Se sentir mère
Cet article n’a pas été simple à écrire pour moi. Je me suis même demandé s’il ne valait pas mieux ne rien dire. Et puis j’ai pensé que ça pouvait aider et rassurer d’autres personnes dans mon cas. Alors je saute le pas et je prends la plume.
Quand ça ne vient pas
Quand nous avons appris que Pirlouit allait nous rejoindre, je savais que j’allais devenir maman. Pour autant, je ne me sentais pas « maman ». Mes lectures m’ont appris que l’attachement entre un enfant adoptif et ses parents pouvait prendre du temps. Du côté de l’enfant bien sûr, mais aussi du côté des parents. Je ne m’attendais à rien : aurais-je le coup de foudre pour Pirlouit, comme certains parents le décrivent ? Est-ce que ça viendrait quelques jours plus tard ?
Il n’y a pas eu de révélation lorsque nous avons vu Pirlouit pour la première fois, pas d’amour brut qui me serait tombé dessus. Les débuts ont été un peu chaotiques : je m’occupais de lui, je jouais avec lui, je l’écoutais et j’essayais de faire au mieux. Cependant, je n’avais pas du tout le sentiment d’être une maman, plutôt une tata qui accueillait son neveu pour les vacances. J’avais une impression d’irréalité, comme si les choses étaient temporaires.
Et cela a duré longtemps. Non pas des jours, mais des semaines. Plus le temps passait, plus je m’inquiétais. Il y avait un souci avec moi. Ce n’était pas normal qu’autant de temps après l’arrivée de Pirlouit dans nos vies, je ne ressente toujours pas cette bouffée d’amour en le regardant. J’adorais être avec lui, voir son air ravi quand je revenais après une absence, mais pour autant je ne me sentais pas encore maman.
Tous les soirs je me demandais si je me sentais mère, et ce que je ressentirais si Pirlouit sortait de nos vies. Un petit pincement au cœur, mais rien d’autre. Je l’aimais bien, et ça me faisait atrocement mal de m’avouer qu’il n’y avait rien de plus. Cela m’interrogeait d’autant plus que je n’avais eu aucun problème à aimer aussitôt Schtroumpfette quasiment comme ma fille.
Et le malaise grandissait. J’ai envisagé de consulter si ça durait trop. J’ai même imaginé que c’était peut-être ça, être mère : s’inquiéter pour son enfant, s’occuper de lui, passer quelques bons moments ensemble sans l’amour inconditionnel qui était pourtant à mon sens le propre d’une maman. J’avais lu que cela arrivait parfois aux parents adoptifs, et qu’en s’occupant bien de son enfant au quotidien se créait l’attachement puis l’amour. Pour autant je n’aurais jamais imaginé que cela soit si long.
Se dire jour après jour qu’on n’est pas légitime, qu’on fait semblant, que ça ne viendra jamais, cela use moralement. Le pire c’était quand on prenait des nouvelles de « l’heureuse nouvelle maman », ou qu’on me disait que j’avais l’air hyper épanouie sur les photos alors que je n’y voyais que ma fatigue, mes yeux pleins de doute et mon sourire en demi-teinte. Je me sentais dans la peau d’une imposteuse, je ne parlais à personne de tous ces questionnements qui m’agitaient.

Le déclic
Et puis un jour, Pirlouit devait être avec nous depuis plus de 5 semaines, c’est venu tout seul, sans que je m’y attende. 5 semaines ce n’est finalement pas si long, mais quand on les vit cela semble interminable.
La journée n’avait pas été meilleure ou pire qu’une autre. On avait eu droit à des colères, à des cris, à des rires. J’étais aussi fatiguée que les jours précédents, ni plus ni moins.
Le soir, c’était mon tour de coucher Pirlouit. Il s’est endormi tout calmement dans mes bras. J’avais ses cheveux qui me chatouillaient le nez, j’ai senti son odeur, je l’entendais respirer tout doucement. Je n’ai pas eu besoin de me poser la question : j’étais sa maman. Je l’ai senti au plus profond de moi, ça a été comme un séisme intérieur très soudain. Il était mon petit garçon, pénible, épuisant mais tellement adorable et drôle. Il était là pour toujours.
Je ne me suis plus jamais posé la question. J’ai senti un amour très fort. J’étais maman. Sa maman. J’étais fière de lui, et malgré les difficultés j’étais heureuse de l’être, d’être celle qui avait le droit et la chance de s’occuper de lui, de le câliner, de le gronder, de rire de ses bêtises.
Je ne dirais pas que j’ai tout de suite ressenti un amour infini. Cela s’est construit petit à petit après ce soir-là.
Avec le temps
Aujourd’hui, quand je regarde Pirlouit rire ou courir, j’ai le cœur qui éclate de bonheur. Mon fils, mon merveilleux, fabuleux petit garçon. J’aime son odeur, son rire, ses yeux qui pétillent. Je sais où sont ses taches de naissance. J’ai appris ses rituels, la façon qu’il a de mâchouiller son tee-shirt quand il est fatigué, de froncer les sourcils et d’avancer sa lèvre supérieure quand il veut montrer qu’il a de la force, sa façon de courir, celle dont il se retourne dans son lit et qui signifie qu’il s’endort pour de bon. Je pleure chaque fois que je dois me montrer ferme avec lui, en regardant ses yeux noyés de larmes de colère ou de tristesse. Malgré les moments compliqués, je ne doute plus. Je n’imagine pas quelle douleur ce serait s’il n’était plus dans nos vies.
Je n’ai jamais parlé de cette période de doute avec M. Chéridamour. Non pas que j’avais peur qu’il ne me juge (enfin, pas plus que ça). Par contre, je craignais qu’il ne me dise que lui aussi ressentait la même chose car je ne le sentais pas serein non plus. J’aurais eu peur qu’on ait vraiment raté quelque chose avec Pirlouit si on avait tous les deux évoqué à voix haute nos sentiments. Et finalement, il m’a semblé que lui aussi avait un déclic quelques jours après moi.
Je sais que la route est encore longue. Non plus pour me sentir maman mais pour me sentir être une bonne maman. Pas une maman parfaite (ce que j’essaie encore trop souvent d’être), juste une maman à la hauteur. J’avance et j’évolue dans ce rôle qui reste encore si nouveau et si difficile. Je ne suis pas la maman que j’aurais voulu être, mais ça c’est une autre histoire.
Alors là je te rassure tout de suite, j’ai une fille biologique et pourtant ce lien n’est pas venu tout de suite. Ce qui est venu à la naissance, c’est le changement de priorité, cette admission tacite dans le couple du « à partir de maintenant, je te sacrifierai pour elle si je dois faire un choix ». Je dramatise mais c’est l’idée du changement de priorité dans un couple établi depuis longtemps. là, on est plus sur la notion de responsabilité.
Mais l’attachement lui-même ! Je crois que je m’en suis rendu compte un jour en constatant la patience dont j’arrivais à faire preuve 😉 c’est tellement nouveau, ça chamboule tout, je ne suis même pas sûre que j’aurais été capable de le déceler au milieu de tous les autres sentiments face à la maternité pour la première fois.
En revanche, je peux te dire que, juste le fait de t’en être inquiété, tu es déjà une bonne mère 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Ahhh la patience ! Encore aujourd’hui avec M. Chéridamour on est surpris : les rôles se sont inversés et j’en fais énormément preuve alors que M. Chéridamour pas du tout !
J’aimeJ’aime
Je pense que j aurais vécu la même chose que toi. Cet attachement qui se crée avec le quotidien. Et du côté de ton fils je pense qu il lui a aussi fallu quelques jours.
En tout cas toujours autant d émotions à te lire
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, Pirlouit s’est agrippé à nous dès le début mais pour l’attachement ça a été plus long. Aujourd’hui plus aucun doute, il est bien là !
J’aimeJ’aime
Ton témoignage est très touchant. Je suis maman de 3 enfants mais pour l’ainée il ma fallu 6 mois pour vraiment me sentir maman. Avant j’avais le sentiment que d’un jour à l’autre on pourrait reprendre le bébé en me disant que l’expérience s’arrêtait là, que je ne faisais rien de plus que ce que ferait n’importe qui face à un petit bébé (pourtant je l’allaitais et j’étais donc la seule à la nourrir par exemple). Et à 6 mois elle a commencé à se déplacer à 4 pattes et j’ai bien vu que malgré les appels, bras tendus et sourires des mamies ou autres personnes, c’est voir qu’elle venait spontanément sans hésitation… Et là, j’ai vraiment compris que j’étais sa maman.
Et pour en avoir parlé avec des amies, ça me parait assez généralisé ce décalage entre être maman et se sentir maman. 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Je n’ai pas d’exemple autour de moi de mamans qui ne se sont pas senties mamans dès le départ. Ça m’aurait peut-être aidé d’en discuter…
J’aimeJ’aime
Pourtant, je partage totalement l’expérience d’Obrigada ci-dessus.
Quand j’allais chercher mon Petichat de 4 mois chez la nounou, j’avais l’impression qu’il était à sa place et que c’est moi qui allait faire du baby sitting !
En tout cas, ton témoignage est très touchant, merci de l’avoir rédigé.
J’aimeAimé par 1 personne
puisqu’on est entre nous, je peux te dire que pour moi aussi ça n’a pas été simple…
J’ai espéré toute ma vie d’être maman, et quand mon premier enfant est né, j’ai été sa mère instantanément: je le nourrissais, le câlinais, le berçais, l’accompagnais. Ma vie s’est centrée naturellement autour de lui et je ne me posais pas de questions.
Mais lorsque son frère est né… j’ai été bouleversée d’amour pour cet enfant comme un tsunami et j’ai compris qu’avec mon ainé en fait le lien qui nous unissait était fort mais pas aussi profond, pas aussi absolu.
Cela a été très dur à vivre et à admettre.
Le plus fou, c’est que peut être parce que j’avais pris conscience de cela, j’ai réussi à renouer les liens avec mon ainé, comme portée par l’exemple de l’amour pour son frère.
Enfin je suis devenue sa maman à lui aussi.
J’aimeAimé par 1 personne
C’est un cheminement qui n’a pas dû être facile à faire !
J’aimeJ’aime
Même témoignage avec mon enfant… à sa naissance je ne ressentais pas cet amour inconditionnel et je m’en inquiétais. Je m’occupais d’elle parce que c’était mon rôle exactement comme tu le décris avec Pirlouit. Et puis c’est venu un jour où j’ai eu une inquiétude pour elle (je ne sais plus exactement quoi, peut-être une première fièvre un peu forte, ou une fausse route un peu impressionnante). Je me souviens d’avoir eu si peur et de m’être rendue compte à ce moment là à quelle point j’étais attachée à elle. Pour sa soeur c’est venu d’un coup et facilement, et j’ai beaucoup culpabilisé aussi, je ne voulais pas « préférer » un de mes enfants et j’avais pourtant l’impression que c’était le cas. Je pense que j’ai eu besoin de temps pour devenir maman mais ensuite une fois que je l’ai été c’était plus simple de devenir maman d’un deuxième bébé. Je crois aussi que ma première a un caractère parfois déroutant pour moi, là où ma 2e me ressemble. Ça m’a demandé du travail pour comprendre les besoins de l’aînée, pour lui apporter ce dont elle avait besoin. Même maintenant je dirai que c’est toujours un chouïa + difficile d’être une bonne maman pour elle qui a des besoins parfois si différents des miens, mais que d’un autre côté sa différence et ses qualités (qui ne sont pas non plus les miennes) me remplissent tellement d’admiration et d’émerveillement !!! Et je suis enfin rassurée sur le fait de les aimer si fort toutes les deux. Courage pour les mamans qui traversent ce genre de questionnements, c’est à la fois normal et on en sort, mais effectivement j’avais aussi gardé en tête l’idée de me faire aider par un psy si je n’avais pas réussi à surmonter ces difficultés.
J’aimeAimé par 1 personne
Je pense qu’avoir un Pirlouit si différent de moi (de nous) et si agité n’a pas aidé pour l’attachement. Mais aujourd’hui comme toi avec ton aînée je suis hyper fière de lui et épatée par ses capacités.
J’aimeJ’aime
Merci pour votre témoignage, qui est très touchant et fait profondément écho en moi. Mes 3 enfants sont pourtant mes enfants biologiques, ça ne veut donc rien dire. Pour mon aîné, si je l’ai immédiatement aimé d’un amour fou, il m’a fallu plusieurs mois avant de me dire que je n’étais pas une usurpatrice quand je me présentais comme étant sa maman. J’avais l’impression qu’être maman, c’était beaucoup plus que ce que je faisais, que je donnais le change mais qu’au final, je n’étais pas vraiment maman. Les choses se sont arrangées petit à petit, au fil des mois. Ça a pris du temps. Pour ma 2ème, on a vécu un échange très fort juste après sa naissance, et je me suis tout de suite sentie sa maman, comme si c’était une évidence qu’elle fasse partie de notre famille, comme si elle avait été toujours là, qu’on l’avait toujours attendue. Mais cette fois-ci, pas de tsunami d’amour. Impossible de lui dire « je t’aime » comme je le faisais avec son frère. Je n’y arrivais pas. C’était un crève-coeur pour moi, je l’ai très mal vécu. Et au bout de 2 mois et demi, la vague d’amour est arrivée, sans prévenir, un jour assise dans le canapé. Pour la 3ème, cette fois-ci, tout est venu tout de suite, le sentiment d’être maman, la vague d’amour, tout a été plus facile émotionnellement.
Je pense qu’aux yeux de la société, il FAUT ressentir le shoot d’amour, il FAUT se sentir maman tout de suite… Tout comme il faut avoir l’instinct maternel, se dévouer corps et âme à ses enfants, mais garder du temps pour soi, travailler mais être disponible pour les enfants, faire du sport, etc etc etc, autant d’injonctions faites aux femmes en général et aux mères en particulier… Il faut cocher toutes les cases… On ne parle que peu de la « vraie vie » (je remercie d’ailleurs toutes les autrices de ce blog qui le font si justement ici, ce blog devrait être reconnu d’utilité publique! Merci mesdames!) La réalité est beaucoup plus complexe que ces injonctions. Nous sommes toutes uniques et nous avons autant de manières de faire que nous avons d’enfants. Nous grandissons, changeons, progressons avec nos enfants. Nous avons le droit de ne pas cocher les cases que la société nous impose, d’être nous-mêmes. Le fait que vous vous posiez ces questions Mme Espoir montre que vous êtes déjà la meilleure maman pour Pirlouit. Je vous souhaite plein de beaux moments à ses côtés
J’aimeAimé par 1 personne
Merci beaucoup pour toutes les chroniqueuses ! 🥰
Effectivement, c’est difficile de faire face aux injonctions. Chacun.e va à son rythme, et un chemin n’est pas meilleur que l’autre.
J’aimeJ’aime
Finalement on est nombreuses à ne pas s’être senties mamans de suite.
Moi aussi, j’ai eu du mal au début avec mon aîné, je me souviens qu’à la maternité je l’ai regardé et je lui ai dit » t’inquiètes pas je vais faire de mon mieux, promis, mais là on se se connaît pas » Je m voulais de ressentir cela alors que je l explique régulièrement à mes patientes !
Quelques semaines plus tard , en faisant un footing avec une amie, je me suis lâchée et je lui ai dit: « je commence juste à aimer mon fils » elle m’a répondu : » l’amour maternel ça croit tous les jours et la bonne nouvelle c’est que ça ne décroît jamais » ça m’a fait du bien!
Pour mon 2e c’était plus simple
J’aimeAimé par 1 personne
En effet, c’est une phrase qui rassure !
J’aimeJ’aime
Alors je crois que c est très naturel ce que tu decris. Pour mes deux enfants, je me suis sentie leur mère plusieurs semaines après leur naissance. Pour mon aîné, assez vite, je dirais vers 4 semaines. Pour ma fille, née pdt le covid, beaucoup plus tard. Je me suis rendue compte que comme nous étions isolés, je ne voyais pas dans le regard des autres que j etais sa maman. Je me souviens une fois, ma fille avait 5 mois, et c etait l une des premières fois que nous allions au supermarché (avec masque pour les adultes). Une dame, inconnue, a regardé mon bébé de 5 mois et m a dit: oh, il est beau, votre bébé. J ai fondu en larmes. Personne n avait dit ça depuis sa naissance, à cause du covid. (Ma famille disait « oh, elle est belle », mais pas: » votre bébé « ).
Oui, c etait mon bébé et j ai eu besoin que « la société », ici une dame inconnue, le reconnaisse pour me sentir sa mère.
Par contre, je ne m inquiétais pas de ne pas sentir tout de suite ce sentiment. Pour travailler en maternité régulièrement, je sais que ce sentiment met fréquemment plusieurs semaines à se mettre en place. D ailleurs, je conseille aux sages femmes de prévenir les futurs parents de cela.
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, c’est bien que les parents sachent que cet amour pour son enfant n’arrive pas forcément de suite. Même en le sachant, on peut quand même s’inquiéter, mais ne pas le savoir ça doit être vraiment anxiogène.
J’aimeJ’aime