A celle qui n’a pas eu d’enfant

À celle qui n’a pas eu d’enfant

À vingt ans, tu es tombée enceinte mais tu n’as pas gardé cet enfant car tu étais trop jeune. Et puis, tu n’as jamais eu d’enfant ensuite. J’ai appris beaucoup plus tard qu’à 30 ans (quelques années après ma naissance donc), tu avais voulu, toi aussi, devenir maman mais il n’a pas voulu sous prétexte qu’il ne te pensait pas capable de t’occuper d’un enfant… C’est violent ! Je ne sais pas comment tu as pu supporté cela et pourtant, tu es restée. Trente ans plus tard, je sais que tu ne l’acceptes pas complètement. Et si on remontait le temps sur notre relation ?

La meilleure amie

Tu es celle qui a partagé avec ma maman des voyages insouciants en Italie, celle qui obtenait son attention de façon instantanée. Je sais que votre complicité est sans limite et que vous avez des souvenirs de liberté, de soirées sans horaires, de sorties décidées à la dernière minute… Il y a 35 ans et des poussières, tu étais au téléphone avec ma mère quand elle t’a dit qu’elle sentait un truc humide qui coulait entre ses jambes. Je crois que tu lui as répondu de raccrocher et de filer à la maternité… Nous nous sommes rencontrées quelques jours plus tard. Je ne sais pas si tu as eu peur que je vienne perturber votre équilibre ou votre relation. Tu ne t’es jamais confiée sur ce sujet. Tu m’as acceptée et entourée de toute la chaleur dont tu es capable. Tu es devenue une sorte de bonne fée qui mettait des paillettes un peu extravagantes dans ma vie.

Je ne crois pas que tu aies pensé à me souhaiter mon anniversaire à la bonne date une seule fois dans ma vie. Mais, je sais que tu connais la date car tu as toujours un petit présent pour moi quand on se voit au mois d’octobre. Tu m’as probablement bercée un nombre incalculable de fois, tu as renoncé à des journées de ski pour me garder alors que je n’avais que quelques mois. Tu t’es inquiétée pour moi lorsque mes parents arrivaient en retard. Toute mon enfance est émaillée de souvenirs avec toi, des couleurs de tes tableaux, des balades avec tes chiens. J’adorais venir te voir, passer les fêtes de fin d’année avec toi. Je regrettais souvent que tu n’aies pas un enfant de mon âge mais je m’amusais tout de même beaucoup. Et puis tu as des neveux et nièces que j’ai eu l’occasion de côtoyer. On m’a souvent demandé qui tu étais : une tante, une marraine ? Non, tu es la meilleure amie de ma maman.

Crédit photo : BhaktiCreative

Quand la relation change

Je suis devenue une adolescente (boutonneuse et ingrate) et tu as porté un regard différent sur moi. Tu n’étais pas l’adulte qui s’intéresse à la vie banale d’une jeune fille, tu ne m’as jamais parlé de relations amoureuses, de mes notes, de ma vie quotidienne, en fait. Tu as préféré partir en vacances avec ma mère et moi, me questionner sur ma vision de la vie, discuter des pièces de théâtre ou des expositions que nous allions voir. J’avais l’impression que tu me considérais comme une adulte, comme une amie. Une amie ? C’est exactement ce que je ne voulais pas être pour toi. Je voulais rester l’enfant. J’avais peur de priver ma maman de son amie, je n’avais pas envie de recueillir tes confidences.

Je t’ai un peu rejetée à cette époque, j’ai trouvé que tu prenais une place qui n’étais pas la tienne, que tu essayais d’entrer dans mon jardin secret alors que même ma mère n’osait pas aborder certains sujets. Et pourtant, tu restais présente. Je me souviens de ces vacances où j’ai débarqué chez toi pour décompresser d’une année scolaire difficile, tu ne m’as pas questionnée, tu m’as accueillie à bras ouverts et m’a emmenée skier. Je sais que tu as changé ton programme de vacances pour moi. Petit à petit, nous nous sommes réapprivoisées. Nous avons trouvé une relation apaisée et réussi être à l’écoute l’une de l’autre.

L’âge adulte

Je me souviens de cet été où je suis rentrée chez mes parents et tu étais là. Ma mère était complètement obnubilée par son travail et très peu disponible. Nous avons passé une semaine ensemble. C’était bien une relation d’adulte qui s’était instaurée entre nous. Nous avons refait le monde, fait quelques randonnées, je me suis vraiment amusée.

Lorsque j’ai fait mon faire-part de mariage, il m’a paru évident d’utiliser l’une de tes peintures comme illustration. Et, le jour où j’ai épousé Sangoku, tu étais là, au premier rang dans la mairie, je t’ai vue, émue aux larmes, plus que ma propre mère. Ton émotion m’a tellement touchée.

Et puis, Sangohan est arrivé, tu as pris beaucoup de distances. Je crois qu’il t’a vu cinq fois durant les deux premières années de sa vie. Tu étais aussi très distante avec lui, tu l’observais de loin. Et pour lui, tu étais une sorte d’étrangère qui passait de temps en temps chez mes parents. Un jour, il y a eu un déclic, des deux côtés, je ne sais pas ce qui l’a provoqué. Je pense qu’il te fallait du temps pour faire ton deuil d’un futur rôle de grand-mère et que mon monstre a compris que tu étais importante pour sa mère et sa grand-mère. Alors, je vous ai vu jouer ensemble, Sangohan a commencé à vouloir te raconter des petits bouts de sa vie, te montrer ses dessins…. Bref, vous avez trouvé votre complicité.

Ma petite fille est née et avec elle, tout a été facile : la regarder, la prendre dans tes bras, lui sourire. Tout ce qui devait probablement être un déchirement lorsque Sangohan est arrivé a été inné avec Bébé Fleur. Aujourd’hui, mes deux monstres t’adorent, ils aiment la fantaisie que tu apportes quand tu es chez Papi et Mamie et lorsque nous nous rendons dans le Sud, Sangohan demande toujours si tu seras là.

Moi, je n’ai pas de doutes, tu aurais été une mère formidable qui aurait entouré tes enfants de paillettes et de chaleur. Tu as toujours su être de bon conseil, tu as accepté que je grandisse, que je te rejette par moments, avec patience et avec douceur. Certes, tu avais la chance de ne pas vivre le quotidien, mais je sais que tu aurais su le faire. Je suis ravie de t’avoir dans ma vie et de la place que tu m’as faite dans la tienne. Je te suis reconnaissante de faire fi de tes blessures pour m’accompagner ainsi que mes enfants. Tu as fait le choix de ne pas fonder de famille mais je pense que tu le sais, pour moi, tu fais partie de la mienne.

2 commentaires sur “A celle qui n’a pas eu d’enfant

  1. Très beau texte ! J’espère que cette amie est heureuse dans sa vie et ne regrette pas de ne pas avoir eu d’enfants.

    J’ai eu autour de moi plusieurs amis de mes parents sans enfants. Sans être aussi présents que cette amie pour vous. Beaucoup m’ont accompagnée de très près pendant plusieurs années voir toute ma vie. Ils ont été des baby-sitters, des confidents, des conseillers et sont maintenant pour certains des amis. J’ai apprécié le calme de leurs maisons sans enfants, leur disponibilité et leur réponses moins convenus que celles des adultes parents à mes questions dérangeantes.
    D’ailleurs, lors de mon mariage, mes parents n’ont invité aucun de leurs amis mais avec mon mari, nous avons invités certains amis qui étaient aussi les amis de nos parents !

    Ils m’ont aussi montré qu’on peut être très heureux sans enfant et ne pas avoir de regrets de ne pas en avoir. Je savais donc en grandissant que quelque soit mon choix (et même, ce qui m’a beaucoup rassuré, les possibilités que la vie me laisseraient), je pourrais connaître le bonheur !

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    1. Merci pour ton message. Je pense que cette amie est maintenant en paix avec elle même mais cela lui a pris du temps d’accepter sa vie sans enfant. Comme tu le dis si bien, je crois que ce que j’apprécie le plus en sa compagnie, ce sont ses réponses moins convenues.

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