Maladroite ?
On me dit que je suis maladroite. Il paraît aussi que je ne fais pas attention à mon environnement. Enfin ça, c’est que l’on m’a longtemps dit après chaque grosse maladresse, chaque coin de porte qui arrivait un peu trop près de mes lunettes, ou même de grosses difficultés pour me garer.
Fais attention ! Ysée est pleine de bonne volonté, mais elle a deux mains gauches et cinq pouces à chaque main. Ce n’est quand même pas si compliqué que ça ! Mais anticipe enfin !
J’ai passé des heures à regarder une pièce en bazar et à me demander par quel endroit commencer pour pouvoir la ranger. Comme si trouver la place adaptée pour chaque objet était un gros effort, parce que dans l’endroit que j’imaginais, l’objet ne tenait pas mais que je ne voyais pas comment organiser l’espace autrement. Je ne compte plus les réorganisations de chambre pour essayer de faciliter ma logistique personnelle. C’est d’ailleurs à ce moment-là que la Dymo est devenue ma meilleure amie : une fois une boîte trouvée dans laquelle tous les objets d’une même collection rentraient, je l’étiquetais (et je le fais encore) pour ne pas oublier lors d’une prochaine réorganisation que cette boite est pratique pour cet objet.
Il y a eu d’autres choses qui auraient pu me mettre la puce à l’oreille mais qui étaient plus facilement explicables par une paresse intellectuelle : l’apprentissage des chronologies est douloureux, presque impossible. D’ailleurs, parfois la chronologie des événements de ma propre vie m’échappe un peu et il me faut trouver des liens autres que chronologiques pour remettre les événements au bon endroit. L’apprentissage de la géographie, poser des opérations mathématiques ou encore l’apprentissage de la géométrie dans l’espace aussi. Je n’y arrive pas, je ne vois pas. Je te laisse imaginer les conséquences sur la conduite : chaque changement de voiture est source de stress parce qu’il faut que je reprenne des repères dans l’espace, les créneaux, la conduite dans les bouchons, le GPS qui me dit qu’il faut sortir dans 800 mètres alors que je suis sur la voie de gauche, tout ça me demande un effort de concentration inouï qui me laisse généralement vide et tendue une fois le trajet fini.
Et puis les petites hontes quotidiennes : le portail qui a rencontré la porte de ma voiture trois jours après notre déménagement parce que mon mari ne l’avait pas garée exactement comme je le fais, les chutes dans la rue ou les rencontres avec les poteaux alors que j’aurais pu AN-TI-CI-PER.

Il m’a fallu plus de 20 ans et la rencontre avec un ami ergothérapeute pour que ma maladresse prenne enfin un nom. Je ne suis pas maladroite, ni nulle en maths et en histoire, ni beaucoup trop distraite, ni paresseuse, ni bordélique pathologique. Je suis dyspraxique visuo-spatiale.
Je ne le suis pas beaucoup, et à force j’ai beaucoup appris à compenser. Je me sens vraiment chanceuse d’avoir pu passer mon permis (non sans stress) et d’avoir su mener mes études à bien alors qu’on ne m’a rien laissé passer. Et je suis fière de réussir à faire des activités manuelles, même si elles me demandent un peu d’organisation en amont et de la vérification tout du long pour que le résultat soit satisfaisant.
Cela dit, je regrette quand même le temps perdu à galérer toute seule avec mes difficultés, les brimades ou moqueries associées, et l’obligation parentale de suivre l’option sciences de l’ingénieur au lycée avec toutes les modélisations qui allaient avec, et l’échec annoncé. Certains continuent d’ailleurs à penser que je n’ai eu le déclic du vélo sans roulettes que par jalousie devant mon jeune frère qui a su en faire avant moi. Souvent je n’y prête pas attention mais parfois cela m’atteint encore.
Alors puisque plus rien n’est possible pour moi, si ce n’est d’identifier mes difficultés et de mettre en place des stratégies pour les contourner ou les réduire, j’agis pour mes enfants.
Je me renseigne sur la dyspraxie, sur les signes d’alerte et sur ce que l’on peut mettre en place au quotidien pour leur faciliter la vie en cas de besoin. Pour le moment, aucun d’eux ne semble concerné et à vrai dire je le vis comme un vrai soulagement, cela leur fait déjà ça de moins à porter. Je m’émerveille d’ailleurs en les voyant bricoler, construire, jouer ou organiser si facilement ! Autant d’activités qui ne me sont pas naturelles. Et parfois j’appréhende la suite de leur scolarité, les questions ou l’aide qu’ils pourront me demander, et je préviens mon mari : pour les maths, l’histoire et la géographie, il sera prié d’assurer le SAV, moi je serai inutile.
Et de temps en temps, quand ma fatigue se fait trop importante et que ma dyspraxie reprend le dessus sur mes stratégies de compensation, j’apprends à être indulgente avec moi-même et à me rappeler que ce n’est ni de la maladresse ni de la paresse, c’est juste mon cerveau et son câblage.
Pour en savoir plus ou en cas de besoin, l’association Dyspraxique mais Fantastique met pas mal de ressources à disposition.
C’est hyper intéressant cet article, peux-tu m’expliquer en langage pour les nuls ce qu’il se passe exactement dans le cerveau pour arriver à cette pathologie stp ?
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Pour toutes les dyspraxies (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, etc), c’est le même problème : c’est la structure / l’architecture du cerveau qui est construite différemment d’un cerveau que l’on qualifiera de Lambda. C’est cette différence structurelle qui cause des dysfonctionnements. C’est donc un trouble neurologique qui ne peut pas être « guéri » ou « soigné ». Les personnes qui en souffrent n’ont pas d’autre choix que de faire avec. Comme Ysée l’explique bien dans son article, la seule chose à faire, est de trouver des moyens de « compenser » ou de « pallier », de trouver des astuces, de contourner le problème quand c’est possible, de penser et agir autrement.
L’entourage a alors un grand rôle à jouer pour aider la personne qui souffre d’un trouble dys, par le biais de la compréhension en tout premier lieu et en s’adaptant, autant que possible au(x) trouble(s) de la personne. J’évoque la possibilité du pluriel car, oui, de fait, on peut cumuler plusieurs dys.
Il faut savoir que ces troubles sont innées pour la plus grande majorité des cas (les exceptions sont issues de traumatismes crâniens ou de lésions cérébrales après une AVC, par ex).
On nait donc avec ces troubles. Il est donc important d’apprendre à identifier ces troubles le plus tôt possible, dès la petite enfance. Afin d’éviter de cumuler, en plus, des troubles psychologiques causés par des moqueries ou des échecs répétés.
Pour en savoir plus : https://www.ffdys.com/troubles-dys
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Merci pour l’article,
J’ai été diagnostiquée après une énième coupure en faisant la cuisine, par un groupe d’amis : prof et psychologue
Comble je suis cartographe 🤣, comme quoi les parades et contournement fonctionne bien…
Suite au diagnostic, je decupabilise beaucoup et c’est le plus important
10% à 15% de la population est dispraxique, sans nous l’humanité aurait disparue, nous trouvons des chemins inattendus et c’est notre force et c’est ce qui nous sauve 😉
Bonne journée
Anaïs
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Je ne sais pas si c’est la même chose ou l’un des symptômes de la dyspraxique visuo-spatiale, mais une de mes collègues voit en 2D et non en 3D ce qui lui pose aussi pas mal de soucis. En tout cas j’imagine que ce n’est pas simple tous les jours. Existe-il des traitements ou du moins des solutions pour aider ?
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Ce n’est pas la même chose, ni forcément un symptôme puisque la dyspraxie visuo-spatiale n’affecte pas la capacité à voir en 3D mais le geste de l’oeil, ce qui a des répercussions sur la perception de l’espace et des volumes. Cela dit, j’imagine que ce ne doit pas être facilitant.
Comme le dit Arteliseaz dans son commentaire plus haut, il n’y a pas de traitement possible parce que c’est une question de structure du cerveau, en revanche on peut mettre en place de l’ergothérapie ou de la psychomotricité pour apprendre à compenser les difficultés. Certains auront aussi des aides extérieures : ordinateurs pour pouvoir écrire parce que la graphie est vraiment dure (tant dans la régularité que dans la concentration demandée), AESH pour accompagner la scolarité, etc.
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Très intéressant ! Mais en vérité, rien ne t’es impossible, juste plis long peut être ou par d’autres biais, ou avec une aide … la Dymo c’est bien pour commencer, moi aussi je devrais investir ! Mol angoisse à moi c’est de la prosopagnosie : je ne reconnais presque pas les visages et les noms je ne t’en parle même pas … et au travail avec le masque c’est une horreur … j’ai du mal à en parler mais quand les gens commencent à se dire que je les prend de haut je finis par leur dire … Enfin … Belle soirée et bon courage pour la suite, maintenant que tu sais, tu as les outils en mains pour avancer, mais doucement, comme tu le dis, laisse toi du temps 😉
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