Ces phrases qui me broutent

Ces phrases qui me broutent

Au moment où j’écris cet article, mon cœur est plein de colère. Je suis en colère car le monde de l’autisme se retrouve une nouvelle fois au centre d’une mascarade burlesque outre-Atlantique. Je suis en colère car encore une fois, on cherche à stigmatiser des individus pour qui le quotidien n’est déjà pas simple. Je suis en colère parce que même si ça n’a pas lieu dans notre pays, ça me touche et je ressens la même angoisse que n’importe quel parent d’enfant autiste.

Cette colère vient faire écho chez moi à un ressenti qu’avec le temps j’ai fort heureusement appris à canaliser. Il y a quelques années, j’avais rédigé un article sur certaines choses qui m’avaient été dites concernant la prématurité de petit koala et que j’avais trouvé malvenues. Dans la même veine, aujourd’hui, je souhaite partager certaines phrases qu’on m’a dites ou qu’on me ressort régulièrement et qui ont le don de m’agacer. Le but n’étant pas de râler pour râler, mais bien sûr de t’emmener à regarder d’un autre angle et une fois de plus de prendre conscience de l’importance des mots.


Image par Alexa de Pixabay

“T’es sure qu’elle est autiste ? Elle est tellement sociable et parle à tout le monde.“

Alors, oui, scoop, tous les autistes ne sont pas mutiques, froids ou asociaux. Si aujourd’hui on parle de spectre autistique, c’est justement parce que chaque personne présente des particularités différentes. Certains enfants sont très très TRÈS bavards, très sociables — souvent maladroitement — mais cela ne les rend pas “moins” autistes. Cette phrase revient à nier le diagnostic et à balayer tout ce que la famille vit au quotidien.

“Oh tu sais, tous les enfants sont un peu autistes aujourd’hui.“ ou sa variante “on est tous un peu autiste.“

Alors, vraiment, il faut arrêter avec cette phrase. Ça part souvent d’un bon sentiment plein de compassion mais c’est la phrase qui m’agace le plus! Non, on n’est pas tous un peu autiste, oui, par contre nous avons tous des particularités. L’autisme ce n’est pas juste aimer le silence, avoir besoin de routines ou préférer un sujet aléatoire que les autres trouvent bizarre. C’est un trouble neurodéveloppemental avec des implications complexes. Dire cela, c’est diluer la réalité de l’autisme, invisibiliser les besoins réels des enfants, et couper la conversation à la racine.

“Tu es trop anxieuse et il ressent tout. C’est juste pour ça que ton enfant réagit comme ça.“

Cette bonne vieille culpabilisation maternelle (parce que soyons honnêtes, 99% du temps cette phrase est adressée à la mère). Ici, on lui fait porter le poids du trouble de son enfant. Oui, nos enfants sont sensibles à nos émotions, comme tous les enfants. Mais non, l’autisme ne naît pas d’un excès d’angoisse maternelle. Ce discours est rétrograde, infondé, et franchement injuste.

“Le problème c’est forcément toi puisque ailleurs tout se passe très bien. Arrête de le surprotéger.“

Un peu comme la phrase au-dessus, on rejette encore une fois la faute sur les parents. Or il existe ce qu’on appelle le masking et les porteurs de TSA sans déficience intellectuelle le pratiquent beaucoup. Ils s’adaptent comme ils peuvent à l’extérieur et explosent en rentrant à la maison. Et cette fameuse “surprotection”, elle est souvent en réalité une adaptation, une réponse à des besoins. Ce qui est vu comme de la faiblesse est souvent un travail immense d’anticipation, de régulation et surtout d’amour.

“T’as de la chance au moins il est normal et intelligent.“

La norme. Mais qu’est ce que « la norme » en fait ? Et si on n’est pas « dans la norme », est ce que notre existence a moins de valeur ou de sens ? Derrière le mot “normal” se cache le regard validiste : ce qui est bien, c’est ce qui ressemble à la norme. Ce qui en dévie est “moins”. Et l’intelligence perçue comme une consolation efface le reste : les défis, les crises, la souffrance parfois. Ce genre de phrase souvent énoncée avec plein de bienveillance renforce malheureusement l’idée que la valeur d’un enfant passe par sa performance ou sa conformité.

Photo personnelle

“Laisse lui le temps de grandir et d’apprendre à vivre dans le monde réel, ça va l’endurcir et il fera avec.“

Le “monde réel” ? Le nôtre, celui qui laisse peu de place à la différence, à la sensibilité, à la lenteur ? Ce monde qui veut toujours aller plus vite sans qu’on ne sache pourquoi? Et l’endurcir ? Non merci. Ce que nos enfants ont besoin d’apprendre, c’est à vivre avec eux-mêmes, à se sentir respectés et reconnus et bien dans leur peau malgré leur fonctionnement différent. L’adaptation ne doit pas être à sens unique.

“À force d’en parler tu lui colles une étiquette. C’est pas bon de le mettre dans une case.“

Le diagnostic n’est pas une cage, c’est une carte. Il ne définit pas l’enfant, il aide à le comprendre. Il n’y a pas plus de mal à préciser « mon enfant est autiste », que de dire « mon enfant n’entend pas bien d’une oreille ». Autiste n’est pas un gros mot, pourquoi fait-il donc si peur, et pourquoi faudrait-il le cacher à tout prix ? Le silence ne fait pas disparaître la réalité. En parler, c’est sortir de la honte, de l’isolement, c’est donner du sens. L’étiquette qu’on devrait craindre, c’est celle que la société colle aux enfants différents sans jamais leur demander leur avis, essayer de les comprendre, de voir les choses de leur point de vue.

“Tu as essayé d’être plus ferme, des punitions ? Parce que bon, l’éducation bienveillante on voit où ça mène maintenant.“

Encore une fois, ce type de remarque part du postulat que le comportement de l’enfant est volontaire, qu’il cherche à “tester” ou “dominer”. Alors que bien souvent, il souffre, il subit des surcharges sensorielles, il exprime ce qu’il ne peut pas dire autrement. Ce n’est pas de la permissivité, c’est de l’accompagnement. Et d’ailleurs, on ne punit pas, on récompense, parce que la récompense fonctionne toujours mieux que la punition, peu importe l’âge et peu importe l’espèce d’ailleurs.

“C’est juste une phase, ça va passer.“

Ahah! Franchement, on aimerait que ce ne soit qu’une phase en effet. Sauf que non malheureusement, ça ne passe pas. Cet enfant qui ne sait pas s’endormir seul ne le fera pas par magie tout seul au bout d’un moment. Et celui-ci qui se balance sur sa chaise n’arrêtera pas comme ça aussi simplement. Dire que “ça va passer” revient à ignorer le présent, à nier les efforts, à esquiver l’inconfort. Ce n’est pas une phase, c’est une autre façon de fonctionner. Ce qui peut “passer”, avec du soutien, ce sont peut-être certaines difficultés, certains blocages. Mais l’autisme n’est pas une mauvaise passe. C’est une part de qui est notre enfant.

“Tu es trop permissive, tu acceptes tous ses caprices aussi. Chez moi crois moi, si tu ne veux pas manger ce que j’ai fait, tant pis pour toi.“

Le mythe du caprice + la comparaison mal placée. On a un joli combo là. Ce qui peut sembler un refus ou une exigence incompréhensible est souvent une réponse à un inconfort sensoriel, une rigidité liée au TSA. Ce n’est pas qu’il veut pas manger, c’est qu’il ne peut pas. Et punir ça, c’est ajouter de la douleur à l’incompréhension. Comme je dis à mes enfants : chaque maison/foyer a ses propres règles, et ce qui marche chez toi avec tes enfants, ne fonctionnera surement pas chez moi. Tout comme chez nous il y a des pictogrammes partout, ou qu’on félicite un enfant qui a juste mis un nouvel aliment dans sa bouche, chez d’autre ça serait impensable. Et c’est OK en fait, on fait chacun ce qui convient le mieux à nos enfants pour qu’ils remplissent leur réservoir d’amour.

Ces phrases, je ne les invente pas. Je les ai entendues. Trop souvent. Et je sais que je ne suis pas la seule. Ce ne sont pas de simples maladresses ou des mots “qui dépassent la pensée”. Ce sont des phrases qui blessent, qui épuisent, qui isolent. Parce qu’elles nous rappellent à quel point la différence dérange encore, à quel point l’incompréhension est tenace.

Mais je ne partage pas tout cela pour pointer du doigt ou accuser. J’écris pour ouvrir des brèches. Pour dire : “Écoute avant de juger. Essaie de comprendre avant de conseiller.”

Nos enfants n’ont pas besoin qu’on les corrige, qu’on les formate ou qu’on les compare. Ils ont besoin qu’on les accueille tels qu’ils sont.

Et nous, leurs parents, avons besoin qu’on nous soutienne, pas qu’on nous suspecte ou qu’on nous corrige à chaque phrase.

Alors si tu ne sais pas quoi dire, dis juste : “Je suis là. Tu veux m’en parler ?”

Ce sera déjà immense.

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