Mère indigne
Je l’avais brièvement évoqué dans ce témoignage avant de rejoindre l’équipe des chroniqueuses, j’ai mis beaucoup de temps à trouver ma place dans ma maternité. Les débuts de ma relation avec Chaton ont été parsemés de doutes et de culpabilité. En grande partie parce que je manque de confiance en moi, mais peut-être un peu à cause d’injonctions sociétales aussi. En un mot comme en cent, j’ai souvent eu l’impression d’être une mère indigne.
Ça a commencé dès sa naissance, je n’ai pas ressenti cette vague d’amour dont j’avais entendu parler. Il faut dire aussi que je sortais d’une césarienne sous anesthésie générale, et que clairement, je n’étais pas en état de m’émerveiller devant le fruit de mes entrailles. Une fois proprement réveillée j’ai trouvé mon fils beau, mais j’avais l’impression qu’on m’avait livré une super machine sans me donner le mode d’emploi. Certains gestes venaient assez naturellement, j’avais de la tendresse, mais je n’arrivais pas à qualifier cet attachement comme de l’amour. Après tout, je ne le connaissais pas encore vraiment. Comment avaient fait les autres pour tomber instantanément « amoureuses » de leur bébé ? Je me suis demandé si quelque chose clochait chez moi, puis je suis sortie de la chute des hormones et j’ai lu des témoignages de mères, plus rares, plus confidentiels, plus proches de ce que j’avais vécu. J’ai compris qu’un amour qui se construit et grandit en même temps que son enfant peut être tout aussi beau et puissant qu’un coup de foudre. Et qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’aborder la maternité.

Je ne me suis pas épanouie dans la période nouveau-né. J’avais honte de ne pas m’éclater à m’occuper d’un nourrisson, je ne me sentais pas légitime dans ce rôle. Mon mari avait beau me rassurer en me disant qu’on était nombreux dans ce cas, lui le premier, je me sentais coupable. Je devais forcément être gaga devant mon bébé, non ? Certes, la moindre risette me faisait fondre et j’ai adoré le porter en écharpe, mais chanter en boucle L’araignée Gypsy, je ne trouvais pas ça très palpitant. Les nourrissons, c’est mignon, mais ça ne m’a jamais passionnée.
À partir du premier anniversaire de Chaton, j’ai commencé à me sentir plus à l’aise. Et depuis, ça n’a fait que s’améliorer. C’est maintenant que je trouve la parentalité fun. Épuisante et frustrante aussi, mais tellement plus enrichissante. J’aime interagir, discuter, jouer à des jeux de société de « grand », inventer des bagarres de prouts toxiques et de pluies de paillettes, rajouter des règles au shifumi (qui gagne entre le méga volcan et la chape de plomb ?). Mon fils me fait rire, m’apprend des choses, me bouscule dans mes principes trop rigides, me pousse à être une meilleure personne.
Quand je dis beaucoup de temps, je parle donc en années. C’est long, et je n’en suis pas particulièrement fière. Mais je ne peux rien y changer. J’ai eu besoin de ce temps pour prendre mes marques, pour apprendre à connaître mon enfant. Je n’ai pas eu de coup de foudre à sa naissance, mais je l’ai petit à petit aimé pour sa personnalité, son humour, sa choupitude, sa curiosité, son rire. Je pense maintenant me sentir vraiment à ma place, même si j’ai forcément encore des doutes et de la culpabilité à certains moments. Mais je les considère comme des questionnements sains, qui aident à avoir une éducation bienveillante.
Alors non, malgré ce que mon anxiété essaye de me faire croire, je ne suis pas une mère indigne. Je suis une mère qui apprend, essaye, fait des erreurs, manque de patience parfois mais se remet en cause pour s’améliorer. Une mère qui se pose trop de questions, s’informe, s’angoisse. Une mère qui aime bien avoir sa tranquillité de temps à autre, mais est toujours disponible pour un câlin. Une mère humaine, avec ses qualités et ses défauts. Parce que comme le dit si bien cette expression inspirée de Simone de Beauvoir :
« On ne naît pas mère, on le devient. »
