Le poids du secret
C’est un secret. Il ne faut pas le dévoiler, on ne sait pas quelles en seraient les conséquences. S’ils savaient ce qui se cache réellement derrière les silences gênés, que diraient-ils ?
C’est un secret, et il doit rester ainsi. Avec le temps, plus personne ne saura, le secret sera enterré, et nous serons sauvés, nous et nos descendants. S’il devait être dévoilé, quel poids, quelle histoire familiale feriez-vous porter à vos enfants ?
C’est un secret, et d’ailleurs il n’y a rien à en dire, et cela ne vous concerne pas. Les principaux intéressés se sont arrangés entre eux, et c’est très bien comme cela. Enfin, c’est très bien surtout pour celui qui risquait le plus gros. Que voulez-vous qu’il fasse de plus, il ne va tout de même pas dévoiler le secret sur la place publique ?
C’est un secret, et il faut vivre avec. De toute manière, l’histoire ne changera pas, et le dévoiler n’y changera rien. Épargnez-nous donc des moments difficiles, et apprenez à composer avec votre histoire. On vous a d’ailleurs déjà dit que vous n’étiez que des victimes collatérales et que la gestion de ce secret ne vous regardait pas.
C’est un secret, et si vous le dévoilez, je n’y survivrai pas. Les regards, les avis des uns et des autres, devoir revivre ces périodes, ce serait trop difficile pour moi, je préfèrerai mourir plutôt que de perdre la face. C’est ce que vous cherchez ?
C’est un secret. Cela va faire 10 ans que je vis avec. Il prend de la place chez moi, parfois beaucoup, parfois moins. Parfois c’est comme un éléphant au milieu de mon salon, parfois plutôt comme une araignée dans un coin dont on sait qu’elle est là sans forcément la voir. Parfois, plus rarement, il n’est pas là. Moments de grâce pendant lesquels on vit sans y penser, on agit sans calculer.
Je ne peux pas faire comme si je ne savais pas, parce que je sais, et que c’est trop gros, trop grave, pour simplement le coincer dans un coin de ma tête et l’oublier avec le temps. Parfois, je regarde mon entourage, et je me demande s’ils savent, tous autant qu’ils sont. Ils abordent des sujets proches, tournent-ils autour du pot, ou ignorent-ils réellement l’existence de ce secret ? J’aimerais savoir qui sait. Juste pour ne pas avoir à faire attention à chaque mot qui sort de ma bouche, pour pouvoir en parler et ne plus avoir ce sentiment d’isolement. Pour faire disparaître la menace à peine voilée mais bien présente, comme une épée de Damoclès qui nous tomberait dessus si on le dévoilait.
C’est un secret, et il me pèse. Pourtant je ne suis pas une victime directe, je suis juste une victime collatérale. J’aimerais être présente pour les victimes directes et réelles, mais même ça n’est pas si simple. Il ne faut pas trop en parler, ni trop dire sa présence, sans quoi les victimes sont dénigrées de nouveau. Comme s’il était nécessaire d’ajouter de la douleur à la douleur.
C’est un secret, et parfois j’ai le sentiment qu’il me rend folle. À croire qu’au milieu des fous, ce sont les raisonnables qui perdent la raison. C’est un secret, et ce simple fait me met dans une rage terrible, parce qu’il protège les bourreaux et culpabilise les victimes.

C’était un secret.
Parce qu’un jour quelqu’un en a parlé à quelqu’un qui ne le savait pas, sans lui demander le silence. Et parce que ce quelqu’un qui ne le savait pas, et qui n’avait pas peur des conséquences ni de l’épée de Damoclès l’a dit à tout le monde.
Tout le monde le sait. Tout le monde a un avis sur la question. Mais tous ont bien compris qui était le bourreau et qui étaient les victimes. Et soudain, la situation s’apaise. Soudain, l’espoir d’une justice se fait tranquillement. Soudain, les épaules se relâchent et les regards s’élèvent : nous n’aurons plus à porter le poids d’une culpabilité qui n’était pas la nôtre.
Ce n’est plus un secret, et même si j’ai encore du mal à en parler ouvertement, parce que la honte est encore présente, parce que la peur des conséquences ne m’a pas complètement quittée, parce que l’habitude de le taire et de faire attention est encore bien ancrée en moi, je sais que tous savent, et que tous peuvent entendre ce que j’ai à dire.
Ce n’est plus un secret, il ne sera pas enterré avec nous, et nous allons pouvoir faire un travail pour apaiser nos blessures et apprendre à en parler, à vivre avec, et à le voir vraiment comme une part de notre histoire familiale.
C’était un secret, ce ne l’est plus, et il va falloir que les bourreaux assument la responsabilité de leurs actes publiquement. Et rien que ça, sans volonté de vengeance aucune, cela commence à satisfaire ma soif de justice.
Ô je te plains, ma famille a aussi une lourde histoire mais personne n’a le sens du secret, donc tout est étalé au moins dans le cadre familial, plus si nécessaire. Du coup, je le vis bien et j’en parle ouvertement. Dans la famille de mon mari, c’est plus insidieux, je trouve ça hyper malsain. C’est une bonne chose d’en sortir. J’ai prévu de parler de tout avec ma fille pour qu’elle sache, ça fait partie de son histoire familiale et je ne veux pas installer de malaise pour elle.
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Je trouve les secrets de famille très malsains. On en parle souvent avec mon mari, et le fait que ce secret là ait été éventé a été un réel soulagement. Au moins plus personne ne fait semblant soit d’aller bien, soit d’être innocent de tout. Tout le monde sait et chacun prend (plus ou moins) ses responsabilités. Le fait que ça ne soit plus un secret permet aussi de faire un travail de deuil qui était impossible avant
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Pour moi, garder le secret peut avoir certains avantages. On n’a pas forcément envie de passer pour une victime auprès de tout le monde (et on n’est pas toujours très proche de tous les membres de sa famille). Quand le secret est éventé, le nombre de personnes au courant qui en parlent, commentent (à tort et à travers…) grandit très vite. Ca peut donc avoir des désavantages.
La décision revient pour moi aux protagonistes/aux victimes. A elles de décider ce qu’ils/elles veulent partager et avec qui.
(En partant du principe que garder le secret ne laisse pas des actes criminels se répéter bien sûr.)
Je suis contente pour toi, si la situation c’est arrangé dans ta famille.
Après je crois aussi qu’il ne faut pas oublier que ce n’est pas parce que c’est notre famille, qu’on doit forcément être proche d’eux.
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Effectivement.
En l’occurrence, dans mon cas personnel, les victimes voulaient parler et en étaient empêchées, ce qui a laissé les actes couverts par le secret se reproduire, faisant ainsi d’autres victimes, et qui a en plus rejeté la responsabilité du malaise général sur les victimes.
C’est en ce sens que je trouve le secret de famille particulièrement malsain : il permet à des actes criminels de se répéter, et il dédouane les bourreaux de toute responsabilité.
Je suis bien d’accord avec toi en revanche sur le fait que nous ne sommes pas obligés d’être proches de notre famille. Ca implique, je trouve, un vrai travail de deuil mais c’est parfois salvateur.
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