Construire son histoire
En adoptant un enfant, je savais bien entendu que l’adoption serait très souvent présente dans les conversations avec lui. Mais je ne pensais pas que ce serait aussi souvent. Et surtout que ça se ressentirait autant, au delà des mots.
Au début, Pirlouit ne parlait pas du tout de son pays, de sa vie d’avant. Il fuyait le sujet, à tel point que je me suis inquiétée. Finalement, ça s’est débloqué chez lui après quelques mois. Et le sujet est devenu récurrent, et nous en parlons absolument tous les jours.
Quand on lui parle de quelque chose, même déconnecté de son histoire personnelle, il nous dit « avant là-bas ». On sent qu’il a besoin de donner du sens à ce qui lui est arrivé. Et malheureusement tout un pan de son histoire nous manque. Nous n’avons aucune information sur sa vie à l’orphelinat et le plus triste c’est qu’apparemment Pirlouit a oublié presque tout ce qui y est lié.
Nous avons quelques rares photos de lui à l’orphelinat mais ça ne lui parle pas : il ne reconnaît pas les visages des « copains », ne se rappelle plus des noms ni de ce qu’il faisait là bas. Est-ce que ses souvenirs sont confus et qu’il ne sait pas comment les interpréter ? Est-ce que le temps a déjà fait son œuvre ? Est-ce qu’il ne sait pas encore suffisamment bien s’exprimer pour nous raconter ? Peut-être est-ce pour se protéger car c’est trop dur pour lui de s’en souvenir ? Il y a quelques bribes qui lui reviennent, mais nous ne savons pas si c’est réel ou dû à son imagination. Certaines choses ne se sont pas passées, nous en sommes sûrs (il nous parle du fait qu’il allait à l’école et à la cantine en dehors de l’orphelinat, et nous savons que ce n’est pas possible), d’autres nous semblent vraisemblables et arrivent souvent spontanément dans la conversation, parfois sans aucun lien avec ce qu’on est en train de dire ! Mais ces souvenirs, quels qu’ils soient, sont si peu nombreux, si ténus…
On ne sait pas ce qu’il comprend, s’il ne fait pas des amalgames. Parfois, ce que nous lui disons semble confus pour lui. On doit revenir dessus pour être sûrs qu’il a bien intégré ce qu’on lui a expliqué. Comment lui faire comprendre que c’est le hasard qui nous a mis en présence ? Que tous les enfants ne viennent pas d’un autre pays ? Que son papy est le papa de son papa ? Que non, il n’était pas dans mon ventre ? Que nous sommes désolés de ne pas avoir de réponse sur son début de vie ? C’est tellement dur à comprendre pour un petit bout de 5 ans !
Il faut lui raconter encore et toujours l’histoire. Notre rencontre. Il la connaît, il sait qu’il a pleuré et fait pipi sur papa (et il le dit d’ailleurs à presque toutes les personnes à qui on parle ! Son atsem en rit encore). Mais on ajoute des détails petit à petit pour rendre cet événement encore plus vivant (les jolies balançoires, les quelques rares mais grands arbres, son air perdu et sa mignonne chemisette), répondre à ses questions (« pourquoi je pleurais ? »), lui décrire nos propres sentiments et la joie que nous avons de l’avoir à présent dans nos vies.
Parfois, c’est étrange car il ne semble pas faire le lien entre d’autres histoires et la sienne. Par exemple, un jour où je lui lisais l’histoire d’un enfant qui n’avait pas de parents et était triste, il était triste pour cet enfant. Mais à aucun moment il n’a apparemment saisi que son père et sa mère biologiques l’ont abandonné lui aussi. Il se voit comme un enfant qui a toujours eu un papa et une maman. Et pour le moment nous n’avons jamais eu de question à ce sujet.

Certaines choses l’affectent et le renvoient à son histoire (un personnage ou un animal seul qui cherche quelque chose ou quelqu’un par exemple). Quand les images sont sombres, quand on sent de la tristesse, c’est là que les questions qui le touchent de près arrivent.
Il a encore du mal à comprendre que tous les enfants n’ont pas le même parcours que lui. Il était étonné qu’on lui dise que non, les copains et copines de sa classe ne sont pas venus d’un autre pays, n’ont pas pris l’avion pour venir ici. Qu’ils connaissent leur parents depuis leur naissance.
Le plus difficile pour nous actuellement, c’est de nous dire qu’il est temps de commencer à lier notre rencontre à son histoire de famille biologique. Que lui dire d’ores et déjà ? Que garder pour quand il parlera mieux le français, qu’il comprendra mieux toute la complexité de ses origines ? Car nous avons des choses très importantes à lui dire. Des choses qui risquent de le bouleverser. Mais qui ne peuvent pas attendre qu’il soit adulte, afin que ça ne lui fasse pas l’effet d’un bombe. Et nous ne savons pas s’il le sait déjà. Que lui a-t-on dit à l’orphelinat ?
Je lui dis souvent qu’on l’attendait depuis longtemps. Que s’il n’était pas dans mon ventre, il était dans mon cœur et dans ma tête et que je pensais si fort à lui. Mais il a bien compris qu’on naît d’un ventre, et il est triste de ne pas avoir été dans le mien. J’ai remarqué que depuis quelques temps, lorsqu’il me rejoint le matin dans le lit pour un câlin avant d’entamer la journée, il se colle à mon ventre. Parfois il y pose juste sa tête. Parfois il s’y pelotonne comme s’il voulait y retourner et me dit qu’il est mon bébé. Et hier il l’a verbalisé sous forme de jeu « maman, on fait semblant j’étais dans ton ventre ». Une fois, deux fois, trois fois.
On sent quand même depuis quelques semaines que les choses se tassent. Il fait moins référence à son pays d’origine. Certainement car il a désormais plus de souvenirs en commun avec nous. Mais je sais que son histoire sera toujours présente, et reviendra avec force à certaines périodes de sa vie.
Si ça peut t’aider, avec ma fille de tout juste 6 ans, ça fait bien 2 ans que ça dure les « raconte moi ce que je faisais bébé » « montre moi ta cicatrice » (césarienne) « et toi tu faisais ça quand tu étais bébé ? » etc. Elle a même voulu récemment revoir sa nounou. Je ne sais pas du tout comment l’interpréter, je réponds inlassablement les mêmes choses et j’attends 😉 toutefois, c’est plus facile pour nous car je fais un à deux livres photos pour elle tous les ans depuis sa naissance. En tout cas, je pense que c’est une phase, même si je ne comprends pas le sens profond.
Quant aux explications difficiles, j’imagine que tu parles de l’histoire de son abandon ? Deux pistes me viennent à l’esprit, si ça peut te servir, sait-on jamais : soit, clairement, je ne sais pas comment répondre à sa question avec des mots d’enfant, dans ce cas, je lui avoue clairement mon impuissance et je lui promets que quand elle aura l’âge correspondant aux mots, je lui expliquerai, soit je fais hyper simplifié et sans la heurter, et je m’étonne souvent de constater que ça lui suffit.
Exemple facile : elle veut une petite sœur mais pas nous, et je me suis fait retirer les trompes. Donc je lui dis tout simplement que ça ne fonctionne plus sur maman. Surtout, je ne l’inclus jamais dans l’explication pour qu’elle puisse prendre du recul et ne se sente pas mise en cause, genre « un enfant, ça suffit! » 🙂 🙂 🙂
Donc si c’est bien de son abandon dont tu parles et si tu as des infos, peut-être lui parler de sa mère biologique et de son histoire à elle plutôt que de lui-même ? Genre l’abandon est une conséquence d’un fait qui n’a rien à voir avec lui ?
Ça doit effectivement être délicat mais, de ce que je vois du raisonnement de ma fille, il me paraît judicieux de caser dès maintenant quelques éléments des circonstances de son abandon car les enfants de cet âge sont compréhensifs et bienveillants vis-à-vis du malheur des autres quand ils ne sont pas eux-mêmes mis en cause dans leur propre sécurité. Peut-être cela lui permettrait d’aborder ce sujet avec compassion, plus proche du pardon, qu’avec ressentiment ou colère, ce qui génère une relation malsaine avec sa propre histoire.
Qu’en disent les psys et autres professionnels spécialistes du sujet ? J’imagine qu’on vous donne quelques clefs, certes à adapter mais qui sont des débuts ?
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C’est intéressant de voir que même les enfants biologiques ont des questions sur d’où ils viennent !
Je ne parle pas que de son histoire d’abandon. Ça nous y étions préparés et je n’ai aucune difficulté à l’évoquer ou à répondre à ses questions quand il en aura. Il s’agit d’autre chose. Nous trouvons pour le moment qu’il n’est pas prêt, et notre organisme est de cet avis. Et nous ne pouvons lui dire pour répondre à ses demandes parce qu’il n’est justement pas au courant.
Par contre plus ça va et plus je me dis que je vais consulter un psy pour voir ce que lui en pense et les conseils qu’il peut nous donner.
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Dans ce cas, je t’alerte sur un point qui m’a toujours marqué de mes lectures de Dolto. On adhère ou pas à toutes ces théories mais à mon sens le poids du non-dit est réel et les enfants de cet âge sont hyper réceptifs. L’idée du psy ou d’un accompagnement tiers me semble la bonne car ton article donne l’impression que, toi, tu n’es pas à l’aise sur ce sujet, quel qu’il soit, et qu’en conséquence ce malaise ressort avec ses questions au final assez classiques pour un enfant de son âge. Ça te permettrait peut-être non pas de lui en parler s’il n’est pas prêt mais pour toi de le vivre plus sereinement.
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En effet je ne suis pas du tout à l’aise avec un point précis (au contraire de M. Chéridamoir qui se laisse porter et ne voit pas de souci). Comme dit à Obrigada, je pense que je vais faire appel à la psychologue qui nous a suivi durant notre agrément, ça devrait m’aiguiller.
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Je ne m’y connais pas du tout en adoption et c’est toujours passionnant de te lire. Comme Virg juste avant, j’ai tout de suite pensé que même les enfants avec une histoire tout à fait classique ont besoin qu’on leur raconte d’où ils viennent… Et attention à ne pas changer l’histoire en oubliant telle anecdote « importante » dans le récit de leur naissance ou petite enfance, on se fait systématiquement corriger ! Et l’envie de redevenir un bébé est aussi exprimée, probablement pour d’autres raisons que celle d’un enfant adopté.
J’espère qu’une fois l’adoption faite vous êtes encore accompagnés par l’association, pour ce genre de questions justement, car si la nécessité de « connaitre » son histoire ou de s’en créer une est universelle, je suppose que lorsque l’histoire est douloureuse, il faut rester vigilent, sans non plus focaliser toutes les éventuelles difficultés éducatives ou personnelles sur l’adoption.
Merci encore pour ton partage, c’est toujours passionnant et très enrichissant.
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Nous sommes toujours en contact avec notre association. Ils assurent le suivi avec le pays de Pirlouit. Pour autant, ils ne savent pas vraiment comment nous accompagner sur le point qui nous pose souci.
Par contre ton message m’a fait penser à une autre possibilité : nous faire accompagner par le service adoption de notre département ! Même si nous n’avons plus rien à voir avec eux, ils nous ont toujours dit de les contacter en cas de difficulté. Merci de m’y avoir fait penser !
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Tout pareil ici que pour Virg et Obrigada. Mes enfants regardent souvent les albums photos de leur naissance et de leurs premières années.
Et j’ai pu voir avec mes neveux et mes enfants que de jouer à l’accouchement étaient assez classique. Soient ils sortent de nos ventre d’adulte, soient ils s’accouchent eux même d’une poupée.
Je te souhaite beaucoup de courage pour aborder les sujets délicats avec ton fils. Je pense que ca sera probablement plus facile pour lui à entendre et assimiler entourer de votre amour, maintenant qu’il a une famille.
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Pirlouit a déjà 2 album photo de lui dans son pays et de notre séjour là bas. Je devrais recevoir dans quelques jours celui que j’ai fait pour notre première année ensemble. Et mes collègues nous ont offert un album d’adoption que je remplis au fur et à mesure. Je sais que cela va l’aider !
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Je trouve ton article très touchant. Je vous souhaite de toujours trouver les mots pour accompagner votre enfant…
De mon côté, je réponds aussi à beaucoup de questions sur « quand j’étais dans ton ventre » et « mais où j’étais avant d’être dans ton ventre ». Et elle adore qu’on lui raconte des histoires sur elle bébé. Ma fille a 5 ans également.
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je suis curieuse 🙂 : tu as répondu quoi à « où j’étais avant d’être dans ton ventre »?
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Alors là c’est la grosse galère 😀
J’ai sorti mes rames de galérienne et j’ai dit qu’elle n’existait pas encore, qu’elle était comme une graine qui attendait d’être arrosée pour pousser et devenir une plante !
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J’imagine bien que ça a dû être compliqué à expliquer !
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Bonsoir !
Mes enfants me posent très souvent la question « ou j’étais avant d’être dans ton ventre » et aiment beaucoup là réponse « tu étais dans mon cœur » je crois que cela leur donne l’impression d’avoir toujours été là !
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J’aime beaucoup tes articles sur l’adoption qui résonnent fort en moi car j’ai été adoptée à l’international. Je ne me souviens pas exactement de la façon dont mes parents ont abordé le sujet mais j’ai le sentiment d’avoir grandi en connaissant cette partie de mon histoire depuis toujours, du moins la partie qu’ils connaissaient et racontée selon leur vécu.
Chaque histoire d’adoption est différente mais il est vrai qu’en tant qu’adopté, on passe par des phases plus ou moins compliquées avant d’arriver à faire la paix (ou pas) avec son passé.
Je trouve que vous avez en tous cas une belle approche avec Pirlouit! Hâte de lire la suite 🙂
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Pour l’instant Pirlouit ne pose aucune question sur sa mère biologique ou sur son abandon. On a la chance d’avoir un dossier très complet mais justement cela nous pose question sur ce qu’on peut d’ores et déjà lui dire et ce qu’il vaut mieux laisser en attente qu’il soit plus âgé pour bien l’assimiler ou y faire face.
Cela aurait été bien plus facile pour nous s’il avait été au courant de son histoire dès l’orphelinat, l’accompagnement ne nous aurait posé aucun souci et m’aurait semblé naturel. Là c’est plus « l’effet bombe » de ce qu’il faut qu’on lui dise qui me turlupine… Je me pose peut-être trop de questions…
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Je ne peux qu’indiquer mon vécu, je savais très tôt les grandes lignes (l’adoption et ce que cela signifie) mais je pense que les détails m’ont été donnés lorsque j’ai posé des questions précises. La porte était ouverte dès le départ mais c’est en grandissant que les questions viennent et mes parents y ont alors répondu.
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Merci pour cette réponse ! Nous avons bien sûr parlé à Pirlouit de ce qu’était une adoption (avec l’aide des livres achetés durant notre attente !) On verra les questions qu’il pose et on essaiera de répondre au mieux en fonction de son âge.
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