possible.

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  3. Nous sommes un couple qui se pose des milliers de questions avant d’avoir un enfant. Sommes nous prêt matériellement, psychologiquement ect d’en avoir un de plus face à l’imprévu : si l’un de nous meure, si l’enfant ou nous meme développons une maladie/ un handicap, si c’est une grossesse multiples, si le travail nous demande de partir à l’étranger ou nous licencie, plus les raisons écologiques … bref, que des interrogations hyper réjouissantes 😂. Pourtant, nous sommes très optimiste, pas des personnes stressées ect. Et du coup, nous avons moins d’enfants que dans nos rêves. Donc j’arrive à la même conclusion que le commentaire précédent : j’admire aussi les familles nombreuses !

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    1. C’est vrai que nous n’avons pas été du genre à nous poser mille questions avant de faire un/des enfants. Pour moi la vie apporte de toute façon des surprises, et elle n’attend pas qu’on soit prêt pour les épreuves qu’elle nous envoie ! En tout cas, je te souhaite une réflexion, en espérant que ça vous amène vers votre bonheur !

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  4. Très fort cet article… Au delà du fait d’assumer le nombre de tes enfants, je trouve que tu assumes le fait de galérer, et c’est pas le genre de message qui est facile à afficher sans susciter une réaction du type « mais tu l’as voulu/fallait y réfléchir avant ». Tes deux derniers paragraphes sont porteurs d’espoir, et oui clairement un jour ça ira bien mieux. En attendant, force et courage 😘

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    1. Merci pour tes mots !
      J’ai remarqué que d’avoir eu des jumeaux apporté plus de compassion de la part des gens et donc plus de « légitimité » pour moi d’afficher que je galère. Justement parce que les jumeaux ça ne se choisit pas ! Je suis à peut près sûre que s’il n’y avait eu qu’un seul bébé j’aurai galéré quand même (moins, mais quand même), et j’aurai reçu beaucoup beaucoup moins d’aide et de compassion !

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  5. J’en ai une de moins que toi, mais je connais cette impression que ça ne va jamais s’arrêter avec mes 3 rapprochées… Je trouve qu’il y a vraiment un basculement vers les 2 ans et demi/ 3 ans du dernier enfant (bon toi ce sera des derniers), et on se remet à respirer, le temps s’allonge, les grands sont plus autonomes, les petits moins dépendants… Je t’assure que tu te rapproches chaque jour de cette respiration et quand tu te retourneras pour voir le chemin parcouru… waouh quelle fierté ! (et aussi on se dit qu’on est dingue !) mais en attendant, je te fais un gros câlin pour continuer de vous accrocher, toi et ton mari, dans cette bouleversante tempête de petite enfance…

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    1. Merci pour tes mots !
      C’est rigolo, j’ai toujours eu l’impression que tu étais super zen et que c’était très fluide avec tes 3 filles !
      Oui, énormément de témoignages disent que ça se calme quand les derniers rentrent à l’école. Donc à la fois j’ai hâte. Et à la fois bah… on rentrera définitivement dans une autre dimension, avec plus jamais de petite enfance (car c’est dur mais c’est si mignon !) et nous ce sera un signe de plus que l’on vieillit ! Bref, faut encore que je bosse sur les paradoxes qui m’habitent 😅

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  6. Ca va passer mamma, tu fais tout très bien. C’est la tempête des enfants en bas âge mais après ça va mieux. Ici on a 4 enfants à nous deux et effectivement le budget vacances, voiture, études (mon mari a deux grandes et on a deux petits ensemble)etc est colossal…
    Je n’ai pas regardé de films ou fait de shopping ailleurs que sur internet entre 2 tâches ménagères ou 2 patientes depuis des lustres. Quand on a la tête dans le guidon tout paraît long mais quand on se retourne et qu’on voit le chemin parcouru au final ça passe tellement vite

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  7. Moi aussi je fais partie de celles qui sont sincèrement admiratives des mamans de famille nombreuse. Je n’ai qu’une fille et je n’aurai pas d’autre enfant. Pour plein de raisons et surtout parce que je sens déjà tellement assaillie de tâches ménagères et de préoccupations. Et pourtant ma fille est calme, adorable et je l’aime de tout mon coeur. Mais mon métier m’oblige à travailler à la maison le mercredi, le soir, le weekend (je suis maîtresse) et c’est difficile de tout gérer de front. Donc bravo, courage et merci d’avoir écrit ce que plein de mamans pensent tout bas !

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  8. Quel article vrai. Tu poses des mots juste sur ce qu’on peut ressentir lorsqu’on a un/des enfants. Personnellement j’en ai 3. Mon petit dernier à 8mois et mon aînée 4ans. J’ai toujours rêvé d’en avoir 4… J’ai tjs cette envie forte en moi, mais en effet je redoute le regards des autres. Déjà aussinaprce que je suis de couleur et que le regard n’est pas tendre avec moi… alors je n’imagine même pas avec un mini tribu. Je crois effectivement que je n’assume pas… Je n’assume pas de ne pas être satisfaite d’en avoir « que » 3… mais je redoute la réaction de mon employeur. Le sentiment de lui faire une « sale » coup… et pourtant qu’est ce que j’en ai envie ! Mon bonheur à grandi avec le nombre d’enfants… je sens qu’on va le faire ce 4e mais il faut que j’assume tour. Ce petit dernier ne sera pas un accident.

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