Des flots et du cœur – Récit d’une inondation
15 juillet 2021
Je me souviendrai toujours de cette date.
Le 15 juillet 2021 semblait une journée inoffensive de prime abord. Après plusieurs jours pluvieux pendant nos vacances dans le sud de la France, le soleil apparaissait enfin, promettant chaleur et sorties extérieures. Ce jour-là cependant, nous avions prévu de visiter le Gouffre de Padirac. Hasard des réservations, ça serait donc un programme humide pour nous. A un point que je n’imaginais pas, à dire vrai.
Si le temps avait été mauvais les jours précédents dans ce département, ce n’était rien en comparaison avec la météo du nord, où il pleuvait sans discontinuer depuis plusieurs jours. Mais après tout, on vient de Belgique, rien d’inhabituel, n’est-ce pas ? Une bonne drache nationale.
15 juillet 2021
En me levant, j’ai découvert des messages paniqués de tous nos voisins, en alerte depuis le petit matin face à la pluie battante et aux rigoles d’eau circulant sur les routes, de plus en plus menaçantes. Des rigoles recouvrant rapidement la totalité des routes, débordant sur les trottoirs puis dans les maisons derrière, plus en contrebas. Montant progressivement dans les jardins, insidieusement, jusqu’à atteindre d’autres maisons. Puis à les encercler et les noyer, rapidement et sûrement. Deux heures, seulement.

Le 15 juillet 2021, ma maison a été prise dans les inondations qui ont dévasté la Belgique et l’Allemagne.
Tous ces événements, ces catastrophes naturelles que je voyais de loin arriver à d’autres, sans jamais penser être touchée un jour, nous tombaient si brutalement dessus. Nous avons toujours habité dans des lieux sûrs et peu sujets aux éléments climatiques. Le pire qu’on avait pu vivre était de rester bloqué un jour chez soi à cause des routes enneigées et de voitures non adaptées, une fois tous les 10 ans. Il n’y a pas de sécheresse en Belgique. Pas de tremblement de terre, pas de grosse crue meurtrière, pas d’ouragan ou de typhon, pas de volcan en activité… Rien ne pouvait nous arriver. Rien, sauf l’innocente petite rivière qui traverse notre commune, qui n’avait jamais débordé de mémoire d’homme.
Pour nos enfants, nous avons gardé le programme de la journée. Direction le Gouffre. Ils étaient tous les deux émerveillés et ravis mais l’émerveillement ne suffisait pas pour nous, adultes. Nous avions le cœur aussi trempé que la tête. Chaque goutte qui me tombait dessus ne faisait que me ramener toujours aussi crûment à celles qui remplissaient ma maison depuis le matin.
L’impuissance qu’on ressent dans un tel moment est indicible. On ne peut rien contre la force de l’eau. On ne peut rien contre la nature, contre la destruction qu’elle engendre. En étant en plus à 900 kilomètres de là, nous n’avons même pas eu ces deux heures pour nous permettre de sauver quelques affaires. L’impuissance te prend alors à la gorge et il ne te reste qu’à dresser la sinistre liste de ce qui sera perdu, parfois irrémédiablement.
Mon mari craquait régulièrement. Les enfants devaient profiter de leurs vacances, avec enfin ce temps superbe, cette grande piscine pour nous seuls. Alors pour eux, j’ai tenu bon, comme je pouvais. J’ai fait ce que je pouvais pour qu’on garde un programme de vacances non-entaché par quoi que ce soit. Je ne sais plus quand mais un jour, je les ai laissés quelques minutes tous les trois dans la piscine et je suis rentrée dans la maison qu’on louait. En voyant dans le salon nos affaires étendues, sèches, contrairement à tout ce qui nous attendait là-bas, j’ai craqué aussi. Pas longtemps parce que c’était à moi d’être leur roc cette fois mais suffisamment pour me permettre d’alléger cette pression que je ressentais sur le cœur et les poumons. L’impuissance et la tristesse infinies étaient encore là mais elles me laissaient désormais respirer. Nous avons finalement décidé de rentrer 5 jours après, un compromis entre nos vacances de détente et la nécessité du nettoyage et de la mise en ordre.

A partir du 15 juillet 2021, j’ai aussi appris à relativiser, en découvrant l’ampleur des inondations en dehors de notre village. Nous n’avions perdu que du matériel. Dans ma province d’origine, pendant 3 jours, les flots ont déferlé dans des proportions inimaginables, tuant 40 personnes et détruisant des lieux de mon enfance : Verviers, Pepinster, Angleur, Chaudfontaine… Nous nous sommes mariés là-bas, j’y ai vécu étant enfant. En Allemagne, il y a eu 187 disparus et des morceaux de villages entiers littéralement emportés par les rivières. De voir ces drames m’a permis de prendre du recul et de me dire que cela aurait pu être tellement pire. On s’en sortait tellement bien finalement, non ?
Nous avons eu 75 centimètres d’eau au rez-de-chaussée. Là se trouvent notre séjour, notre cuisine et quelques petites pièces techniques et sanitaires. Je dis de l’eau mais une inondation, ce n’est pas de l’eau. C’est de la boue. Une boue gluante et odorante, qui se glisse partout, abîme tout, détruit tout, et refuse de partir facilement. Nous avons dit adieu à tellement de choses. Cela fut d’autant plus dur que nous avions emménagé moins de deux ans auparavant, dans une maison que nous venions de faire construire et que nous aménagions progressivement à notre goût et de manière définitive. Le plus dur n’a pas été de perdre financièrement des choses ; les assurances sont là pour ça. Non, le plus dur a été de constater le vide émotionnel que laissait la disparition de certains objets. Ce qui est difficile, c’est de tracer un trait symbolique sur ces éléments qui feront à jamais partie de ton passé et qui en font partie en plus pour une raison aussi brutale et soudaine.
Ce que l’actualité ne m’avait jamais dit, c’est combien de temps il faut pour se remettre d’une inondation. Je crois que tout le monde se doute que les procédures administratives sont longues et épuisantes, notamment avec les assurances. Les réparations en revanche prennent encore plus de temps, tellement de temps qu’on finit par se demander si la prochaine inondation n’arrivera pas avant la fin des travaux. Le COVID a franchement tout retardé. J’écris ces lignes le 8 mars 2022, pourtant il nous reste encore quelques murs à replâtrer et peindre. Des voisins n’ont pas encore récupéré toute leur cuisine. Dans d’autres régions, des gens n’ont toujours pas de maison.
Ce qu’on n’évoque jamais dans l’actualité, c’est le traumatisme qui colle à la peau. La pluie qui tombe est devenue mon baromètre de l’angoisse. Je ne sais pas combien de temps il nous faudra pour ne plus regarder le ciel de manière anxieuse lorsque la pluie arrive. Combien de temps avant qu’un voisin n’arrête de demander depuis son lieu de vacances si tout va bien (comprendre « l’eau monte-t-elle ») ou avant qu’un autre n’arrête d’aller surveiller le barrage et la rivière trois fois par jour.

Dès le 15 juillet 2021, j’ai découvert une entraide que je n’avais encore jamais vue. Notre voisinage de quartier était déjà proche et bienveillant ; les liens sont devenus encore plus forts, jusqu’à en faire des amis plus que des voisins. Nous nous sommes serrés les coudes et les gardons serrés pour tout, depuis la recherche commune d’entrepreneurs pour les réparations jusqu’à la simple demande de farine du dimanche soir.
Dès le 15 juillet 2021, j’ai découvert la solidarité sans faille de notre village et de la population belge. Des centaines de personnes se sont précipitées auprès des sinistrés du pays pour aider à déblayer les maisons, nettoyer ce qui pouvait l’être, jeter ce qui était perdu. Dans notre commune, des enseignes ont fourni du matériel de nettoyage, des électroménagers, de la nourriture, les scouts ont organisé des cantines pendant une semaine pour nous apporter réconfort et soutien. Je ne compte plus les dons dont on a bénéficié, sous tellement de formes différentes.
Depuis le 15 juillet 2021, nous avons repensé notre rez-de-chaussée, y avons amené des petits changements, une certaine harmonie qui nous importait moins avant. Nous avons réfléchi certains remplacements et acquisitions, en faisant des choix de raison, en revisitant nos goûts et nos besoins. Chaque nouvelle chose qui vient compléter notre maison est un petit pansement au cœur, un petit pas dans la bonne direction. On est à la fois en train de retrouver notre maison et de créer un nouveau foyer, un qui n’a pas connu l’inondation.

Je ne peux pas retenir que le bon de cette expérience car ses stigmates resteront encore longtemps. J’essaye cependant de me concentrer sur ces quelques précieuses choses, à la fois pour ne pas m’enterrer dans le passé mais aussi pour l’espoir des jours à venir.
Pour un futur sans flots.
Inondation en mai 2018. 1 mois après avoir emménagé dans notre maison que nous avions fait construire. C’est notre sous sol qui a été inondé suite à des orages violent et une malfaçon du constructeur.
Il m’a fallu 1 an pour ne plus me lever à chaque fois qu’il pleuvait et descendre vérifier le sous sol.
❤️❤️❤️
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❤ J'ai l'impression qu'il faudra beaucoup de temps pour ne plus y penser…
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Je n’ai eu à vivre que l’inondation du sous-sol à cause d’un drain mal pensé, et une fois. C’est là que j’ai entraperçu ce que cela pouvait représenter dans des pièces à vivre, on a pompé l’eau toute la nuit et je me disais « heureusement, ce n’est que le sous-sol ». Je ne fais qu’imaginer le traumatisme mais vraiment je suis navrée pour vous et vous souhaite d’en sortir au mieux ❤
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Merci. L’avantage quand même, c’est que l’eau part et les murs sèchent plus vite au-dessus du sol. Nous n’avons heureusement pas de sous-sol mais des gens dans notre rue ont mis des semaines à écoper l’eau de leurs caves et les murs sont toujours suintants d’humidité encore aujourd’hui… Mais c’est vrai que l’impact sur une pièce à vivre est assez dramatique. Ces voisins ont eu non seulement leur cave inondée mais aussi 1m60 de leur rez-de-chaussée. C’était horrible à voir…
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C’est tout bonnement incroyable ce qui s’est passé, c’est normal que ça demande du temps pour s’en remettre ! Bon courage pour les réparations et espérons que la petite rivière va retourner à son état sage ❤
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J’espère… La gentille rivière a si peu à se reprocher pourtant. J’en veux terriblement au manque d’efficacité des bassins d’orage en amont (qui vont être refaits du coup), à la gestion des terres agricoles du bassin qui ont permis la coulée de l’eau sans obstacle et au réchauffement climatique qui a clairement joué un rôle prépondérant dans la quantité de pluie qui nous est tombée dessus ! En raison de toutes ces causes, j’avoue que je ne suis pas du tout sereine.
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Je connais l’histoire et pourtant de la lire comme ça… du coup j’imagine a quel point ça doit être encore dur pour vous. ❤ ❤ ❤ ❤ ❤
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❤ On avance comme on peut. Parfois j'ai des flashs de ce qu'on a perdu, je vois ce qu'il reste à faire et ça me coupe la respiration.
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Bravo de réussir à voir le positif, de relativiser, de te concentrer sur cette émouvante solidarité nationale et locale.
Je ne peux qu’imaginer, puisque nous n’avons eu à déplorer que des inondations de sous-sol dans notre ancienne maison (plusieurs fois avant de devoir investir dans une pompe) et une autre dans le salon de la nouvelle maison, à peine quelques centimètres, mais on voit déjà les galères que ça implique. Et combien le voisinage est précieux pour pouvoir partir en vacances l’esprit à peu près serein.
Bon courage pour (continuer à) vous en remettre !
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Merci !
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Comme ces 3 dernières années sont difficiles…
J espère que cela restera un épisode unique pour vous.
Et j espère aussi que les prochaines années seront un peu plus joyeuses que les dernières, pour tous.
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On croise les doigts pour que ça n’arrive plus (mais je n’y crois pas vraiment)
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Plein d’énormes pensées pour toi et toute ta famille. J’ai eu la chance d’être épargnée par cette catastrophe mais d’avoir vu les dégâts chez nos amis, je suis encore pétrifiée. Et quand je parle de dégâts, je constate régulièrement les dégâts matériels mais surtout psychologiques que ce genre d’événements impliquent. Plein de bisous ♥️♥️♥️
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Oui, sur le long-terme il n’y a que ça qui reste, le traumatisme…
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J’habite et exerce dans la région la plus touchée de la Belgique.
Des amis ont sauvé deux enfants sur un matelas pneumatiques et accueilli 30 personnes chez eux, dabs leur maison quelques mètres plus haut que le reste du hameau. Personnellement leur récit m’a bouleversée. « Tu imagines l’état de desespoir quand tout ce que tu peux faire pour sauver ton bébé c’est le mettre sur un pauvre matelas en priant pour qu’il ne se noie pas et espérant la solidarité des autres?! »… oh wait, ça me rappelle un truc…
Mon beau-pere vit encore dans une maison mise aux briques.
L’endroit où je bosse a pris 2m. DEUX METRES. Peut-être qu’on pourra y retourner en 2023. En attendant on campe, et bien sûr on continue à bosser. La souffrance des habitants, au quotidien, 8 mois plus tard est énorme. Certains ont passé l’hiver sabs chauffage, et les jours de pluie, j’ai plus de crises d’angoisse à gérer.
On n’imagine pas la durée des conséquences non. Et je ne pensais pas ça possible.
Maus les mêmes amis qui ont recueilli leurs voisins ont passé l’été, avec leurs deux ados, à vider les caves des voisins. Des gens de toit le pays sont venus et revenus. On a failli faire une indigestion tellement pendant 6 semaines on a reçu de la nourriture. Certains de ceux qui avaient fait 200km pour aider téléphonent encore pour voir si tout va bien. La petite école de ma fille reçoit des dons toute les semaines et des bénévoles tous les week-end pour la remise en l’état. Je ne pensais pas ça possible non plus.
Ça arrivera encore malheureusement. J’espère qu’on sera encore solidaires…
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Je compatis tellement ❤ ❤ ❤ Ca m'a fait un tel choc de voir les images et de constater les dégâts quand nous sommes allés là-bas quelques semaines plus tard… C'est pour ça que je nous trouve chanceux en comparaison de la vallée, les dégâts ont été tellement incomparables, ce qu'il reste encore à faire là-bas… Notre commune est assez aisée et soyons honnêtes, ça a bien aidé. Le centre de solidarité temporaire a d'ailleurs fait plusieurs envois vers Liège parce qu'on avait plus que ce qu'il fallait localement.
Je ne peux qu'espérer que ça n'arrivera plus mais, comme je disais plus haut sur les causes des inondations de juillet, j'ai l'impression qu'il faudra de nombreux changements globaux pour y parvenir et ce n'est clairement pas gagné.
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