Le dilemme du prénom

Le dilemme du prénom

Cet article est paru sur l’ancien site Dans Ma Tribu le 11 octobre 2018. Comme d’autres chroniqueuses, j’ai décidé de ne pas laisser perdre ces écrits et de les publier à nouveau sur Bribes de Vies.

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Que celles qui étant petites choisissaient le prénom de leurs futurs enfants lèvent la main ! Oui, même moi qui a priori n’en voulais pas, j’ai joué à ce « jeu » avec les copines. A l’époque, j’adorais le prénom Jennifer (j’ai grandi dans les années 90 #mercilinfluencedessériesaméricaines).

Quand on s’est décidés à devenir parents, le prénom est l’une des premières choses dont on a discuté avec M. Chéridamour. Un peu pour plaisanter et dédramatiser, un peu parce que c’est une des choses qui rendait très concrète notre envie (beaucoup parce qu’on n’a pas les mêmes goûts en la matière alors mieux vaut s’y prendre tôt pour trouver !!). Notre réflexion n’était pas très poussée et on en restait au stade « j’aime/j’aime pas ».

Comme beaucoup de projets arrêtés par la PMA nous avons très vite cessé d’y penser et d’en parler. Choisir un prénom pour un enfant qui ne viendrait peut-être jamais était trop difficile. C’était devenu un tabou. Le sujet est revenu sur le tapis avec notre décision d’adopter.

La première approche

La première fois que nous avons réellement abordé le sujet c’était lors de la réunion de l’EFA à laquelle nous avons assisté. On a appris que lors d’une adoption on pouvait tout à fait changer le prénom de l’enfant. Les parents ayant adopté et présents ce soir-là avaient tous fait le choix de prénommer leur enfant selon leur goût et de laisser en second ou troisième prénom celui d’origine. J’aime cette solution, banco on fera pareil !

Je ne m’étais pas interrogée plus avant car cela me convenait parfaitement. Et dans ma petite tête j’avais imaginé que M. Chéridamour pensait pareil. C’est lors du dernier rendez-vous avec l’assistante sociale que je me suis rendue compte que ce n’était pas du tout le cas. Lui ne se voyait pas modifier le prénom d’un enfant ayant déjà 5 ans. Cela a donné lieu à un échange très intéressant avec lui et l’assistante sociale. Nous en avons également parlé avec la psychologue qui nous a dit que c’était un sujet tout sauf anodin en adoption.

Je me suis réellement penchée sur le sujet car cela m’a beaucoup interrogée. Dans le cas d’un enfant déjà grand (âgé de plus de 8 ans), même moi j’aurais du mal à envisager de lui donner un nouveau prénom. Mais à 3 ou 4 ans ? Autant renoncer à un enfant biologique ne m’a pas semblé insurmontable, autant ne pas pouvoir prénommer mon enfant me semblait vraiment compliqué à envisager et me serait le cœur. Suis-je égoïste de vouloir donner le prénom de mon choix à mon enfant ? Quels sont les divers points de vue ?

Crédits photo (Creative Commons) : Geralt

Les arguments pour garder le prénom de l’enfant

M. Chéridamour et l’assistante sociale étaient dans l’optique de dire que c’est déjà très difficile pour un enfant du bout du monde de s’adapter à sa nouvelle vie. Son prénom faisait partie de son identité, il y a répondu durant 5 ans. Et du jour au lendemain, parce que nous l’avions décidé, il devrait rompre avec tout ça et s’habituer à être appelé autrement. C’est un choc, une rupture qu’ils considèrent comme trop déstabilisante pour l’enfant et ils pensent que garder ce dernier lien avec « sa vie d’avant » est important pour l’enfant. C’est peut-être l’une des seules choses qu’il gardera de sa vie antérieure.

Françoise Dolto est complètement dans cette optique et pense que dans la mesure du possible il faut que l’enfant conserve son prénom d’origine (et que si changement il doit y avoir il doit se faire en douceur).

Renoncer à changer le prénom de l’enfant c’est aussi l’accepter tel qu’il est et ne pas essayer de lui « coller » nos désirs et nos attentes. C’est lui montrer qu’on l’aime pour lui, et pas pour ce qu’on voudrait qu’il soit.

L’époque de l’adolescence est compliquée pour un enfant adopté qui est en recherche de lui-même. Et en gardant son prénom, on permet peut-être à l’enfant de se raccrocher à son prénom et donc son identité pour se construire. Ne pas effacer le passé pour mieux aller vers l’avenir en somme et se sentir moins perdu, moins déchiré entre deux cultures.

Il est clair également que certains enfants adoptés refusent complètement leur nouveau prénom et réclament d’être appelés par celui qu’ils connaissent depuis toujours.

Les arguments pour changer le prénom de l’enfant

Pour ma part, j’avais du mal à m’imaginer appeler notre enfant Bang ou Zhao ou Yerson… Mais outre cette question de goût personnel totalement subjectif, il me parait fondamental de donner un nouveau prénom. Certes, cela marquera une rupture avec sa vie d’avant. Mais de toute façon rupture il y aura forcément. L’adoption c’est créer un nouveau lien, accueillir cet enfant dans nos vies, dans nos cœurs et dans notre famille. Ce nouveau prénom marquerait tout ça. On veut créer une filiation avec cet enfant, un nouveau prénom s’inscrit dans cette optique.

De plus je trouve bien dur pour l’enfant de lui laisser son prénom et donc de le renvoyer systématiquement à ce prénom de sa vie d’avant et d’avoir peut-être toujours à en parler (notamment quand on lui demandera innocemment « c’est de quelle origine Dao ? ») Un nouveau prénom pour une nouvelle vie, c’est un symbole très fort.

Un enfant qui a été battu et maltraité aura peut-être de mauvais souvenirs attachés à ce prénom. Arriverais-je à appeler cet enfant par un prénom qui l’a peut-être fait souffrir ? Si sa mère biologique le maltraitait par exemple, en lui serinant ce prénom ? Si son prénom lui a été donné par un simple officier de l’état, ne vaut-il pas mieux qu’on le change car nous serons désormais ses parents aimants ? Un nouveau prénom c’est aussi lui créer de nouveaux souvenirs, une vie que nous souhaitons plus épanouissante et protégée.

Johanne Lemieux, spécialiste de l’adoption, a dans son ouvrage consacré à l’adoption évoqué ce sujet (tu peux retrouver ce qu’elle écrit ici : https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=1617604584983382&id=100002015674095. Cela correspond vraiment avec ce que je ressens.

Il faut aussi noter qu’apparemment, certains enfants adoptés demandent à changer de prénom car ils font un rejet de celui qu’ils portent depuis toujours.

Notre décision finale

Tu vas être déçue : nous ne l’avons pas encore prise ! Il y a tellement de paramètres qui entrent en jeu qu’il nous est impossible de nous décider aujourd’hui. Si le prénom est vraiment imprononçable ou s’il est stigmatisant, il est évident que nous le changerons. S’il nous plaît, sans doute le garderons-nous (Mei, Andrea, Tao par exemple sont des prénoms qui ont une jolie touche d’originalité et passent très bien en français à notre avis). J’ai aussi imaginé de « franciser » le prénom si cela est possible. Par exemple, si l’enfant s’appelle Nguyen, pourquoi ne pas le transformer en Guilhem ?

Dans tous les cas, certains points sont fondamentaux selon moi :

  • il ne faudra jamais dire à l’enfant qu’on a changé son prénom parce qu’on ne l’aimait pas (un enfant adoptif a tellement peur de ne pas être aimé que cela peut le renvoyer à cette crainte). Certains prénoms ont une signification magnifique dans la langue d’origine, il faudra la rappeler à l’enfant et lui dire qu’on a voulu lui en donner un second qui a également une signification magnifique dans notre langue ou pour nous.
  • si nous décidons de changer complètement son prénom, les premiers temps il faudra l’appeler par les deux, le temps de laisser l’ancien prénom s’effacer. Faire les choses en douceur pour que la rupture tant crainte ne soit justement pas trop brutale.
  • selon les spécialistes, il faut quelle que soit la décision prise l’assumer complètement. Et surtout ne pas laisser l’enfant choisir car cela lui fera porter une trop lourde responsabilité. Choisir l’un ou l’autre lui fera se sentir déchiré en deux : rester fidèle à sa culture quitte à ne pas se sentir vraiment intégré dans sa nouvelle vie ou embrasser sa nouvelle famille et avoir le sentiment de trahir ses origines ? Vous imaginez la culpabilité pour ce petit bout ? Non, c’est vraiment à nous d’assumer notre décision et de nous y tenir.
  • il me semble indispensable de donner 2 prénoms, celui d’origine et celui que nous choisirons (peu importe l’ordre). Je ne me vois pas détruire ce lien avec sa vie passée qui reste une partie de lui, une partie très importante qui plus est. La loi française autorise l’utilisation indifférenciée des prénoms de l’état civil. Nous ne laisserons pas le choix à l’enfant à son arrivée mais à l’âge adulte il pourra changer s’il en ressent le besoin sans avoir aucune justification à donner.
  • il faudra également prendre en compte l’enfant et son histoire. Beaucoup de parents avouent avoir choisi un prénom et avoir finalement changé d’avis et décidé de garder le prénom d’origine en découvrant l’enfant qui leur était apparenté (et inversement). Jusqu’au bout, nous devrons être ouvert à toute possibilité.

Pour terminer, je dois avouer que j’ai compris pourquoi je suis si sensible au sujet. Au fond je considère que donner un nom à cet enfant qui va entrer dans nos vies c’est un peu lui donner la vie pour la seconde fois. Prénommer son enfant est le premier acte concret qu’on ferait pour lui, c’est aussi pour moi l’acte symbolique par lequel nous deviendrons parents.

En attendant, nous nous sommes mis de nouveau à rêver et à chercher des prénoms qui nous plaisent et que nous souhaiterions pour notre futur enfant… et ça crois-moi, ce n’est pas gagné !


Nous avons bien évidemment fait notre choix avec M. Chéridamour. Tu découvriras lequel et dans quelles circonstances dans un article à venir !

6 commentaires sur “Le dilemme du prénom

    1. Réponse bientôt 😉 Je peux juste dire que nous avons évidemment choisi un prénom car nous voulions de toute façon qu’il ait dans son état civil un prénom choisi par nous. Et ce prénom a un lien avec son prénom de naissance, même si à la base nous ne l’avons pas remarqué.

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  1. Mais c’est autorisé ce type de cliffhanger? 😀

    C’est vraiment très intéressant les arguments pour et contre. Je ne suis pas sûre qu’un prénom qui sonne bien français empêche la question (souvent intrusive, on est d’accord) sur les origines si l’enfant a des traits considérés comme non occidentaux. Je serai plus du côté de garder le prénom mais je comprends tout à fait l’argument du prénom difficile à prononcer/porter en France et l’envie de transmettre un prénom à son enfant.

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