C’est que du bonheur

C’est que du bonheur

S’il y a bien une phrase qui m’agaçait avant que Pirlouit nous rejoigne, c’était ces mots que les parents adoptifs ayant déjà leur enfant avec eux ressassaient aux nouveaux parents annonçant la bonne nouvelle : « vous verrez, c’est que du bonheur ».

Déjà, je défie n’importe quel parent de dire qu’il n’a eu que de merveilleux moments avec son enfant. Je sais de quoi je parle. Je le dis très souvent, Schtroumpfette était du genre petite fille modèle, à ne jamais faire de colère, de caprice, à bien nous écouter. Et malgré ça, ça n’a jamais été « que du bonheur ». Il y a eu les inquiétudes sur son avenir, sur les dangers qu’elle allait courir. Il y a eu les passages aux urgences, de ceux qui font blanchir les cheveux. Il y a les questionnements sur son adolescence. Il y a la fatigue qu’induit inévitablement la présence d’un enfant. Alors oui, on a eu le modèle ultra facile, mais non, ce n’est pas du bonheur en permanence.

Depuis que Pirlouit est avec nous, cette phrase me sort encore plus par les yeux. Nous l’avons attendu longtemps. Cela fait 11 ans que nous avons eu le désir de construire notre famille, dont 5 ans de PMA et 4 ans de parcours d’adoption. Cet enfant nous l’avons désiré plus que tout. Mais non, ce n’est pas parce que ce désir était incroyablement fort qu’il fait oublier toutes les difficultés que nous rencontrons. J’ai l’impression que cette petite phrase devient une injonction : « vous l’avez voulu, alors maintenant assumez et n’ayez que des moments tout roses ».

Et ça c’est extrêmement culpabilisant en plus d’être énervant. Parce que nous avons essuyé de grosses tempêtes qui m’ont fait perdre les pédales et que j’ai dû regarder en face mes insuffisances. Parce que j’ai eu honte de ne pas arriver à faire les choses correctement. Parce que je me sentais ingrate de ne pas être heureuse tout le temps alors que j’avais droit à ce que de nombreux parents appellent de tous leurs vœux. Parce que ce bonheur, Pirlouit y avait droit et que cela m’a mis une pression de dingue.

Arc-en-ciel
Crédits photo : Francesco Ungaro

Le bonheur, j’ai eu du mal à le toucher du doigt les premiers temps. Non, nous n’étions pas malheureux. Mais je n’ai pas eu cette impression d’une joie folle. J’étais stressée, angoissée, épuisée. Oui il y avait de bons moments, mais pas ce bonheur permanent tant vanté. Et cette petite phrase m’a empêchée au début de dire que non, tout n’est pas parfait et que nous en bavions, que le bonheur tant attendu n’était pas permanent, mais seulement présent par touches très légères et ô combien furtives. Et chaque fois que je dis que quelque chose ne va pas avec Pirlouit, je me sens ingrate de ne pas éprouver une joie et un bonheur 24h/24 et 7j/7.

Aujourd’hui, plusieurs mois après l’arrivée de Pirlouit, nous commençons à peine à trouver un certain équilibre, à profiter de merveilleux moments avec lui. Malgré ça, nous savons que 2h fabuleuses à jouer ensemble peuvent basculer sans prévenir en une crise qui va nous mettre dans le dur pour le reste de la journée. Et ce n’est pas grave. Vivre une vie avec son enfant où il n’y aurait « que du bonheur » c’est une utopie. Aller chez le médecin plusieurs fois par mois parce que son enfant enchaîne otite/rhume/éruption cutanée bizarre, ce serait du bonheur ? Se lever 3 fois par nuit parce que son enfant dort mal (et nous aussi), ce serait du bonheur ? Essuyer une énième crise de la journée parce que le stylo rouge n’écrit plus/qu’on a tiré la chasse d’eau à sa place/que le tee-shirt choisi pour la journée n’est pas le bon, ce serait du bonheur ?

Quand j’entends ces quelques mots dans les conversations, je ne peux m’empêcher désormais d’y mettre mon grain de sel. Je passe pour la rabat-joie, celle qui ne mesure pas sa chance. J’ai systématiquement droit à « c’est une façon de parler ». Certes mais pourquoi le dire dans ce cas ? Pourquoi continuer à véhiculer ce genre de clichés ? Pour se donner des airs supérieurs vis-à-vis de ceux qui n’ont pas atteint ce Graal ?

Je pense à la nouvelle maman démunie devant son enfant qui hurle à plein poumons et qui ne comprend pas ce qui lui arrive, pourquoi elle n’a pas ce bonheur qu’on lui a promis. Pourquoi elle n’est finalement pas si heureuse que ça, pourquoi elle a l’impression d’avoir plus de galères que de moments de joie. À bas le mythe d’un enfant qui n’apporterait que de la joie sans aucune galère alors que celles-ci font partie de la vie de famille. Oui c’est une expression. Mais on peut tout aussi bien dire que l’arrivée d’un enfant va faire vivre un bonheur incommensurable qui donne l’impression que le cœur va exploser, mais également des moments désespérés et difficiles. C’est justement parce que ceux-ci existent qu’on savoure encore bien davantage les véritables instants de bonheur.

16 commentaires sur “C’est que du bonheur

  1. À qui le dis-tu… j’ai plutôt tendance à dire aux futurs parents de s’attendre aux émotions extrêmes, coucou la maman qui pleure de fierté devant son petit qui fait sa première phrase mais aussi salut à toi maman qui sort sur la terrasse pour hurler un bon coup avant de revenir vers son enfant avec plus de recul 😉 on y tient tellement à ces p’tites bêtes qu’on prend tout en pleine face, avec l’option fatigue en plus quand c’est un enfant en bas âge.
    J’ai tendance à considérer que c’est plutôt sain, on n’est pas des machines, enfants et parents sont des individus et la socialisation commence à la maison. Or, qui dit socialisation, dit vivre avec l’autre, et pas toujours quand chacun est d’humeur sociale 🙂 🙂 🙂
    Allez, haut les coeurs chers parents et vos bouts de chou, ça montre juste la force des sentiments dans une famille ❤

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  2. Juste un mot: Merci.

    J’ai eu ma fille par FIV mais pour réaliser que la maternité pouvait être très douloureuse.

    Et cette culpabilité au fond de soi par rapport à ça… car tu sais que tu as eu cette chance la par rapport à tant d’autres. Mais que tu es en souffrance.

    Merci de pointer du doigt le fait que même si on s’est battu pour avoir quelque chose. Ce quelque chose apporte beaucoup, mais ce n’est pas que du bonheur 🤍

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  3. Je hais (et j’insiste sur le terme, je ne la déteste pas, c’est pire) cette phrase, et je pense que les gens doivent le sentir parce que personne ne l’a utilisée devant moi depuis plusieurs années ! Elle est fausse pour à peu près tout d’ailleurs, donc ça n’a jamais aucun sens de l’utiliser…
    Du coup je préfère dire qu’il y a beaucoup de joie dans la parentalité, et aussi beaucoup de crises de nerfs, d’envie de sauter par la fenêtre ou d’appuyer sur le bouton pause de ces jeunes qui savent tellement bien nous pousser dans des retranchements émotionnels qu’on ne savait même pas qu’on avait 😅

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  4. J’ai beaucoup réfléchi à cette phrase. Moi aussi, j ai dû lutter pour avoir un bébé (plusieurs années de PMA).
    Il y a plusieurs choses à soulever : premièrement, les parents qui disent: « ce n est que du bonheur » ne mentent pas, il me semble. Je pense que, au moment où ils le disent, ils le pensent. La mémoire reconstruit aussi pour créer un récit, et fait le trie dans les souvenirs. Par exemple, je suis tombée sur certains de mes écrits alors que ma fille était bébé. J y décris l enfer👿. Pourtant, si aujourd’hui on me demande comment ca s est passé, je dirais plutôt que  » ça a été un bébé facile », « un ange ». Il me faut faire un effort pour me souvenir des mauvaises choses.
    Deuxièmement, avant d avoir l enfant, il y a des choses non entendables il me semble.
    Une de mes amies a mis très longtemps à avoir son bébé (10 ans). Elle me dit: » mais pourquoi tu ne m a pas dit que c etait compliqué en fait ». Je me souviens parfaitement que je lui ai dit. Mais que quand je lui disais mes difficultés, elle coupait la conversation…
    Enfin, dernier point, je pense qu on « voit » et qu on « ressent » beaucoup plus actuellement les difficultés à être mère qu avant. Parce qu on en parle beaucoup (et heureusement), et surtout parce que cela est présenté comme une injustice, ou anormal, parce que cela pointe les inégalités entre les hommes et les femmes, ou que cela semble une contrainte, alors que cela a pu être présenté comme une: « une noble mission valorisee ». Aujourd hui, le fait de présenter cela comme une noble mission est considéré comme une idée patriarcale. La question est donc: quel nouveau récit collectif faire de cette maternité ou parentalité pour lui donner une coloration positive qui soutienne les parents et les valorisent (et leur remontent le moral quand c est difficile) sans occulter pourtant ces mêmes difficultés.

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    1. J’aime beaucoup ton point de vue. En général, avec mes copines futures mamans, je me permets de leur parler de moments pas faciles auxquels on ne s’attend pas (la fatigue : on ne la comprend vraiment que quand on la vit; les maladies, les pleurs inexpliqués, la peur pour son bébé…) qu’avec mes grands (7 et 4), j’ai parfois envie de mettre sur pause une journée, pour ne penser qu’à moi ! Mais que j’aime tellement mes enfants et notre famille, j’aime les observer grandir, voir leur personnalité se forger, leur « fabriquer des souvenirs » (comme mon papa disait avec nous). Je pense qu’il y a de vraies montagnes russes, avec des émotions rendues extrêmes selon notre état de fatigue (ça joue tellement !) mais aussi l’environnement.
      J’ai toujours voulu des enfants. Je suis heureuse d’être mère, d’être leur mère à eux, de les avoir eux comme enfants. Et avec tout ça, je rêve aussi d’avoir des petites journées off rien que pour moi, pour recharger mes batteries, me faire du bien, pour être plus disponible avec eux.

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    2. Je trouve ta réflexion très juste quand tu dis que les futurs parents n’entendent pas forcément les difficultés dont leur font part les déjà parents. Tant qu’on n’y est pas confronté, on ne sait pas vraiment…

      Par contre, je ne me vois pas, même dans 20 ans, oublier les difficultés du début. C’est clairement une étape qui nous a marqués avec M. Chéridamour. Peut-être parce que c’est encore frais ?

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      1. Je me permets de témoigner car j’ai eu un exemple récent qui m’a montré que, si, on oublie 😉 en fait, j’ai deux exemples. Après sa naissance, ma fille a fait des pleurs de décharge le soir pendant 2 mois. Autrement dit, chaque soir, rien à faire, bb pleurait d’une demi-heure à 2h chaque soir au tombé du jour, avant d’aller se coucher. On devait la bercer jusqu’à ce que ce soit fini. J’en parle, donc je m’en souviens bien, c’était la misère mais au quotidien c’est seulement la chanson que je lui ai inventé à cette occasion qui est restée. Et aussi deux fou rire avec mon mari lors d’un de ces couchés compliqués.
        Autre exemple avec le bib de 2h du mat. Je l’ai maudit celui-là, ce n’est vraiment pas une bonne heure pour se réveiller et ma fille l’a gardé 4 mois. Figure-toi que je l’avais complètement zappé jusqu’à ce que mon mari me le rappelle il y a quelques mois à l’occasion d’une discussion sur la naissance de ma nièce.
        En fait, quand j’y réfléchis sans creuser, je me souviens surtout des moments qui m’ont fait fondre ou très peur (les nuits seule à gérer un bb qui a 40 ou la fois où elle s’est étouffée) et du sentiment général (si on est honnête, ma fille est un enfant facile). Du coup, les détails s’effacent sauf si on creuse. Donc, oui, peut-être que ce ne sont pas ces moments-là que tu retiendras au premier abords.

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  5. Dans le même style de phrase, il y a « tu es faite pour être maman / tu vas être une super maman vu comme tu as été une super grande soeur ».
    Bilan, 1 an de suivi par une psychologue suite à une dépression post-natale. Ce genre de phrase ne dit pas le bouleversement que représente la maternité, en haut et en bas, et laisse penser que si on n’assure pas, c’est de notre faute.

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  6. Je suis entièrement d’accord avec toi. Les enfants c’est loin d’être que du bonheur ! Je pense même que par phase, ça peut être plus l’inverse ! Heureusement ça évolue.

    Je pense en effet qu’on oublie vite pas mal de choses. Je l’avais constaté lors de ma grossesse. Ma mère m’avais dressé un portrait de la sienne et de mes premiers mois un poil différent de ceux que j’ai découvert dans son journal. (Pas super différent mais elle avait oublié quelques petits désagréments.)
    A mon tour j’ai voulu écrire un journal passé l’accouchement (à visée thérapeutique entre autre, pour pouvoir justement me souvenir à quel point ça peut être dur.)
    Néanmoins, lorsque des amis viennent nous voir et demandent à feuilleter les livres photos que j’ai fait de mes enfants, ils ne voient dedans que les bons moments, les bons souvenirs… Et j’ai beau essayer de dire que ce fut très dur, on me répond généralement: « oui mais regarde son beau sourire/comme il te regarde/vous avez l’air épanouis… » Ils ne veulent pas entendre ou cherchent à minimiser les problèmes. C’est humain !

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